Ray Bradbury - Fahrenheit 451
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- Название:Fahrenheit 451
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- Издательство:Éditions Denoël
- Жанр:
- Год:1995
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Bien sûr que si. On doit tous être pareils. Nous ne naissons pas libres et égaux, comme le proclame la Constitution, on nous rend égaux. Chaque homme doit être l’image de l’autre, comme ça tout le monde est content; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion! Un livre est un fusil chargé dans la maison d’à côté. Brûlons-le. Déchargeons l’arme. Battons en brèche l’esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l’homme cultivé? Moi?
Je ne le supporterai pas une minute. Ainsi, quand les maisons ont été enfin totalement ignifugées dans le monde entier (votre supposition était juste l’autre soir), les pompiers à l’ancienne sont devenus obsolètes. Ils se sont vu assigner une tâche nouvelle, la protection de la paix de l’esprit; ils sont devenus le centre de notre crainte aussi compréhensible que légitime d’être inférieur: censeurs, juges et bourreaux officiels. Voilà ce que vous êtes, Montag, et voilà ce que je suis.» La porte du salon s’ouvrit et Mildred se tint sur le seuil, regardant à tour de rôle Beatty et Montag. Derrière elle les murs de la pièce étaient inondés de feux d’artifice vert, jaune et orange qui grésillaient et explosaient au son d’une musique presque entièrement à base de tambours, de tam-tams et de cymbales. Ses lèvres remuèrent; elle disait quelque chose mais le tintamarre couvrait sa voix.
À petits coups, Beatty vida sa pipe dans le creux de sa main rose, examina les cendres comme si c’était là un symbole à diagnostiquer et à déchiffrer.
«Il faut que vous compreniez que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d’inquiéter et de déranger nos minorités. Posez-vous la question: Qu’est-ce que nous désirons par-dessus tout dans ce pays? Les gens veulent être heureux, d’accord?
N’avez-vous pas entendu cette chanson toute votre vie?
Je veux être heureux, disent les gens. Eh bien, ne le sont-ils pas? Ne veillons-nous pas à ce qu’ils soient toujours en mouvement, à ce qu’ils aient des distractions?
Nous ne vivons que pour ça, non? Pour le plaisir, l’excitation? Et vous devez admettre que notre culture nous fournit tout ça à foison.
— Oui.» Montag lisait sur les lèvres de Mildred ce qu’elle était en train de dire depuis le seuil. Il s’efforça de ne pas regarder sa bouche, car Beatty risquait de se tourner et de lire lui aussi les mots qu’elle prononçait.
«Les Noirs n’aiment pas Little Black Sambo. Brûlonsle. La Case de l’Oncle Tom met les Blancs mal à l’aise.
Brûlons-le. Quelqu’un a écrit un livre sur le tabac et le cancer des poumons? Les fumeurs pleurnichent?
Brûlons le livre. La sérénité, Montag. La paix, Montag.
À la porte, les querelles. Ou mieux encore, dans l’incinérateur. Les enterrements sont tristes et païens? Éliminons-les également. Cinq minutes après sa mort une personne est en route vers la Grande Cheminée, les In cinérateurs desservis par hélicoptère dans tout le pays.
Dix minutes après sa mort, l’homme n’est plus qu’un grain de poussière noire. N’épiloguons pas sur les individus à coups de memoriam. Oublions-les. Brûlons-les, brûlons tout. Le feu est clair, le feu est propre.» Les feux d’artifice se turent dans le salon derrière Mildred. Elle s’était arrêtée de parler en même temps; une coïncidence miraculeuse. Montag retint sa respiration.
«Il y avait une jeune fille à côté, dit-il lentement. Elle est partie, je crois, morte. Je ne me souviens même pas de son visage. Mais elle était différente. Commentcomment ça se fait?» Beatty sourit. «Ici ou là, ce sont des choses qui arrivent fatalement. Clarisse McClellan? On a un dossier sur sa famille. On les surveillait de près. L’hérédité et le milieu sont de drôles de trucs. On ne peut pas se débarrasser de tous les canards boiteux en quelques années.
Le milieu familial peut défaire beaucoup de ce qu’on essaie de faire à l’école. C’est pourquoi on a abaissé progressivement l’âge du jardin d’enfants et qu’on prend maintenant les gosses pratiquement au berceau. On a eu quelques fausses alarmes sur les McClellan quand ils habitaient Chicago. On n’a pas trouvé le moindre livre.
L’oncle avait un dossier couci-couça: insociable. La fille? Une bombe à retardement. La famille l’influençait au niveau du subconscient, j’en suis sûr, d’après ce que j’ai vu de son dossier scolaire. Elle ne voulait pas savoir le comment des choses, mais le pourquoi. Ce qui peut être gênant. On se demande le pourquoi d’un tas de choses et on finit par se rendre très malheureux, à force.
Il vaut bien mieux pour cette pauvre fille qu’elle soit morte. — Oui, morte.
— Heureusement, les toqués dans son genre sont rares. À présent, on sait comment les étouffer dans l’œuf.
On ne peut pas construire une maison sans clous ni bois.
Si vous ne voulez pas que la maison soit construite, cachez les clous et le bois. Si vous ne voulez pas qu’un homme se rende malheureux avec la politique, n’allez pas lui casser la tête en lui proposant deux points de vue sur une question; proposez-lui-en un seul. Mieux encore, ne lui en proposez aucun. Qu’il oublie jusqu’à l’existence de la guerre. Si le gouvernement est inefficace, pesant, gourmand en matière d’impôt, cela vaut mieux que d’embêter les gens avec ça. La paix, Montag.
Proposez des concours où l’on gagne en se souvenant des paroles de quelque chanson populaire, du nom de la capitale de tel ou tel État ou de la quantité de maïs récoltée dans l’Iowa l’année précédente. Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de "faits", qu’ils se sentent gavés, mais absolument "brillants" côté information. Ils auront alors l’impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du sur-place. Et ils seront heureux parce que de tels faits ne changent pas. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie pour relier les choses entre elles. C’est la porte ouverte à la mélancolie. Tout homme capable de démonter un télécran mural et de le remonter, et la plupart des hommes en sont aujourd’hui capables, est plus heureux que celui qui essaie de jouer de la règle à calcul, de mesurer, de mettre l’univers en équations, ce qui ne peut se faire sans que l’homme se sente solitaire et ravalé au rang de la bête.
Je le sais, j’ai essayé. Au diable, tout ça. Alors place aux clubs et aux soirées entre amis, aux acrobates et aux prestidigitateurs, aux casse-cou, jet cars, motogyres, au sexe et à l’héroïne, à tout ce qui ne suppose que des réflexes automatiques. Si la pièce est mauvaise, si le film ne raconte rien, si la représentation est dépourvue d’intérêt, collez-moi une dose massive de thérémine. Je me croirai sensible au spectacle alors qu’il ne s’agira que d’une réaction tactile aux vibrations. Mais je m’en fiche.
Tout ce que je réclame, c’est de la distraction.» Beatty se leva. «Bon, il faut que j’y aille. La conférence est terminée. J’espère avoir clarifié les choses.
L’important pour vous, Montag, c’est de vous souvenir que nous sommes les Garants du Bonheur, les Divins Duettistes, vous, moi et les autres. Nous faisons front contre la petite frange de ceux qui veulent affliger les gens avec leurs théories et leurs idées contradictoires.
Nous avons les doigts collés à la digue. Tenons bon. Ne laissons pas le torrent de la mélancolie et de la philosophie débilitante noyer notre monde. Nous dépendons de vous. Je ne crois pas que vous vous rendiez compte de votre importance pour la préservation du bonheur qui règne en notre monde.» Beatty serra la main molle de Montag. Celui-ci était toujours assis dans son lit, comme si la maison était en train de s’effondrer autour de lui sans qu’il puisse bouger. Mildred avait disparu du seuil de la porte.
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