— Maxwell ? C’est bien vous, le bon ami d’O’Toole ?
— Je suis votre ami à tous. Je suis resté auprès du Banshee quand il est mort, à votre place.
— Mais vous trinquez avec O’Toole, vous discutez avec lui et vous écoutez ses mensonges.
O’Toole fit un bond en avant, fou furieux :
— Je t’enfoncerai ce que tu viens de dire dans la gorge. Attends donc un peu que je t’attrape…
Il s’arrêta net quand Sharp l’attrapa par le fond de son pantalon et qu’il le maintint suspendu, ivre de colère.
— Continuez, dit Sharp à Maxwell. Si ce petit bonhomme s’avise d’entrouvrir la bouche, je le plonge dans la première mare que je trouve.
Sylvester se glissa près de Sharp. Il avança le cou pour renifler délicatement O’Toole. Celui-ci fit des moulinets désespérés :
— Emmenez-le ! cria-t-il.
— Il vous prend pour une souris, dit Oop, il se demande si vous en valez la peine.
Sharp envoya un coup de pied dans les côtes de Sylvester qui s’enfuit en grognant.
— Harlow Sharp, dit Carol en s’avançant, ne refaites jamais une chose pareille. Si jamais…
— Taisez-vous, cria Maxwell exaspéré. La ferme ! Tous ! Pendant que le dragon est en train de se battre pour vivre, vous ne trouvez rien de mieux à faire que de vous chamailler !
Tous se turent.
Maxwell attendit un instant, puis s’adressa aux Trolls :
— Je ne sais pas ce qui s’est passé avant. Je ne connais pas vos problèmes mais nous avons besoin de vous. Je vous promets de bonnes garanties mais je vous promets aussi, si vous n’êtes pas raisonnable, une bonne décharge d’explosifs sous le pont.
Une voix faible et criarde s’éleva depuis le pont :
— Tout ce que nous avons jamais demandé est qu’O’Toole le fort en gueule nous donne un tonneau de douce bière d’Octobre.
Maxwell se retourna :
— Est-ce vrai ?
Sharp reposa O’Toole pour le laisser répondre.
— C’est contre toutes les traditions, s’écria ce dernier. Voilà ce que c’est. Nous avons toujours été les seuls à brasser la bière joyeuse et nous la buvons seuls. Nous ne pouvons en produire davantage que ce que nous pouvons boire. Et si nous en donnons aux Trolls, les Fées en voudront et…
— Vous savez très bien, dit Oop, que les Fées ne boivent que du lait, tout comme les Farfadets.
— Nous serions tous assoiffés par votre faute, cela représente beaucoup de travail de brasser la quantité dont nous avons besoin.
— On peut sûrement vous aider, suggéra Sharp.
M. O’Toole trépigna de colère :
— Et les insectes ? Je suis sûr que vous les retireriez de la bière, avec votre hygiène ! Pour faire de la bonne bière d’Octobre, il faut y faire tomber des insectes et d’autres choses très malpropres qui donnent toute la saveur.
— Nous y mettrons des insectes, dit Oop. Nous vous en attraperons un seau entier, s’il le faut.
O’Toole virait au violet :
— Vous n’y comprenez rien. Il faut que les insectes y tombent d’eux-mêmes. La sélection est toute naturelle. Je…
Ses mots se transformèrent en un cri étranglé.
Carol appela durement :
— Sylvester, lâche-le, ça suffit !
O’Toole dépassait de la gueule de Sylvester qui le tenait par la tête, de sorte qu’il ne pouvait toucher le sol.
Oop se tordait de rire, allongé sur le sol qu’il frappait à coups de poing.
— Il prend O’Toole pour une souris. Regardez le petit minet qui a attrapé une souris.
Sylvester prenait tout cela très gentiment, il ne blessait que la dignité de O’Toole. Il le tenait délicatement.
Sharp se prépara à donner un coup de pied au chat.
— Non, hurla Carol, ne le touchez pas !
— Ça va, Harlow, dit Maxwell, laisse-le. Il a bien mérité une récompense pour ce qu’il a fait dans ton bureau.
— Nous leur ferons leur tonneau de bière, hurla frénétiquement O’Toole. Nous leur en ferons même deux.
— Trois ! cria la petite voix du pont.
— D’accord.
— Vous ne vous défilerez pas ? demanda Maxwell.
— Les Lutins n’ont qu’une parole.
— Bon, ça va, maintenant tu peux donner ton coup de pied.
Sharp prit son élan, Sylvester lâcha O’Toole et recula.
Les Trolls jaillirent du pont et s’égaillèrent sur la colline en poussant des cris de joie.
Les Humains commencèrent l’escalade de la pente, derrière les Trolls.
Devant Maxwell, Carol trébucha et tomba. Il s’arrêta pour l’aider à se relever. Elle se dégagea et se tourna vers lui, furieuse :
— Ne me touchez pas. Et ne m’adressez plus jamais la parole. Vous avez dit à Harlow de frapper Sylvester, vous m’avez injuriée, vous m’avez dit de la fermer !
Elle s’éloigna rapidement vers le sommet de la colline.
Après un moment de stupeur, Maxwell reprit sa marche. Il évitait les rochers et s’agrippait aux arbustes pour se hisser.
Du haut de la colline, lui parvinrent des exclamations retentissantes. Il vit sur sa gauche une masse noire qui tombait du ciel, ses deux roues tournant à toute vitesse dans le vide. Elle alla s’écraser dans les bois. Il s’arrêta et regarda en l’air, il vit deux autres globes qui se précipitaient l’un vers l’autre. Ni l’un ni l’autre ne ralentirent et ils explosèrent sous le choc. Les débris retombèrent et un crépitement dans les feuilles l’avertit qu’ils avaient touché terre.
En haut, les exclamations continuaient et dans le lointain, tout à fait au sommet de la colline, il entendit plutôt qu’il ne le vit un objet qui tombait du ciel.
Il était seul quand il se remit à grimper.
Il se dit que tout était terminé. Les Trolls avaient fini leur ouvrage et le dragon pouvait redescendre. Il se sourit à lui-même. Il avait passé des années à chercher un dragon et enfin, il était là. Mais peut-être que ce dragon était davantage que ce qu’il s’était imaginé. Qu’était-il exactement ? Pourquoi avait-il été transformé en Artifact ?
C’était très bizarre. L’Artifact qui avait toujours été hermétique et résistant à tout et qui avait livré son secret au moment exact où il s’était servi du transposeur. Que s’était-il produit ? Le transposeur avait sûrement joué un rôle mais lequel ? Les habitants de la planète de cristal connaîtraient sûrement la réponse. Cela devait faire partie de leurs connaissances qui dépassaient toutes celles de l’entière Galaxie. Le transposeur s’était-il trouvé dans ses bagages sous l’effet du simple hasard ? Avait-il été placé là intentionnellement pour l’utilisation exacte que Maxwell en avait fait ?
Il se souvint s’être autrefois demandé si l’Artifact n’aurait pas été un dieu pour les Petits Hommes ou d’autres créatures qui leur auraient été très proches. Aurait-il eu raison ? Le dragon serait-il un dieu des jours anciens ?
Il reprit son escalade mais plus lentement car il n’avait plus aucune raison de se hâter, pour la première fois depuis son retour de la planète de cristal.
Il était à mi-chemin de la pente lorsqu’il entendit une musique. Elle était si faible qu’il se demanda s’il ne s’était pas trompé. Il s’arrêta et cette fois il en fut certain. Il y avait de la musique.
Le soleil apparaissait tout juste à l’horizon et il baignait d’une lumière aveuglante la cime des arbres qui prenaient des tons flamboyants, mais la pente, elle, était toujours dans la demi-obscurité du matin.
Il tendit l’oreille. On aurait dit le murmure d’un ruisseau argenté sur des cailloux. C’était une musique aérienne, féerique. Féerique était bien le mot : sur la pelouse aux Fées jouait un orchestre de Fées.
Il se parla à lui-même :
Читать дальше