— La cabine doit-elle retourner si vite ? demanda Cooper.
— Un retour rapide accroît les possibilités de succès », répondit le Calculateur.
(Harlan pensa : « La cabine doit revenir dans un délai de quinze minutes parce qu’elle est effectivement revenue au bout de quinze minutes. » Et le cercle…)
Twissell accéléra le mouvement. « Nous ne pouvons tenter de contrefaire leur monnaie d’échange ni aucune de leurs valeurs négociables. Vous aurez de l’or sous la forme de petites pépites. Vous serez à même d’expliquer comment vous les possédez d’après vos instructions détaillées. Vous aurez des vêtements indigènes à porter ou du moins des vêtements qui passeront pour tels…
— D’accord, dit Cooper.
— Maintenant, rappelez-vous. Allez-y lentement. Prenez des semaines s’il le faut. Adaptez-vous aux mœurs et à la psychologie de l’époque. Les instructions du Technicien Harlan sont une bonne base, mais elles ne sont pas suffisantes. Vous aurez un récepteur de radio construit selon les principes du 24 equi vous permettra de faire face aux événements courants et, ce qui est plus important, d’apprendre la prononciation et l’intonation convenables du langage du temps. Faites cela à fond. Je suis certain que la connaissance de l’anglais que possède Harlan est excellente, mais rien ne peut remplacer la prononciation indigène sur le terrain.
— Qu’arrivera-t-il si je ne débarque pas au point voulu ? C’est-à-dire en l’an 2317 ?
— Vérifiez cela très soigneusement, bien entendu. Mais tout ira bien. Tout ira bien. »
(Harlan pensa : « Tout ira bien parce que tout s’est bien passé. » Et le cercle…)
Cooper ne devait pas avoir l’air convaincu, pourtant, car Twissell ajouta : « Tout a été minutieusement mis au point et vérifié. J’avais l’intention d’expliquer nos méthodes et le moment est bien choisi. D’abord, cela aidera Harlan à comprendre le fonctionnement du dispositif de commande. »
(Harlan se détourna soudain du hublot et fixa ses regards sur les commandes. Il eut une lueur d’espoir. Que se passerait-il si…)
Twissell sermonnait toujours Cooper sur le ton méticuleux et didactique d’un professeur et Harlan continuait à l’écouter d’une oreille.
Il disait : « Évidemment, il y avait un problème sérieux, celui de déterminer jusqu’où un objet est envoyé dans l’Ère Primitive lorsqu’on lui a appliqué une poussée d’énergie donnée. La méthode la plus directe aurait été d’envoyer un homme dans le passé par cette cabine en dosant progressivement l’énergie utilisée. Mais procéder de cette façon aurait chaque fois nécessité un certain temps pour que l’homme détermine le siècle au centième près par une observation astronomique ou en obtenant les renseignements voulus à la radio. Cela aurait été lent et même dangereux puisque cet homme aurait très bien pu être découvert par les indigènes, ce qui aurait eu des conséquences probablement catastrophiques sur notre projet.
« Au lieu de cela, nous avons procédé ainsi : nous avons envoyé une masse connue de l’isotope radioactif du niobium 94, qui s’altère en émettant des particules bêta en un isotope stable, le molybdène 94. Le processus a une durée moyenne d’environ 500 siècles. L’intensité de radiation originelle était connue. Cette intensité décroît avec le temps en fonction de la relation simple impliquée par la cinétique du premier degré et, évidemment, cette intensité peut être mesurée avec une grande précision.
« Quand la cabine atteint sa destination dans les Temps Primitifs, l’ampoule contenant l’isotope est déposée sur une hauteur et la cabine retourne alors dans l’Éternité. Au moment où, en termes de physio-temps, l’ampoule est abandonnée, elle apparaît simultanément à tous les Temps futurs comme étant de plus en plus vieille. Au 575 e siècle (en Temps réel et non dans l’Éternité), un Technicien détecte l’ampoule par les radiations émises et la récupère.
« On mesure l’intensité du rayonnement, son temps d’exposition est alors connu et le siècle jusqu’où la cabine est allée est déterminé également avec une approximation de deux décimales. Des douzaines d’ampoules ont ainsi été envoyées avec divers niveaux de poussée et une courbe d’étalonnage a été tracée. La courbe constituait une vérification pour les ampoules qui n’étaient pas envoyées jusqu’au Primitif, mais dans les premiers siècles de l’Éternité où des observations directes pouvaient également être faites.
« Naturellement, il y eut des échecs. Les premières ampoules furent perdues avant que nous apprenions à tenir compte des modifications géologiques par trop importantes survenues entre la fin du Primitif et le 575 e. Puis trois des ampoules ultérieures ne se manifestèrent jamais au 575 e siècle. Il est probable que quelque chose n’a pas fonctionné dans le mécanisme de largage et elles furent enterrées trop profondément dans la montagne pour être détectées. Nous avons arrêté nos expériences quand le taux de rayonnement est devenu tellement élevé que nous avons craint que des Primitifs puissent détecter cette radioactivité artificielle dans leur région et s’en étonnent. Mais nous en savions suffisamment et nous sommes certains que nous pouvons envoyer un homme à une année près dans n’importe quel siècle du Primitif si nous le désirons.
« Vous me suivez, n’est-ce pas, Cooper ?
— Parfaitement, Calculateur Twissell. J’avais vu la courbe d’étalonnage sans en comprendre l’objet à l’époque. C’est tout à fait clair maintenant », répondit ce dernier.
Mais Harlan était extrêmement intéressé à présent. Il fixait le chrono-compteur indiquant les siècles. Le cadran étincelant était de porcelaine sur métal et de fines lignes le divisaient en siècles, décisiècles et centisiècles. Le métal argenté luisait faiblement entre les lignes de porcelaine qui y étaient incrustées, les séparant nettement. Les chiffres étaient aussi finement indiqués et, en se penchant dessus, Harlan pouvait lire les siècles de 17 à 27. L’aiguille était fixée sur la marque 23, 17 e siècle.
Il avait déjà vu des chrono-jauges analogues et presque automatiquement il tendit la main vers le levier de contrôle de la pression. Il essaya en vain de le déplacer. L’aiguille ne bougea pas.
Il sursauta quand la voix de Twissell s’adressa soudain à lui :
« Technicien Harlan ! »
Il cria : « Oui, Calculateur », puis se souvint qu’on ne l’entendait pas. Il alla à la fenêtre et fit un signe de tête.
Twissell dit, comme en réponse aux pensées de Harlan : « La chrono-jauge est réglée pour une poussée jusqu’au 23, 17 e siècle. Elle n’a besoin d’aucune correction. Tout ce que vous avez à faire, c’est de déclencher le flux d’énergie au moment voulu en physio-temps. Il y a un chronomètre à droite de la jauge. Faites signe si vous le voyez. »
Harlan hocha la tête.
« Il va descendre au-dessous du point zéro. À moins quinze secondes, mettez le contact. C’est simple. Vous avez compris ? » Harlan acquiesça de nouveau.
Twissell continua : « La synchronisation n’est pas vitale. Vous pouvez le faire à moins quatorze ou moins treize ou même moins cinq secondes, mais s’il vous plaît, efforcez-vous de la faire avant moins dix pour plus de sûreté. Une fois que vous aurez mis le contact, un régulateur de puissance synchronisé fera le reste et grâce à lui la poussée d’énergie finale se déclenchera exactement à l’instant zéro. Compris ? »
Harlan fit signe une fois de plus. Il comprenait plus que ce que Twissell disait. S’il ne procédait lui-même au réglage des commandes à moins dix, on s’en occuperait à l’extérieur.
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