Val plaisanta sur cette accalmie : « Avec Jupiter en Sagittaire, on aurait pu s’attendre à de meilleures Chasses. »
Walter se renfrogna. Le surnaturel n’était pas un sujet de plaisanterie. Il y eut un moment de silence tendu, puis le vieil homme parla.
« Il n’y a là rien qui prête à rire. Depuis dix ans que je suis au C.C., j’ai appris à observer les cycles d’activité et de migration particuliers aux Broncos. Leurs chamans suivent le mouvement des planètes : c’est une obligation, les saisons sont importantes pour eux, à cause des récoltes. Et ils dorment sous les étoiles. Les citoyens de la fourmilière peuvent se moquer de l’astrologie, la Grande S.T. les protège. Et, de toute façon, les horoscopes sont erronés car établis par une machine qui ne fait pas attention aux cieux. Mais mes diagrammes sont sérieux. Et utiles pour la chasse. J’essaie de devancer les mages broncos. Je pense qu’en ce moment ils se cachent parce que Jupiter est en Sagittaire. Ils croient que c’est un signe favorable pour les chasseurs. Davantage de citoyens vont demander à participer à une Chasse après avoir vu leur horoscope ; ils ont donc raison d’éviter de se faire repérer.
— Alors, nous allons avoir droit à un long repos, car Jupiter va rester dans ce signe un bon bout de temps », dit Val en riant sous cape.
Walter se contenta de grommeler et de tousser. Il ouvrit une boîte contenant des artefacts ramassés dans des campements broncos. Les perles éveillèrent son intérêt. Il souleva une cordelette intacte sur laquelle étaient enfilées des perles noires, une perle annelée à une extrémité et quatre perles colorées au centre.
« Et ça, qu’en dis-tu ?
— Symbole tribal… suggéra Val.
— Et si ça représentait un calendrier basé sur les planètes et les signes du zodiaque ? Si la perle annelée est Saturne, la grosse blanche, ici, pourrait être Jupiter en Sagittaire… »
Val hocha la tête, à demi intéressé. « Mais il y a trois autres perles à côté de la grosse blanche ; or, d’après mes cartes célestes, la conjonction de quatre planètes ne s’est pas produite. » Il sortit les prévisions concernant les futures positions des planètes. Rien ne correspondait à la disposition des perles, autant qu’il pût en juger, et ces prévisions portaient sur plusieurs siècles. « S’il s’agit d’une conjonction, elle aura lieu dans très longtemps d’ici. Je ne vois pas en quoi cela peut intéresser les Broncos… bien que la conjonction de quatre planètes soit toujours un événement important pour certains.
— Sagittaire… Le chasseur ou le chassé ? » murmura Walter.
Mais déjà Val se désintéressait du problème. Il dressait allègrement un horoscope qui devait l’aider dans son choix d’une émission récréative. Walter referma sa boîte d’artefacts avec un bang importun.
« Bon ! s’écria-t-il. Nous en avons terminé pour aujourd’hui avec ces problèmes. Allons chez moi pour une fusion. »
Val déclina l’invitation.
« Pas ce soir. Je vais chasser les rats dans l’entre-murs, pour récolter un supplément de savorisées.
— Ce sera pour la prochaine fois, alors. Bitter-Femme a demandé de tes nouvelles. »
Ils partirent chacun de leur côté. Val détestait la fusion. Frotter son âme contre celle de n’importe qui l’irritait fortement. Il se heurtait avec les polarisés et les neutres l’ennuyaient. Walter, quant à lui, appréciait sa famille-5 et tous les petits agréments de cette intimité. Il acceptait volontiers les étreintes rituelles de Bitter-Femme et parlait travail avec Jo Jo et Busch le Grincheux. Arthur-Neutre organisait les divertissements familiaux. Une famille-5 des plus harmonieuses.
Dans sa cabine, Val vérifiait son équipement de chasse au rat. La combinaison était bien usée. Elle lui avait déjà servi à capturer quantité de calories. Il changea les filtres à poussière et vérifia les piles. La lampe frontale et le transmetteur étaient toujours en état de marche, mais leur quotient de fiabilité était assez bas. Il prit son sac à gaz anoxique et monta jusqu’aux grilles, à mi-spirale.
« Niveau trente-cinq, O. K. ? demanda-t-il à la cité.
— Allez-y, dit la cybercité. Je ne vous perds pas de vue. »
Il s’enfonçait dans la poussière. Des toiles d’araignée s’accrochaient à lui. Dans le faisceau de sa lampe, il aperçut un cercle formé de squelettes desséchés : des gens qui, sous l’effet de la Récompense Moléculaire, s’étaient pris pour des champignons. Il transmit l’information à la cité, mais on ne pouvait procéder à l’Echantillonnage sur des ossements.
Il continua, passant devant des poutres, des cylindres creux et des conduits de toutes tailles, certains chauds, qui semblaient battre comme des cœurs, d’autres flexibles et froids. La poussière grise et noire, spongieuse, lui montait jusqu’aux chevilles, s’amoncelant dans les coins et recouvrant tout d’un capiton poudreux. Les câbles et les fils métalliques étaient transformés en colonnes épaisses. Il dut à plusieurs reprises chasser les dépôt cotonneux pour identifier l’objet ainsi masqué.
Des traces de rats, profondes, ressemblant à celles de serpents, s’entrecroisaient dans la poussière. Il y avait des crottes de rats partout. Il promena le rayon de sa lampe autour de lui. Des centaines de paires d’yeux en vrille s’allumèrent.
« Cité, fit-il. Il y a des tas de rats, ici.
— La plupart de mes citoyens croient à la réincarnation, fit la voix dans son casque, et ne mangent pas de viande. Ils croient voir leurs ancêtres dans les rats. »
Val dit ironiquement : « Si je croyais en la métempsychose, je penserais plutôt que mes ancêtres seraient ravis de voir abréger leur carrière de rat. De plus, nous sommes à présent les seuls carnivores pouvant détruire les rats, et c’est peut-être dans l’Ordre de la Nature que nous les mangions. »
Cette philosophie cynique n’eut aucun effet sur la cité. Elle le dirigea vers l’endroit où les nids étaient en plus grande densité. Il rampa sous un conduit d’air qui sifflait. Il s’accrocha à une robuste solive pour passer au-dessus d’un gouffre profond, sur un tuyau étroit. Quand il dirigea sa lampe vers le bas, le vertige étreignit sa commissure cardio-œsophagienne. Seule une toile d’araignée venait de temps en temps intercepter le faisceau lumineux. L’abîme noir semblait sans fond. Devant lui, il vit l’un des organes de la cité : une sphère de trente mètres de diamètre, à laquelle des flexibles faisaient une tête de méduse. Il la toucha. Elle était chaude, sèche et silencieuse.
« J’ai trouvé un de tes organes énergétiques. »
La cité consulta les plans de son anatomie. « Mes filtres membraneux sont à droite. »
Il pataugea dans la poussière jusqu’en haut d’une épaisse conduite. Elle était creuse. Des voix et des bruits de pas la faisaient vibrer. C’était un boyau. Les rats adultes devenaient plus nombreux et plus hardis. Ils restaient obstinément sur son passage, jusqu’à ce qu’il les pousse du pied. Ils ne devaient pas être très savoureux. La puanteur douceâtre des nids vint frapper ses narines. Moite, ruisselante, l’énorme sphère froide des filtres membraneux se profila bientôt. La transpiration de la cité se condensait et dégoulinait le long de la paroi extérieure, alimentant en eau potable les rongeurs. En dessous du filtre, de petits nids sombres s’aggloméraient sur les poutres ; de courts tunnels creusaient la poussière visqueuse. En s’approchant, il ressentit sous ses pieds une démangeaison causée par la vibration des pompes.
Il libéra l’azote dans son sac et enfila le gant épais indispensable dans cette chasse. Il choisit un grand nid et y introduisit sa main. Les tendres bébés rats qui attendaient leur mère partie en quête de nourriture se pressèrent sur le gant. Il en ramassa trois poignées qu’il fourra dans le sac à gaz. Leurs couinements et leurs soubresauts cessèrent très vite.
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