Robert Wilson - À travers temps

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Août 1964 : Le voyageur temporel Ben Collier s’installe à Belltower, au nord-ouest des États-Unis, dans une maison de cèdre qui cache bien des secrets.
Avril 1979 : Le soldat Billy Gargullo débarque d’une Amérique future à feu et à sang, dont toute la filière agricole est à l’agonie. Après avoir éliminé le gardien de l’avant-poste de Belltower, il disparaît encore plus profondément dans le passé.
1989 : Récemment licencié, largué par sa compagne,Tom Winter revient dans sa ville natale, Belltower, où il acquiert une banale maison en cèdre.
Un soir, sa petite télé à cent dollars s’allume toute seule et n’affiche plus que le message : « Aidez-moi. »

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— Je suis au courant, oui. Mais s’il en a dans le corps, comment se fait-il qu’elles ne puissent pas l’arrêter ?

— Elles sont comme des abeilles mâles sans ruche : perdues et en manque d’instructions. Mais elles émettent un petit flot de données sur faisceau étroit, une espèce de signal de guidage. Que je peux capter.

Toi, tu peux ? »

Archer tourna la tête pour lui montrer son oreillette, qui ressemblait à une prothèse auditive miniature. « Ben a fait préparer ça à ses cybernétiques pour moi. Je peux savoir quand il se trouve dans un rayon de sept à huit cents mètres… si la réception est bonne. Pareil pour toi, d’ailleurs.

— J’en ai en moi ?

— Absolument inoffensives. Ne te mets pas dans tous tes états, Tom. Elles t’ont peut-être sauvé la vie. Ça fait trois jours que je sillonne Manhattan en voiture, de Battery Park à Washington Heights, en espérant me retrouver à portée. » Il inclina la tête. « Tu fais un bruit de téléphone. Une tonalité. Le maraudeur, on dirait plutôt une fraise de dentiste.

— Tu veux dire qu’il était là-bas, dans l’immeuble de Larry Millstein.

— Tu comprends pourquoi je tenais tant à partir.

— Il a dû savoir que je venais.

— J’imagine. Mais…

— Non, l’interrompit Tom. Laisse-moi réfléchir. »

Il avait du mal rien qu’à penser. Si Archer ne se trompait pas, il s’était tenu à quelques mètres d’un type qui voulait l’assassiner. Qui avait assassiné Millstein. Et si le maraudeur était en train de l’attendre, savait qu’il allait venir, cela signifiait que Millstein avait dû collaborer avec lui.

Ils s’étaient dépêchés d’aller chez Millstein parce que celui-ci avait appelé Joyce au Mario’s.

Le maraudeur savait, pour le Mario’s. Il savait, pour Tom. Peut-être connaissait-il son adresse. Il était certainement au courant de l’existence de Joyce.

Qui était partie avec un flic. Qui, à cette heure, pourrait être en train de rentrer chez elle. Où le maraudeur l’attendait peut-être.

Tom renversa son café en se levant.

Archer s’efforça de le calmer. « Ils vont sans doute interroger Joyce aussi longtemps qu’elle les laissera faire. Là, maintenant, un flic à moitié endormi doit être en train de prendre sa déposition. Elle est saine et sauve. »

Tom l’espérait. Mais combien de temps serait-elle disposée à répondre aux questions ?

Elle pouvait en avoir quelques-unes de son côté.

Il n’arrivait pas à chasser de son esprit le souvenir du couloir devant la porte de Lawrence. Tout ce sang.

« Reconduis-moi chez moi, dit-il à Archer. On la retrouvera là-bas. »

Archer leva les sourcils aux mots « chez moi », mais chercha ses clefs dans sa poche.

Ils s’enfoncèrent dans les rues étroites de Lower East Side. Tom trouva à la ville un air abandonné, avec ces trottoirs et ces devantures qui luisaient de pluie et la vapeur qui sortait des égouts. « Ici », dit-il en indiquant un immeuble devant lequel Archer se gara.

La pluie tambourinait sur le toit de la vieille voiture.

Tom allait ouvrir la portière quand Archer le retint.

« Il est dans les parages ? demanda Tom.

— Je ne pense pas. Mais peut-être au coin de la rue à un demi-bloc d’ici. Écoute, et si elle n’est pas rentrée ?

— Alors on l’attend.

— Combien de temps ? »

Tom haussa les épaules.

« Et si elle est rentrée ?

— On l’emmène.

— Hein ? À Belltower ?

— Elle y sera en sécurité… Davantage qu’ici, en tout cas.

— Tom, je ne suis pas sûr que ce soit vraiment une bonne idée. »

Tom ouvrit la portière. « Je n’en ai pas de meilleure. »

Il sonna en bas.

Pas de réponse. Il grimpa alors l’escalier, dont les vieilles planches crasseuses gémirent sous son poids. Tom estima qu’il devait être quatre heures du matin. L’ampoule à incandescence projetait sur le palier une lumière crue et défraîchie.

Il sut dès qu’il ouvrit la porte qu’il n’y avait personne à l’intérieur.

Il alluma. Joyce n’était pas là et il supposa – espéra – qu’elle n’était pas repassée par l’appartement. Rien n’avait changé depuis le matin. Deux tasses de café sur la table de la cuisine, avec un dépôt marron au fond. Il entra dans la chambre. Le lit était toujours fait. La pluie frappait la vitre, bruit qui évoquait la solitude.

Tom regarda avec une pointe d’envie le journal de la veille, ouvert sur l’accoudoir du canapé : s’il pouvait reculer ne serait-ce que d’une journée dans le temps, cela lui permettrait de retourner la situation, de protéger Joyce, peut-être même de garder Lawrence Millstein en vie… il aurait prise sur les événements.

Mais c’était une pensée absurde. Ne l’avait-il pas déjà prouvé ? Nom d’un chien, il avait beau savoir ce qui allait se passer dans les presque trente prochaines années, il ne pouvait même pas s’aider lui-même. Tout cela avait été un rêve. Un rêve de quelque chose appelé « le passé », une fiction : cela n’existait pas. Rien n’était prévisible, rien ne se passait deux fois de la même manière, toute certitude se dissolvait au premier contact.

L’histoire était un endroit où les pièces de théâtre se jouaient sur une scène fantôme, tout comme le jour J dans l’imagination de l’ex-petit ami de Joyce. Mais non, se dit Tom, ce n’est pas vrai. L’histoire, c’était cela : une adresse, un lieu, un endroit où les gens vivaient. C’était cette pièce. Pas emblématique, simplement spécifique ; simplement cet espace inoccupé, qu’il en était venu à aimer.

Il pensa à Barbara, qui n’avait jamais beaucoup manifesté d’intérêt pour le passé, mais attendait impatiemment l’avenir… l’avenir non créé qui ne contenait aucune certitude, rien que des possibilités.

C’est partout pareil, se dit Tom, en 1962, 1862 ou 2062. Le monde est jonché jusqu’au dernier mètre carré d’ossements et d’espoirs.

Il se sentait incroyablement fatigué.

Il ressortit dans le couloir et verrouilla l’appartement, qui était dorénavant vide, mais avait contenu une portion non négligeable de son bonheur. Mieux valait attendre dans la voiture avec Doug.

Il quittait l’immeuble quand un taxi s’arrêta le long du trottoir.

Il regarda Joyce payer le chauffeur et descendre sous la pluie.

Elle eut aussitôt les vêtements mouillés et les cheveux plaqués au front. Ses verres brouillés par la pluie dissimulèrent ses yeux.

Il pleuvait il y a deux mois quand on s’est rencontrés dans le parc, se souvint Tom. Elle avait l’air différente, à l’époque. Moins fatiguée. Moins effrayée.

Elle le regarda avec circonspection, puis traversa le trottoir.

Il effleura ses épaules trempées.

Elle hésita, puis se serra dans ses bras.

« Il était mort, Tom. Il était là, par terre, mort.

— Je sais.

— Oh, mon Dieu. Il faut que je dorme. Il faut que je dorme très, très longtemps. »

Elle se dirigea vers l’entrée de l’immeuble. Il la retint des deux mains. « Tu ne peux pas, Joyce. Ce n’est pas sûr, là-dedans. »

Elle se dégagea. Il sentit une tension soudaine en elle, comme si elle se préparait à une nouvelle horreur. « De quoi tu parles ?

— La chose… l’homme qui a tué Lawrence, je crois que c’est moi qu’il voulait tuer. Il doit savoir que j’habite ici, maintenant.

— Je ne comprends rien. » Elle serra les poings. « Qu’est-ce que tu veux dire, que tu sais qui a tué Lawrence ?

— Joyce, c’est trop long à expliquer.

— On ne l’a pas poignardé, Tom. On ne lui a pas non plus tiré dessus. On l’a ouvert avec du feu. C’est impossible à décrire. Il y avait un grand trou brûlé dans son corps. Tu le savais ?

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