— Je ne sais pas, Harlow, dit Nancy Clayton depuis le seuil du bureau. Je n’ai jamais voulu être mêlée à quoi que ce soit. Tout ce que j’essaye de faire c’est distraire mes amis et je ne vois pas ce qu’il y a de mal.
— Je vous en prie, Nancy, dit Sharp, commencez par me dire de quoi il s’agit. Pourquoi êtes-vous ici ainsi que l’inspecteur Drayton et pourquoi…
— Il s’agit de Lambert, dit Nancy.
— Vous parlez de celui qui a fait le tableau que vous possédez ?
— J’en ai trois, dit fièrement Nancy.
— Mais, il est mort depuis plus de cinq cents ans.
— C’est aussi ce que je pensais, dit Nancy, mais il est arrivé ce soir. Il a déclaré être perdu.
Un homme pénétra dans la pièce, écartant Nancy. Il était grand et rude, avec des cheveux couleur sable et un visage marqué de rides profondes.
— On dirait que vous parlez de moi. Verriez-vous un inconvénient à ce que je m’explique directement ?
Il parlait avec un drôle d’accent et il les regardait tranquillement, avec une expression de grande bonté dans les yeux. Il était impossible de lui trouver quoi que ce soit d’antipathique.
— Vous êtes Albert Lambert ? demanda Maxwell.
— Oui, et j’espère que je ne vous dérange pas mais j’ai un problème.
— Et vous pensez être le seul ? demanda Sharp.
— Je ne sais pas. Je pense que beaucoup de gens en ont. Quand on a un problème, la question est de savoir où aller pour y trouver une solution.
— Monsieur, dit Sharp, je suis exactement dans la même situation et tout comme vous, je cherche la réponse.
— Mais ne voyez-vous pas, dit Maxwell, que Lambert a été bien inspiré ? Il est venu directement là où on peut résoudre son problème.
— À votre place, jeune homme, dit Drayton, je ne serais pas si catégorique. L’antre jour, vous vous êtes montré très rusé, mais cette fois-ci, je ne vous laisserai pas vous défiler. J’ai un tas de questions…
— Inspecteur, je vous prie de rester en dehors de tout cela, dit Sharp.
— Les choses sont assez compliquées sans que vous vous en mêliez. L’Artifact a disparu, le musée est entièrement dévasté et Shakespeare s’est volatilisé.
— Mais tout ce que je veux, dit Lambert calmement, est retourner chez moi, en 2023.
— Attendez une minute, ordonna Sharp. De quoi parlez-vous ?
— Harlow, je t’ai tout expliqué cet après-midi. Je t’ai posé des questions à propos de Simonson. Tu te le rappelles sûrement ?
— Simonson, oui maintenant je me le rappelle. Sharp regarda Lambert. Vous êtes celui qui a peint l’Artifact.
— L’Artifact ?
— Une grosse pierre noire en haut d’une colline.
— Non, je ne l’ai pas peint mais je pense le faire. En fait, il semble que je l’ai déjà peint car Mlle Clayton me l’a montré et il s’agit incontestablement d’une de mes œuvres. Et d’ailleurs, je ne trouve pas cela trop mal.
— Alors, vous avez réellement vu l’Artifact ? Vous êtes allé à l’époque jurassique ?
— Jurassique ?
— Deux cents millions d’années en arrière.
Lambert parut surpris :
— Ainsi, c’était il y a si longtemps ? Je savais qu’il s’agissait d’une époque très lointaine, j’ai vu des dinosaures.
— Mais vous deviez être au courant puisque vous voyagiez dans le temps.
— L’ennui, c’est que mon unité de temps s’est déréglée. Je ne peux pas choisir mon époque.
Sharp se prit la tête entre les mains :
— Voyons. Ne nous précipitons pas, regardons une chose à la fois.
— Je vous ai expliqué, dit Lambert, que je ne demandais qu’une chose, c’est rentrer chez moi, dans mon époque.
— Où est votre engin ? demanda Sharp. Nous pourrions y jeter un coup d’œil.
— Il n’est nulle part. Je le promène partout, il est dans ma tête.
— Dans votre tête ? Une unité de temps dans la tête, mais c’est impossible !
Maxwell sourit à Sharp :
— Cet après-midi, vous m’avez dit que Simonson avait très peu parlé de sa machine à voyager dans le temps. Il semble…
— C’est vrai, je vous ai dit cela mais qui aurait pu penser à un système installé dans le cerveau même du sujet ? Cela implique un principe que nous ignorons totalement.
Il se tourna vers Lambert :
— Avez-vous la moindre idée du fonctionnement du mécanisme ?
— Pas du tout. Tout ce que je sais, c’est qu’à partir du moment où on me l’a installé dans le crâne, j’ai acquis la faculté de voyager dans le temps. Je peux vous assurer que cela n’a pas été une petite opération. Il me suffit de penser à l’époque où je veux aller, en m’appuyant sur quelques coordonnées assez simples, et j’y suis. Mais quelque chose s’est détraqué. Je vais et je viens dans le temps, sans pouvoir jamais me trouver à l’époque que je désire.
— Cela présente des avantages certains, dit Sharp. Cela permet l’indépendance d’action, et c’est beaucoup moins volumineux que le système que nous connaissons. Il faudrait l’installer dans le cerveau et… Lambert, je suppose que vous n’y connaissez pas grand-chose ?
— Rien du tout, je vous l’ai déjà dit. Je ne m’y suis pas beaucoup intéressé. Simonson est un de mes amis…
— Mais pourquoi êtes-vous venu ici ? En ce lieu, à cette époque ?
— Un accident, rien de plus. Une fois arrivé, j’ai eu l’impression que c’était beaucoup plus civilisé que beaucoup d’autres endroits dans lesquels j’avais été. Je me suis posé des questions pour savoir comment m’orienter. Une des premières choses que j’ai apprises a été que vous connaissiez les voyages dans le temps et qu’il existait un Collège du Temps ; donc je n’avais jamais été si avant dans le futur. Ensuite, on m’a dit que Mlle Clayton possédait une de mes œuvres. Je me suis dit qu’elle serait sans doute bien disposée à mon égard et je me suis mis à sa recherche, pour qu’elle me dise où je pourrais trouver quelqu’un qui pourrait me renvoyer chez moi. Et c’est pendant que j’étais chez elle que l’inspecteur est arrivé.
— Avant de poursuivre, monsieur Lambert, dit Nancy, je voudrais vous poser une question. Pourquoi lorsque vous étiez à l’époque jurassique et que vous avez peint ce tableau…
Lambert la coupa :
— Vous oubliez que je ne l’ai pas encore peint. J’ai fait quelques esquisses et un de ces jours…
— Eh bien, disons quand vous peindrez ce tableau, pourquoi n’y mettrez-vous pas de dinosaures ? Vous venez de dire qu’il y en avait.
— Je n’en ai pas mis pour la simple raison qu’il n’y en avait pas.
— Mais vous avez dit…
— Vous devez comprendre, expliqua patiemment Lambert, que je ne peins que ce que je vois. Je ne change rien à la réalité. Et il n’y avait pas de dinosaures parce que les créatures du tableau les avaient chassés. C’est pourquoi je n’ai peint ni les dinosaures ni les autres créatures.
— De quoi parlez-vous ? demanda Maxwell. Qu’étaient ces autres créatures ?
— Eh bien, mais celles avec des roues !
Il s’interrompit et contempla les visages abasourdis de ses auditeurs :
— Ai-je dit quelque chose de mal ?
— Oh non, pas du tout, dit gentiment Carol. Continuez, monsieur Lambert. Parlez-nous de ces créatures.
— Vous ne me croirez probablement pas. Je ne sais pas ce qu’elles étaient au juste. Peut-être des esclaves, des chevaux de trait, des porteurs de fardeaux. Elles étaient vivantes mais elles avaient des roues à la place des pieds et chacune d’entre elles était un amas d’insectes, un genre de fourmis ou d’abeilles. Vous ne me croyez sans doute pas mais je vous jure…
Ils perçurent à ce moment un bruit de roues qui descendaient le couloir. Le bruit se rapprocha et devint plus distinct ; arrivé à hauteur de la porte, il diminua et tout à coup, ils virent un Roulant dans l’embrasure de la porte.
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