« Courez ! » hurla le Mouchard en détalant vers une crevasse profonde.
6… 5… 4…
« Que s’est-il passé ? » crièrent simultanément Val et Walter.
3… 2… 1…
La violence de la déflagration ébranla le flanc de la montagne. Il y avait un cratère de dix mètres de profondeur, là où se trouvait auparavant la mache renégate. Une pluie de rochers et de débris divers s’abattit sur les engins de Chasse.
« Qui a déclenché cette séquence ? brailla Walter, le visage violacé.
— J’ai bien peur d’être le responsable, dit le Mouchard depuis sa crevasse. J’ai dû provoquer un quelconque réflexe de défense en sondant l’amande.
— Tiens bon, Mouchard. Je vais monter te tirer de là. »
Val remit son casque et prit une pelle, puis se dirigea vers l’amas de rochers qui encerclaient le point d’impact. Le Mouchard n’était que légèrement bosselé.
Ils retrouvèrent Walter au Garage du C.C. Ils relièrent le câble caudal du Mouchard au lecteur optique. Cette nouvelle projection des mémoires de l’amande ne leur révéla rien de cohérent.
« Voici ce que j’ai vu juste avant le compte à rebours et la destruction », dit le Mouchard.
L’image sur l’écran les stupéfia. Un Bronco âgé, brandissant une boule de cristal. L’image sauta, mais le lecteur audio retransmit quelques mots…
Val prit un air contrarié. « Regardez-moi cette robe pourpre. Qu’est-ce que c’est que ça ? Un sorcier ? »
Walter lui imposa silence : « C’est possible. Essayons d’entendre ce qu’il raconte. Mouchard, peux-tu nous repasser cette bande sonore ? »
La voix du sorcier était beaucoup trop théâtrale pour paraître naturelle : « Au nom de… je t’ordonne de me suivre.
— Au nom de qui ? demanda Walter.
— Un mot qui ne signifie rien pour moi, dit le Mouchard. Une divinité ?
— Qu’a dit exactement le sorcier ? s’emporta Val.
— Les mots exacts ne sont pas enregistrés, expliqua le Mouchard. Je transcris les symboles mémorisés par la machine elle-même. Ce blanc correspond à un symbole que je ne peux traduire.
— C’est parfait ! rugit Val. Nous avions une mache meurtrière sur les bras, et nous ne savons même pas en quel nom elle voulait commettre ces meurtres !
— Le Bricoleur ? suggéra Walter. Il s’y connaissait en cerveaux mécaniques et n’avait nulle envie que nous les retrouvions, lui et sa famille. Peut-être a-t-il trafiqué cette mache afin de nous ralentir… comme avec ces trois cadavres qu’il a laissés derrière lui. »
Val médita un instant. « Ça se tient, à part un petit détail.
— Lequel ?
— Cette mache diffusait ses émissions sur faisceau dense avant même que le Bricoleur ait quitté le C.C. Je l’avais emporté avec moi, pour ce prétendu vol de rodage, tu te souviens ? »
Walter fronça les sourcils. « As-tu autre chose à nous montrer, Mouchard ? »
La petite machine en forme de tonneau vint en se dandinant se planter devant Walter.
« Rien, monsieur. C’est tout ce que j’ai eu le temps d’enregistrer avant le compte à rebours… »
C’était l’impasse. Val haussa les épaules : « En tout cas, quel que soit le responsable, il ne peut en tirer aucun sujet de vanité, sinon d’avoir creusé un cratère au pied du mont Table. »
Dag Foringer posa son arc et retira ses gants. Les puissants projecteurs du plafond avaient rougi son front. Il aurait aimé passer deux jours de plus à s’entraîner, pour améliorer la précision de son tir ; mais la Chasse était pour demain.
Un peu plus tard, rendu à demi aveugle par les ultra-violets, il se présentait au bureau du C.C.
« Vous vous êtes encore entraîné sans votre casque, Dag ? le réprimanda Val.
— Excusez-moi, monsieur… mais c’est plus commode.
— Essayez de faire ça Dehors, et vous être mort. Les radiations actiniques vous pèleront à vif. O.K., vous partirez avec Chien Volant IV. Et demain vous tirerez sur quelque chose de beaucoup plus dangereux qu’une cible rembourrée. Votre injecteur fonctionne-t-il bien ? »
Dag toucha la pompe grosse comme le pouce greffée à son cou. « Oui.
— Très bien. Je vois que le service Psych vous a classé dans une catégorie supérieure. Votre hypno-conditionnemènt s’est donc fait sans problèmes ? »
Dag hocha la tête. « Je vais chasser des parasites dans les jardins. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Avec la combinaison et les drogues, il ne devrait y avoir aucune difficulté. J’ai vraiment hâte d’y être. »
Val sourit. Dag était à sa place dans la neuvième catégorie : décidé, dépourvu de subtilité, mais débordant d’enthousiasme. Facile à manier.
« Asseyez-vous, Dag. Walter et moi, nous aimerions vous montrer quelques bandes pour compléter votre instruction. »
La carte murale s’éteignit, pour être remplacée par une vue agrandie du secteur Bleu. Les endroits où l’on avait signalé des Broncos étaient indiqués par des traits et des points.
« Votre zone de Chasse sera moissonnée aujourd’hui. Trois cents kilomètres de long sur huit de large, environ. Altitude moyenne, quatre cent cinquante mètres. On y a repéré huit Broncos la semaine dernière. Rien depuis. » L’image s’évanouit. Celle d’un vaisseau de Chasse filmé en pleine action apparut. L’engin décollait dans un nuage de feuilles et de poussière. « Voici votre appareil, Chien Volant IV, la vue basse, mais bon pisteur, dévoué. On peut compter sur lui. Une fois que vous aurez pris la R.M., asseyez-vous bien droit et il viendra vous ramasser. »
Val s’interrompit et s’éclaircit la gorge.
Walter prit sa suite. Ils suivirent sur l’écran les trois jours de traque d’un chasseur, son triomphe et la mise à mort.
« Vous prendrez note que la proie peut se retourner contre vous quand elle est blessée. Voyez avec quelle férocité elle se bat, même touchée à mort. Soyez toujours sur vos gardes avec ces créatures. Voici quelques plans du trophée. »
Sur l’écran, l’image devint fixe.
« À présent, voici des artefacts trouvés dans les campements broncos. Il y a des ossements de cétacés, et aussi d’humains. Ils mangent n’importe quelle sorte de viande, et vous mangeront si vous n’êtes pas prudent. Là, ce sont des armes : javelots lourds et légers, couteaux en bois, haches en pierre. Elles ne contiennent pas de métal, de sorte que nous ne pouvons les détecter. »
Dag était attentif ; il était plein d’une confiance moléculaire, comme la drogue qui circulait dans ses veines.
« Les plans suivants vous montrent des travaux de poterie et de vannerie, témoignant d’une habileté très primitive. À vivre ainsi en solitaire, chaque Bronco développe une culture qui lui est propre. Ils n’ont aucune unité, même de langage. »
La projection se termina.
« Des questions ? demanda Val.
— Non.
— Bon. Descendez au Garage faire connaissance avec Chien Volant IV, dit Walter. Vous serez le capitaine de cette Chasse. »
Dag se leva et se disposa à partir. « Au fait, fit Walter. Qu’est-ce qui vous a valu le droit à cette Chasse ? »
Dag Foringer sourit, très sûr de lui. « J’ai fluidifié un métro et l’ai détourné vers les synthétiseurs de protéines, économisant ainsi des milliers d’heures de main-d’œuvre. La fissure du Pays Orange s’était déplacée de sept mètres, coupant une des lignes du réseau sud-ouest, tuant plus d’un million de citoyens. J’étais responsable du trafic, ce jour-là. Cet accident aurait pu causer une forte baisse du rendement. Mais j’ai attendu que le nombre des survivants, indiqué par les senseurs, soit descendu de trois décimales. Les senseurs donnent avec précision le nombre de vies pouvant être sauvées ; avec cette assurance, il était inutile d’attendre que chacun des citoyens ait rendu le dernier soupir. Comme il n’y avait aucun moyen de les sortir de là vivants, je les ai dirigés tout de suite vers les presses à pâté. J’ai ainsi fait gagner du temps à tout le monde. »
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