Robert Wilson - À travers temps

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Août 1964 : Le voyageur temporel Ben Collier s’installe à Belltower, au nord-ouest des États-Unis, dans une maison de cèdre qui cache bien des secrets.
Avril 1979 : Le soldat Billy Gargullo débarque d’une Amérique future à feu et à sang, dont toute la filière agricole est à l’agonie. Après avoir éliminé le gardien de l’avant-poste de Belltower, il disparaît encore plus profondément dans le passé.
1989 : Récemment licencié, largué par sa compagne,Tom Winter revient dans sa ville natale, Belltower, où il acquiert une banale maison en cèdre.
Un soir, sa petite télé à cent dollars s’allume toute seule et n’affiche plus que le message : « Aidez-moi. »

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— On pourra en parler quand on aura trouvé un endroit sûr.

— Ça ne finira jamais, pas vrai ? Bordel, Tom. J’ai vu beaucoup trop d’horreurs, ce soir. Ne me sors pas ce genre de conneries. Tu n’es pas obligé de rentrer, si tu ne veux pas. Moi, il faut que je dorme.

— Écoute, écoute-moi. Si tu passes la nuit dans cet appartement, il pourrait t’arriver la même chose qu’à Lawrence. Ce n’est pas ce que je veux, mais je n’y peux rien. »

Elle le regarda d’un air dur… puis sa colère sembla refluer, engloutie par un épuisement extrême. Peut-être pleurait-elle, Tom n’aurait pu le dire, avec la pluie et le reste.

Elle dit : « Je croyais t’aimer ! Je ne sais même pas ce que tu es !

— Laisse-moi t’emmener quelque part.

— Comment ça, quelque part ?

— Loin d’ici. J’ai une voiture qui m’attend, avec un ami au volant. S’il te plaît, Joyce. »

Archer sortit la tête par la fenêtre de la Ford pour crier quelque chose qui se perdit dans le chuintement de la pluie, puis recula à l’intérieur pour lancer le moteur.

Tom sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Il tira Joyce en direction de l’automobile.

Elle résistait et allait faire demi-tour quand une entaille fumante s’ouvrit sur le perron en béton à quelques centimètres de sa main. Les yeux bêtement fixés sur le matériau noirci, Tom mit quelques secondes à comprendre. Une espèce d’arme avait fait cela, une espèce de pistolet laser. C’était ridicule, quoique tout à fait terrifiant. Dans la voiture, Archer se pencha par-dessus le dossier du siège pour ouvrir la portière arrière, vers laquelle Tom poussa Joyce. Cette fois, elle ne résista pas, mais était trop stupéfaite pour coordonner le mouvement de ses jambes. Elle dégringola sur la banquette, Tom derrière elle, en un mouvement qui sembla durer une éternité, tandis que la pluie tombait sur le toit en métal avec un bruit de coups de feu.

Archer lança sa Ford de location dans la rue avant que Tom puisse refermer la portière. Il effectua un demi-tour qui fit crisser les pneus et laissa des traces de dérapage en forme de V sur l’asphalte mouillé.

Depuis l’automobile en train de pivoter, Tom aperçut l’homme qui avait essayé de le tuer.

Si « homme » était le bon terme.

Il n’est pas humain, pensa Tom.

Ou alors recouvert d’une espèce d’équipement, un casque avec lequel il paraissait avoir une sorte de museau et un vieux manteau en tissu comme une bosse sur le dos, le tout luisant dans la pluie et la lumière d’un réverbère.

Ses yeux restèrent braqués sur Tom par la lunette arrière. On ne voyait de son visage qu’un grand sourire d’ivrogne… sourire qui disparut un instant plus tard quand la Ford tourna en zigzaguant au coin de la rue.

Ils abandonnèrent l’automobile dans une rue déserte non loin de Tompkins Square.

Le ciel semblait vaguement plus clair. La pluie avait un peu diminué, mais les caniveaux débordaient presque et de l’eau noire dégoulinait de la marquise déchirée au-dessus de l’entrée de l’immeuble qui abritait le tunnel.

Tom se toucha l’épaule, dans laquelle venait de naître une douleur intense : l’arme du maraudeur l’avait atteint là, par un reflet ou un tir dévié, boursouflant une large portion de peau.

Tous trois s’immobilisèrent un instant dans le hall vide.

« La dernière fois qu’on est venus, dit Tom, il y avait quelque chose dans le tunnel…

— Un fantôme temporel, comprit Archer. Ils ne sont pas vraiment dangereux. À ce qu’on m’a dit. »

Tom en doutait, mais ne releva pas. « Doug, et s’il nous poursuivait ? Rien ne peut l’arrêter, pas vrai ? » Il garda le bras autour des épaules de Joyce, qui restait abasourdie sans bouger contre lui.

« Il pourrait, admit Archer, sauf qu’on sait à quoi s’attendre, maintenant. Il ne peut pas nous prendre par surprise. La maison est une forteresse… je te préviens, tu risques de ne pas la reconnaître.

— Ce n’est pas terminé, comprit Tom.

— Non, ce n’est pas terminé.

— Alors on devrait se dépêcher. »

Montrant le chemin, Tom descendit au sous-sol, franchit le tas de gravats et s’enfonça dans l’espace vide du futur.

17

En se réveillant après douze heures de sommeil dans un lit qu’il n’avait jamais vraiment considéré comme sien, Tom s’aperçut qu’une femme étrange le regardait.

Du moins, se dit Tom, une femme inconnue… il rechignait désormais à utiliser le mot « étrange [7] Appliqué à une personne, l’adjectif anglais strange a ce double sens étrange/inconnu. ».

Assise à son chevet, elle tenait un roman sentimental en édition de poche, qu’elle posa à l’envers sur le genou de son jean. « Vous voilà réveillé, constata-t-elle.

À peine. « Je vous connais ?

— Non… pas encore. Je suis votre voisine. Catherine Simmons. Je vis dans la grande maison, en haut, du côté de la nationale. »

Il rassembla ses pensées. « Mme Simmons, la femme âgée… vous êtes quoi, sa petite-fille ?

— Exactement ! Vous connaissiez Mémé Peggy ?

— Je lui ai fait une fois ou deux bonjour de la main. Je lui livrais son journal quand j’avais douze ans.

— Elle est morte en juin… je suis descendue m’occuper de quelques trucs.

— Oh. Désolé. »

Il inspecta un peu plus longuement les lieux du regard. La même pièce, la même maison, sans vraiment de changements, du moins dans cette partie-là. Il ne se souvenait pas de son arrivée. De douloureuse la blessure de son épaule était devenue handicapante, aussi avait-il parcouru les cinquante derniers mètres du tunnel en gardant les yeux bien fermés et en s’appuyant sur Doug Archer.

Son épaule semblait aller mieux… Il ne vérifia pas s’il restait des cloques, mais la douleur avait disparu.

Il fixa son attention sur Catherine Simmons. « J’imagine que ce n’est pas le genre de choses dont vous aviez l’intention de vous occuper.

— Doug et moi sommes tombés dessus par hasard, en quelque sorte.

— Comme nous tous, j’imagine. » Il se redressa. « Joyce est dans les parages ?

— Il me semble qu’elle regarde la télé. Mais je pense que vous devriez parler à Ben. »

Il pensait aussi. « La télé fonctionne ?

— Oh, Ben s’est beaucoup excusé à ce sujet. Il dit que les cybernétiques ont réussi à vous effrayer sans vous décourager. Elles affrontaient une situation nettement supérieure à leurs capacités et elles s’en sont très mal sorties. Il leur a fait réparer la télé pour vous.

— C’est très gentil de sa part.

— Il vous plaira. Il est sympa. » Elle hésita. « Vous avez dormi longtemps… Vous êtes sûr que ça va ?

— Mon épaule… mais elle a l’air d’aller mieux.

— Votre retour ne semble pas vous enchanter.

— Un ami à moi est mort », indiqua Tom.

Catherine Simmons hocha la tête. « Je connais ce sentiment. Mémé Peggy comptait pas mal dans ma vie. Ça laisse un vide, pas vrai ? Si je peux faire quelque chose, dites-le-moi.

— Vous pourriez m’apporter mes vêtements », répondit Tom.

Il se souvint qu’il était ressorti du puits du temps et qu’il retrouvait l’été 1989… le dernier et brûlant été d’une décennie brûlante, au bord d’un avenir qu’il ne pouvait prédire.

La maison était une forteresse, l’avait prévenu Archer, ce qui se voyait un peu dans le salon : on avait repoussé le mobilier contre les murs, eux-mêmes recouverts d’une foule d’insectes mécaniques semblables à des joyaux. On aurait dit une succursale locale de la caverne d’Ali Baba.

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