Ray Bradbury - Fahrenheit 451
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- Название:Fahrenheit 451
- Автор:
- Издательство:Éditions Denoël
- Жанр:
- Год:1995
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— Je crois.» Beatty contempla le motif formé par la fumée qu’il avait rejetée.
«Imaginez le tableau. L’homme du dix-neuvième siècle avec ses chevaux, ses chiens, ses charrettes: un film au ralenti. Puis, au vingtième siècle, on passe en accéléré.
Livres raccourcis. Condensés, Digests. Abrégés. Tout est réduit au gag, à la chute.
— La chute, approuva Mildred.
— Les classiques ramenés à des émissions de radio d’un quart d’heure, puis coupés de nouveau pour tenir en un compte rendu de deux minutes, avant de finir en un résumé de dictionnaire de dix à douze lignes. J’exagère, bien sûr. Les dictionnaires servaient de référence.
Mais pour bien des gens, Hamlet (vous connaissez certainement le titre, Montag; ce n’est probablement qu’un vague semblant de titre pour vous, madame Montag…), Hamlet, donc, n’était qu’un digest d’une page dans un livre proclamant: Enfin tous les classiques à votre portée; ne soyez plus en reste avec vos voisins. Vous voyez?
De la maternelle à l’université et retour à la maternelle.
Vous avez là le parcours intellectuel des cinq derniers siècles ou à peu près.» Mildred se leva et se mit à s’affairer dans la chambre, ramassant des objets qu’elle reposait aussitôt. Beatty fit comme si de rien n’était et poursuivit: «Accélérez encore le film, Montag. Clic? Ça y est? Allez, on ouvre l’œil, vite, ça défile, ici, là, au trot, au galop, en haut, en bas, dedans, dehors, pourquoi, comment, qui, quoi, où, hein? Hé! Bang! Paf! Vlan, bing, bong, boum!
Condensés de condensés. Condensés de condensés de condensés. La politique? Une colonne, deux phrases, un gros titre! Et tout se volatilise! La tête finit par vous tourner à un tel rythme sous le matraquage des éditeurs, diffuseurs, présentateurs, que la force centrifuge fait s’envoler toute pensée inutile, donc toute perte de temps!» Mildred retapait le dessus de lit. Montag sentit son cœur battre à grands coups lorsqu’elle tapota son oreiller. Et voilà qu’elle le tirait par l’épaule pour pouvoir dégager l’oreiller, l’arranger et le remettre en place sous ses reins. Et peut-être pousser un cri et ouvrir de grands yeux, ou simplement tendre la main, dire: «Qu’est-ce que c’est que ça?» et brandir le livre caché avec une touchante innocence.
«La scolarité est écourtée, la discipline se relâche, la philosophie, l’histoire, les langues sont abandonnées, l’anglais et l’orthographe de plus en plus négligés, et fi- nalement presque ignorés. On vit dans l’immédiat, seul le travail compte, le plaisir c’est pour après. Pourquoi apprendre quoi que ce soit quand il suffit d’appuyer sur des boutons, de faire fonctionner des commutateurs, de serrer des vis et des écrous?
— Laisse-moi arranger ton oreiller, dit Mildred.
— Non! murmura Montag.
— La fermeture à glissière remplace le bouton et l’homme n’a même plus le temps de réfléchir en s’habillant à l’aube, l’heure de la philosophie, et par conséquent l’heure de la mélancolie.
— Là, fit Mildred.
— Laisse-moi tranquille, dit Montag.
— La vie devient un immense tape-cul, Montag; un concert de bing, bang, ouaaah!
— Ouaaah! fit Mildred en tirant sur l’oreiller.
— Mais fiche-moi la paix, bon Dieu!» s’écria Montag.
Beatty ouvrit de grands yeux.
La main de Mildred s’était figée derrière l’oreiller. Ses doigts suivaient les contours du livre et, comme elle l’identifiait à sa forme, elle prit un air surpris puis stupéfait. Sa bouche s’ouvrit pour poser une question…
«Videz les salles de spectacles pour n’y laisser que les clowns et garnissez les pièces de murs en verre ruisselants de jolies couleurs genre confetti, sang, xérès ou sauternes. Vous aimez le base-bail, n’est-ce pas, Montag?
— C’est un beau sport.» Beatty, presque invisible, n’était plus qu’une voix derrière un écran de fumée.
«Qu’est-ce que c’est que ça?» demanda Mildred d’un ton presque ravi. Montag pressa son dos contre les bras de sa femme. «Qu’est-ce qu’il y a là?
— Va t’asseoir!» tonna Montag. Elle fit un bond en arrière, les mains vides. «On est en train de causer!» Beatty continua comme si de rien n’était. «Vous aimez le bowling, n’est-ce pas, Montag?
— Oui.
— Et le golf?
— C’est un beau sport.
— Le basket-ball?
— Aussi.
— Le billard? Le football?
— De beaux sports, tous.
— Davantage de sports pour chacun, esprit d’équipe, tout ça dans la bonne humeur, et on n’a plus besoin de penser, non? Organisez et organisez et super-organisez de super-super-sports. Encore plus de dessins humoristiques. Plus d’images. L’esprit absorbe de moins en moins. Impatience. Autoroutes débordantes de foules qui vont quelque part, on ne sait où, nulle part. L’exode au volant. Les villes se transforment en motels, les gens en marées de nomades commandées par la lune, couchant ce soir dans la chambre où vous dormiez à midi et moi la veille.» Mildred quitta la pièce en claquant la porte. Les «tantes» du salon se mirent à rire au nez des «oncles».
«À présent, prenons les minorités dans notre civilisation, d’accord? Plus la population est grande, plus les minorités sont nombreuses. N’allons surtout pas marcher sur les pieds des amis des chiens, amis des chats, docteurs, avocats, commerçants, patrons, mormons, baptistes, unitariens, Chinois de la seconde génération, Sué- dois, Italiens, Allemands, Texans, habitants de Brooklyn, Irlandais, natifs de l’Oregon ou de Mexico. Les personnages de tel livre, telle dramatique, telle série télévisée n’entretiennent aucune ressemblance intentionnelle avec des peintres, cartographes, mécaniciens existants.
Plus vaste est le marché, Montag, moins vous tenez aux controverses, souvenez-vous de ça! Souvenez-vous de toutes les minorités, aussi minimes soient-elles, qui doivent garder le nombril propre. Auteurs pleins de pensées mauvaises, bloquez vos machines à écrire. Ils l’ont fait.
Les magazines sont devenus un aimable salmigondis de tapioca à la vanille. Les livres, à en croire ces fichus snobs de critiques, n’étaient que de l’eau de vaisselle. Pas étonnant que les livres aient cessé de se vendre, disaient-ils.
Mais le public, sachant ce qu’il voulait, tout à la joie de virevolter, a laissé survivre les bandes dessinées. Et les revues érotiques en trois dimensions, naturellement. Et voilà, Montag. Tout ça n’est pas venu d’en haut. Il n’y a pas eu de décret, de déclaration, de censure au départ, non! La technologie, l’exploitation de la masse, la pression des minorités, et le tour était joué, Dieu merci. Aujourd’hui, grâce à eux, vous pouvez vivre constamment dans le bonheur, vous avez le droit de lire des bandes dessinées, les bonnes vieilles confessions ou les revues économiques.
— Oui, mais les pompiers dans tout ça? demanda Montag.
— Ah.» Beatty se pencha en avant dans le léger brouillard engendré par la fumée de sa pipe. «Rien de plus naturel ni de plus simple à expliquer. Le système scolaire produisant de plus en plus de coureurs, sauteurs, pilotes de course, bricoleurs, escamoteurs, aviateurs, nageurs, au lieu de chercheurs, de critiques, de savants, de créateurs, le mot "intellectuel" est, bien entendu, devenu l’injure qu’il méritait d’être. On a toujours peur de l’inconnu. Vous vous rappelez sûrement le gosse qui, dans votre classe, était exceptionnellement "brillant", savait toujours bien ses leçons et répondait toujours le premier tandis que les autres, assis là comme autant de potiches, le haïssaient. Et n’était-ce pas ce brillant sujet que vous choisissiez à la sortie pour vos brimades et vos tortures?
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