— En voilà une, dit Lambert. Comment cela se fait-il ?
— Monsieur Marmaduke, dit Maxwell, je suis heureux de vous revoir.
— Non, dit le Roulant, je ne suis pas M. Marmaduke, vous ne le verrez plus. Il est en disgrâce, il a commis une grave erreur.
Sylvester fit un pas en avant mais Oop l’agrippa par la peau du cou. Il le tint pressé contre lui, et le chat essaya de se dégager en se débattant.
— Un engagement avait été pris, continua le Roulant, par un humanoïde répondant au nom de Harlow Sharp. Lequel d’entre vous se nomme ainsi ?
— Je suis votre homme, dit Sharp.
— Alors, monsieur, je dois vous demander ce que vous avez l’intention de faire pour remplir votre engagement ?
— Je ne peux rien faire. L’Artifact est parti et ne pourra être livré. Vous serez bien sûr remboursé.
— Ceci, monsieur Sharp, ne sera pas suffisant. Nous allons vous intenter un procès. Nous allons faire de notre mieux pour vous ruiner et…
— Misérable roulette, hurla Sharp, vous n’avez aucune loi pour vous. La loi galactique ne s’applique pas à une créature comme vous. Si vous croyez pouvoir venir ici pour me menacer…
Fantôme apparut juste devant la porte.
— Il est grand temps, lui dit Oop, furieux. Où as-tu passé la soirée ? Qu’as-tu fait de Shakespeare ?
— Le barde va bien, dit Fantôme. Mais j’ai d’autres nouvelles.
Il fit un geste en direction du Roulant :
— D’autres Roulants comme celui-ci ont envahi la réserve des Lutins pour capturer le dragon.
Ainsi, se dit Maxwell, c’était le dragon qu’ils voulaient. Se pouvait-il qu’ils en aient connu l’existence depuis le début ?
Sûrement, car ils existaient à l’époque jurassique.
Ils effectuaient les travaux à l’époque jurassique sur la Terre, mais sur combien d’autres planètes et à combien d’autres époques avaient-ils fait la même chose ? Lambert avait dit qu’ils étaient les serfs, les chevaux de trait, les portefaix. Étaient-ils les représentants les plus inférieurs de l’ancienne colonie, ou bien l’avaient-ils été ? À moins qu’ils ne soient que des animaux domestiques équipés d’un moteur génétique.
Et maintenant, ces anciens esclaves avaient fondé leur propre empire et ils voulaient quelque chose qu’ils considéraient, peut-être à juste titre, comme leur héritage, puisque nulle part ailleurs, il n’y avait de trace du grand projet de colonisation de la planète de cristal.
Peut-être avaient-ils raison. Dans le fond, c’était leur labeur qui avait fait fonctionner le projet. Peut-être que le Banshee avait pensé faire justice quand il avait voulu aider les Roulants. À moins qu’il n’ait trouvé que le trésor de science ne devait pas aller à des étrangers, mais plutôt à ceux qui avaient aidé à l’élaboration du grand projet de colonisation.
Sharp s’adressa au Roulant :
— Vous voulez dire que pendant que vous êtes là à me menacer, vos semblables, ces bandits sont en train de…
— Il joue sur tous les tableaux, dit Oop.
— Le dragon est retourné chez lui, dit Fantôme. Le seul havre qu’il connaisse sur toute la planète, la résidence des Petits Hommes. Il a voulu revoir ses compagnons. Il survolait la vallée dans le clair de lune quand les Roulants l’ont attaqué. Ils essayent de le faire tomber pour le capturer. Il lutte magnifiquement mais…
— Les Roulants ne volent pas, lui fit remarquer Sharp. Vous dites qu’ils sont nombreux, ou tout au moins, vous le laissez supposer, or c’est impossible, M. Marmaduke était seul.
— Je vous assure qu’ils volent, dit Fantôme, et leur nombre est surprenant. Peut-être étaient-ils ici depuis toujours, cachés. Ils sont peut-être venus par la gare des Transports.
— Il faut y mettre fin, dit Maxwell, nous pourrions appeler les Transports ?
Sharp fit non de la tête :
— C’est impossible, les Transports sont intergalactiques, pas seulement terrestres. Nous ne pouvons rien faire.
— Monsieur Marmaduke, dit l’inspecteur de sa voix la plus officielle, je crois que je ferais mieux de vous conduire au poste.
— Cessez ces bavardages, commanda Fantôme. Les Petits Hommes ont besoin de nous.
Maxwell s’empara d’une chaise et la brandit :
— Ne faisons plus les idiots. Et vous, l’ami, dit-il au Roulant, vous allez parler, sinon je vais vous démolir.
Des sortes de petits lance-flammes jaillirent de la poitrine du Roulant et une odeur fétide les saisit. Leur estomac se révulsa et ils suffoquèrent.
Maxwell se sentit tomber sur le sol, incapable de contrôler son corps qui lui semblait paralysé par la terrible odeur. Il roula au sol et il s’agrippa la gorge des deux mains pour la déchirer et permettre à l’air d’y pénétrer. Mais il n’y avait plus d’air, rien que l’odeur méphitique du Roulant.
Au-dessus de lui, il entendit un hurlement effroyable et il vit Sylvester, suspendu, les griffes enfoncées dans le haut du corps du Roulant, labourant de ses pattes arrière la panse transparente dans laquelle se trémoussait l’immonde vermine. Les roues du Roulant roulaient frénétiquement mais elles ne fonctionnaient plus bien, tournant en sens inverse ce qui lui faisait danser un ballet vertigineux. Sylvester était toujours désespérément accroché, occupé à déchirer le ventre du Roulant. On aurait dit qu’ils dansaient la valse.
Une main invisible agrippa Maxwell par le bras et le traîna sans cérémonie. Il heurta le seuil et bientôt la puanteur diminua. Il aspira enfin une bouffée d’air.
Il roula sur lui-même, se mit à quatre pattes et fit un effort pour se relever. Il se frotta les yeux, l’air était encore lourd mais il ne suffoquait plus.
Sharp était allongé contre le mur, en train de haleter et de s’essuyer les yeux. Carol était effondrée sur le sol. Oop tirait Nancy hors de la pièce empuantie de laquelle provenaient les cris du tigre au travail.
Maxwell fit quelques pas en titubant, il ramassa Carol et la balança sur son épaule comme un sac de pommes de terre. Il fit demi-tour et se retrancha dans le couloir.
Il s’arrêta après avoir parcouru une dizaine de mètres et en se retournant, il vit le Roulant se précipiter hors du bureau. Il s’était finalement débarrassé de Sylvester et ses deux roues tournaient à l’unisson. Il s’avança dans le couloir, roulant désespérément, de biais, se heurtant aux murs. Une grande déchirure s’ouvrait au milieu de sa panse et de petits objets blanchâtres en tombaient qui s’éparpillaient sur le sol.
À trois mètres de Maxwell, une des roues se brisa en heurtant le mur et il s’effondra. Lentement, avec une sorte de dignité, il bascula et son ventre ouvert vomit un demi-hectolitre de vermine qui se répandit sur le sol.
Sylvester arriva furtivement, le museau tendu par la curiosité, marchant à longs pas souples sur son ouvrage. Oop et les autres le suivaient.
— Vous pouvez me poser maintenant, dit Carol.
Maxwell la remit sur ses pieds, elle s’appuya contre le mur :
— Je n’ai jamais vu une façon aussi indigne de porter quelqu’un. Vous n’êtes pas galant pour un sou.
— Excusez-moi, dit Maxwell, j’aurais dû vous laisser là-bas.
Sylvester s’était arrêté et il reniflait le Roulant en tendant le cou avec des mines de dégoût et de surprise. Le Roulant ne donnait aucun signe de vie. Satisfait, Sylvester se retira et, accroupi, se mit à faire sa toilette. À côté du corps du Roulant, le tas d’insectes remuait, quelques-uns se dirigèrent même vers le mur.
Sharp fit un crochet en passant devant le Roulant :
— Venez, dit-il, sortons d’ici.
Le couloir empestait encore.
Nancy gémit :
— Mais que signifie toute cette histoire ? Pourquoi M. Marmaduke ?…
Читать дальше