Larry n’était pas très sûr de pouvoir s’adapter à l’Araignée d’Uréthane. « J’ai l’impression de chevaucher une pieuvre, » se plaignit-il. Le mannequin ne pouvait que faire vibrer sa membrane linguale endommagée. « Et à quoi vont me servir tous ces accessoires ? Quatre jambes ! Un arbre de transmission motrice et des montures filetées ! J’ai tout d’une mache sortie du magasin à outils ! Et ces bras sont peut-être pratiques quand il y a des choses à porter, mais, la plupart du temps, ils sont encombrants ! »
Rorqual calma l’homme-tronc. « C’est ce que nous avons de mieux. Nous allons tâcher de t’en trouver un ayant une forme plus humaine, mais, en attendant, celui-ci te fournira des jambes. Il comporte un Épurateur de Sang, si bien que tu pourras varier un peu ton régime. »
— « Voilà au moins une chose positive. Je commençais à en avoir assez de manger de la verdure trois fois par jour. Mais tous ces accessoires ? »
— « Les bras, l’arbre de transmission et les autres dispositifs s’escamotent. Le corps peut se rapetisser, à l’avant et à l’arrière, et les pattes arrière se replient dans celles de devant. Tu seras un bipède dans les salles de danse, et un quadrupède dans les montagnes. »
— « Un satyre ou un centaure… intéressant, » dit Larry. Il se rendit aux citernes qui contenaient ses fluides de perfusion. Il y ajusta le bac du mannequin et rechargea ses reins artificiels. « Tu ne parles pas beaucoup, hein ? »
Le mannequin se contenta de bourdonner.
« Tu fais du bon travail, » poursuivit Larry. « Tu sais lire les myogrammes, incontestablement. Je viens juste d’avoir l’idée d’avancer d’un pas, et tu l’as fait. Tu piaffes quand je suis énervé et que j’ai envie de taper du pied. Tu donnes des ruades lorsque je suis content. Tu as dû étudier le comportement des ongulés. Tu ne peux vraiment pas parler du tout ? »
Ce fut Rorqual qui répondit, par le haut-parleur du mannequin. « L’Araignée d’Uréthane est équipée d’un cybercortex juvénile, pas encore formé. Elle ne possède pas encore de personnalité propre. À mon bord, elle pourra entrer en participation avec moi, comme l’a fait Trilobite quand il était jeune. Si tu restes loin de moi pendant de longues périodes, elle mûrira et développera son individualité. Pour le moment, elle est ton cervelet et ton tronc cérébral, et sa fonction est reliée à la vessie, aux intestins et aux jambes. Parle-lui sans gêne, c’est à moi que tu parleras. »
— « Un cortex en apprentissage… avec pastilles de grenat bullomagnétiques ? »
— « Oui. Sors sur le pont pour t’entraîner au trot. » Le martèlement rythmique des sabots enchanta Larry : marche, trot, petit galop, grand galop. Tous les mécanismes fonctionnaient sans heurt.
« Salut ! » appela une voix féminine dans l’ombre du sabord avant. Un méli-mélo de maches de récupération entourait la lumière orangée émanant du magasin à outils, au-dessous. Larry le Centaure avança par petits bonds et regarda en bas. Les Maches Ponceuses et les Meules s’activaient, produisant un vacarme de quatre-vingt-dix décibels. Des éléments d’une Mache de Guerre étaient étalés sur les genoux d’un Tour mécanique.
« Salut ! »
Larry se tourna vers les machines obscures à proximité. « Est-ce que l’une de vous fonctionne ? » Il promena à la ronde le faisceau de sa lampe pectorale. Épidermes métalliques déformés et couverts d’algues, optiques aveugles. Mais l’une des paires d’optiques clignota en retour. « C’est donc toi. Tu n’as pas assez d’énergie pour allumer tes lampes-témoin ? »
— « Non, » dit-elle. « Durant la bataille, on m’a mise en manuel, ce qui m’a épuisée. Je suis très bas. »
Larry regarda autour de lui. « Je vais amener un câble générateur… »
— « Non. Mes plaques sont O.K. C’est ma roue inertielle qui en a besoin. C’est un volant à support magnétique qui emmagasine la force giratoire. Je l’emploie pour tout, excepté le travail mental. »
— « Et comment recharge-t-on ce volant ? »
— « Tu montes l’Araignée d’Uréthane. Elle m’a déjà dépannée. As-tu le temps de t’occuper de moi ? »
— « Ça dépend. Laisse-moi te sortir de ce tas de ferraille. Mais… tu n’es qu’une boîte ! »
— « J’ai perdu mes accessoires dans une explosion. Ma mâchoire d’accouplement flexible se trouve sous le dessous. Elle peut se raccorder à l’extrémité de ton arbre de transmission. »
— « Eh bien… Je ne sais pas… »
— « L’Araignée l’a déjà fait. Ça ne prend qu’une seconde. Appelle une grue avec un crochet à pivot et soulève-moi à environ un mètre du sol. Je pèse une cinquantaine de kilos ; alors, attention à tes pieds… euh !… tes sabots. » Elle gloussa.
Larry apprit une foule de choses sur son nouveau corps-mache. Son arbre de transmission était une tige flexible dotée d’une capacité de torsion de vingt-cinq kilos. Une enveloppe flexible protégeait ses doigts vulnérables durant l’opération.
« Utilise l’huile lourde au bisulfure de molybdène pour réduire le coefficient de friction des surfaces d’accouplement, » lui recommanda-t-elle.
— « Je ferais peut-être mieux de sortir d’ici. Je n’aime pas être aussi proche d’un générateur. »
— « Ce n’est pas nécessaire. Mets ce casque spécial. » Il obéit.
« Garde la même capacité de torsion. N’oublie pas que l’arbre déviera en charge maximum. Il se mettra à tourner comme une hélice. Mais nous ferions mieux d’enclencher notre monture hélicoïdale pour plus de sûreté : quarante-cinq degrés d’inclinaison, un virgule soixante-quinze sur l’arbre, cinq rainures par centimètre. »
Elle prescrivit au centaure de passer en position satyre et de s’étendre sur le pont pour aligner les biseaux. Elle descendit en pivotant sur l’écrou, selon la meilleure technique « panier oriental ». À chaque tour, elle descendait d’un demi-centimètre environ. Après trente révolutions, la boîte se mit en place. Le long câble qui la reliait à la grue se mit à vibrer, d’un mouvement simple et harmonique. Quand la monture se resserra, un fluide visqueux réduisit les vibrations.
« Maintenant ! » dit-elle. « Enclenche l’arbre de transmission. Mon diamètre de logement est suffisamment grand. Je suis conçue pour recevoir quarante-cinq mille livres par centimètre carré. » Ses lampes papillotèrent plusieurs fois, puis s’allumèrent de tout leur éclat. De nombreuses lampes-témoin pailletaient son châssis. Il y en avait trois grosses au centre, qui ressemblaient à des yeux. D’autres étaient disposées en volutes et en boucles, beaucoup plus décoratives que fonctionnelles. Des alvéoles vides marquaient l’emplacement des bras et des jambes.
Le pont rugueux irritait le dos de Larry.
« Ça va ? »
— « Parfait. Merveilleux ! » Sa voix était trop chaude. « Tu peux disconnecter le câble générateur et me faire pivoter dans l’autre sens pour défaire l’accouplement. »
La grue la redéposa parmi les robots de guerre cassés. Ses lampes témoin flamboyaient. « Merci. C’était vraiment très gentil. »
Larry était euphorique, ce qui lui parut louche. Il se releva et épousseta son mannequin. Quand il ôta son casque, les marques sur son dos lui causèrent des élancements. À nouveau, il était irrité. Ce changement d’humeur lui mit la puce à l’oreille. Il examina l’intérieur du casque. Des transducteurs gris tendre lui firent un clin d’œil. « Des stériosoniques ! » s’écria-t-il. « À quoi ce dispositif est-il relié ? »
— « Il est branché sur la zone érogène de ton mannequin : la monture filetée. Ces soniques sont dirigés sur ton hypothalamus et plusieurs noyaux du cerveau moyen : Brady, Lilly, Olds… le système réticulaire. »
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