Sans doute qu’il aime caresser Mary Ann, tout simplement, et qu’il préfère la toucher en ses points les moins ordinaires.
Elle se met à le laver avec une certaine rudesse – il lui a dit qu’il se sentait « lessivé » quand elle faisait ça, et elle lui a fait remarquer que ça ne semblait pas lui déplaire. Ils viennent de s’essuyer et de s’allonger côte à côte, leurs mains commencent à s’égarer entre leurs jambes, leurs bouches à se coller l’une à l’autre, lorsqu’ils sursautent, surpris par un bruit étrange…
Ce n’est que le bruit de la pluie sur les murs, ce n’est que le sifflement du vent, se dit Jesse. Après tout, nous sommes en plein cyclone.
Puis il comprend ce qui se passe.
— On dirait que ça se calme, dit-il, c’est à peine plus grave qu’une bonne tempête. Peut-être qu’on y verra quelque chose demain matin.
Elle pousse un cri de joie, se couche sur lui, l’embrasse à pleine bouche ; il sent son sexe se raidir, et elle s’en empare aussitôt, le secoue vigoureusement et le coule en elle, assise au-dessus de lui. Tandis que le tonnerre laisse peu à peu la place aux bourrasques, elle le chevauche avec frénésie tout en se caressant le clitoris.
Ça ressemble à de la XV porno, se dit-il, et il comprend que c’est ce qu’elle veut lui offrir, le fantasme qu’elle lui inspire plutôt que sa réalité, et il se laisse emporter par le fracas du tonnerre, par les éclairs qui illuminent leurs corps, donnant de violents coups de reins lorsqu’elle se met à jouir, triomphale et extatique.
Elle se penche sur lui, laisse son pénis flasque glisser hors d’elle.
— La même chose se produira chaque fois que nous survivrons à une épreuve. Je voulais que tu saches qu’il y a de bonnes raisons pour survivre.
Puis elle s’endort au creux de ses bras, et il pose sa main sur ce ventre étrangement dur, palpant les coutures de la gaine sous-cutanée. Ils ont éteint les chandelles, le vent semble murmurer plutôt que rugir. Il est épuisé, satisfait, comblé, mais une idée l’empêche de dormir : pendant qu’il s’activait à améliorer leur sort, pendant qu’il s’efforçait de paraître rassurant devant les enfants, Mary Ann avait parfaitement jaugé la situation.
Jesse tente d’imaginer sa propre mort, y échoue lamentablement ; mais il sait que la femme qu’il tient dans ses bras a imaginé la sienne, a encaissé le choc et n’a rien laissé paraître de sa terreur. Elle n’est pas seulement plus âgée et plus sage que moi, se dit-il. Elle est trop fantastique, trop merveilleuse pour moi.
Il décide d’être à la hauteur et se demande s’il en est capable. Lorsqu’il parvient enfin à s’endormir, c’est d’un sommeil profond, empli de rêves dont il ne se souviendra pas. Les cris des Herrera les réveillent en milieu de matinée – eux aussi ont dormi assez tard, ratant la première aurore depuis plusieurs jours. La tempête fait toujours rage, mais le soleil est revenu.
Comparé au premier passage de la couronne, le second apparaît à Naomi comme relativement bénin. Le groupe électrogène de l’abri tombe bientôt en panne, mais il y a dans cette cave de la nourriture, des gens, de l’eau potable et même des toilettes… et surtout, la peur y brille par son absence. Elle arrive même à rattraper un peu de son sommeil en retard.
Ses compagnons d’infortune chantent ou jouent aux devinettes. L’espagnol de Naomi n’est pas parfait, mais elle réussit à participer et a droit à sa part d’applaudissements. Comme il est amusant de chanter en chœur !
La nuit est tombée lorsque le vent se fait plus faible et la pluie plus éparse, mais leur hôte leur suggère d’attendre le jour avant de sortir ; pour l’instant, il n’y a aucun signe de vie au-dehors.
Ils se blottissent donc les uns contre les autres pour trouver chaleur et réconfort. L’ambiance est des plus paisibles, et Naomi résiste au sommeil quelques instants afin d’en profiter.
Elle sait que si elle était aussi propre qu’à son habitude, l’odeur qui règne dans la cave lui semblerait écœurante, non seulement la puanteur des excréments provenant des toilettes mais aussi la senteur âcre des corps mal lavés. Mais cette senteur émane aussi de son corps, et cela lui paraît… eh bien, démocratique.
Elle se demande si de telles pensées ne traduisent pas des tendances racistes, et cette idée suffit à la faire frémir d’inquiétude sur sa couche improvisée – d’autant plus qu’elle sait parfaitement que les gens qui l’entourent sont soucieux de leur hygiène, qu’ils prennent une douche tous les soirs comme elle-même…
Et elle se demande si le fait de s’être informée sur ce point ne trahit pas de sa part des tendances racistes.
Puis elle se rappelle qu’elle s’était juré de ne plus entretenir de telles idées, c’était il y a deux jours à peine, quand elle se croyait sur le point de mourir. Et elle est vivante, elle a retrouvé ses semblables. Le moment est venu pour elle d’entamer une nouvelle vie. Son bonheur est tel qu’elle plonge dans un sommeil sans rêves.
À son réveil, plusieurs personnes sont déjà debout, et il leur faut un certain temps pour se rendre compte que quelque chose a changé : on n’entend plus ni le vent ni la pluie. Elle se lève d’un bond, prête à se porter volontaire pour une tâche quelconque, puis se ravise. Il lui faudra un bon moment avant de guérir de ses habitudes, se dit-elle, mais elle est bien décidée à y parvenir.
Elle va faire sa part de boulot, d’accord, mais elle va cesser de se conduire comme si elle était la personne la plus serviable de la planète.
Et puis la tâche la plus importante du moment consiste à dégager la porte, et on a besoin de muscles pour cela. Heureusement, le groupe comprend plusieurs adultes costauds, qui ont vite fait de comprendre qu’il leur suffit de pousser la porte inclinée pour en faire rouler le ou les objets qui la bloquent.
Pour cela, ils utilisent un madrier en guise de bélier. Personne ne semble très inquiet – il n’est pas très urgent de sortir, après tout, et les secours finiront tôt ou tard par arriver sur les lieux.
Les cinq porteurs de madrier se mettent en position dans l’escalier, puis frappent la porte métallique à coups répétés :
— ¡ Uno, dos, tres ! (Boum !) ¡ Uno, dos, tres ! (Boum !)
On entend glisser les gravats qui bloquent la porte.
Alors que les échos du huitième boum rebondissent sur les murs de la cave, il y a un éclair aveuglant, et les hommes poussent un cri et lâchent le madrier pour se protéger les yeux. L’espace d’un instant de silence, tout le monde se demande ce qui a bien pu se passer ; les esprits se peuplent d’images de villes dévastées, Hiroshima, Nagasaki, Port-au-Prince, Le Caire, Damas, Washington… et s’il y avait eu une guerre atomique ?
— El sol, dit une vieille dame près de Naomi.
Et tous répètent ces mots sans comprendre, comme des fidèles murmurant leurs prières… puis éclatent de rire.
Ils sont restés si longtemps dans les ténèbres que le soleil ne peut que les éblouir. Détournant les yeux de la porte, les hommes récupèrent le madrier, repartent à l’assaut, et au quatrième boum, on entend un grondement pareil à celui du tonnerre lointain, puis le bruit d’un lourd objet qui tombe au-dehors.
L’un des hommes pousse la porte, qui s’ouvre en grand.
Tous les occupants de la cave se voilent la face devant la lumière du jour, mais tous s’avancent lentement vers elle.
Naomi suit le mouvement, les yeux fixés sur ses baskets, se guidant par le toucher plutôt que par la vue. Son pied se pose sur la première marche, puis sur la deuxième.
Il y a une telle diversité de bruits, qui contraste vivement avec le silence de la cave et le vacarme de la tempête, que ses oreilles ont du mal à en faire le tri.
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