Cette rapide et facile reddition au sujet de Noÿs. On ne lui fera pas de mal, avait dit Twissell. Tout ira parfaitement.
Comment avait-il pu croire cela ! S’ils ne lui faisaient pas de mal ou ne la touchaient pas, pourquoi la barrière temporelle bloquant les puits de projection au 100000 e siècle ? Cela seul aurait suffi pour démasquer complètement Twissell.
Mais parce que lui (l’imbécile !) ne demandait qu’à le croire, il s’était laissé mener aveuglément à travers ces dernières physio-heures, s’était placé à l’intérieur d’une salle fermée où on n’avait plus besoin de lui, même pour établir le contact final.
D’un seul coup, il avait été dépouillé de son rôle essentiel. Les atouts qu’il avait en main avaient été proprement transformés en mauvaises cartes et Noÿs était définitivement perdue pour lui. Le châtiment qu’on lui réservait lui était indifférent. Noÿs était perdue pour lui définitivement.
Il ne lui était jamais venu à l’esprit que le projet était si près de sa fin. C’était là, bien entendu, ce qui avait réellement rendu sa défaite possible.
La voix de Twissell lui parvint assourdie : « Vous allez être coupé, maintenant, mon garçon. »
Harlan était seul, sans espoir, impuissant…
13
REMONTÉE DANS LE TEMPS AU-DELÀ DU POINT-LIMITE
Brinsley Cooper entra. L’excitation animait son fin visage et le rendait presque juvénile en dépit de l’épaisse moustache de Mallansohn qui couvrait sa lèvre supérieure.
(Harlan pouvait le voir à travers le hublot et l’entendre clairement par-dessus la radio de la pièce. Il pensa amèrement : « La moustache de Mallansohn ! Bien sûr ! »)
Cooper marcha vers Twissell. « Ils ne voulaient pas me laisser entrer, Calculateur.
— Très juste, dit celui-ci. Ils avaient leurs instructions.
— Maintenant, le moment est arrivé, malgré tout ? Je vais partir ?
— Bientôt.
— Et je reviendrai ? Je reverrai l’Éternité ? » Bien qu’il se tînt droit, il y avait une pointe d’incertitude dans sa voix.
(Dans la salle de contrôle, Harlan frappa rageusement de ses poings fermés la vitre renforcée du hublot, espérant parvenir à la briser pour crier : « Arrêtez ! Acceptez mes conditions ou je… » À quoi bon ?)
Cooper examina la pièce sans paraître s’apercevoir que Twissell s’était abstenu de répondre à sa question. Son regard tomba sur Harlan au hublot de la salle de contrôle.
Il agita vivement la main. « Technicien Harlan ! Venez. Je veux vous serrer la main avant de partir. »
Twissell s’interposa : « Pas maintenant, jeune homme, pas maintenant. Il est aux commandes.
— Ah ? fit Cooper. Il n’a pas l’air très à l’aise, on dirait.
— Je lui ai dit la véritable nature du projet. J’ai peur que cela suffise à rendre qui que ce soit nerveux, répliqua Twissell.
— Grand Temps ! oui ! Il y a maintenant des semaines que je suis au courant et je n’y suis pas encore habitué. » Il y avait presque une pointe d’hystérie dans son rire. « Je n’ai pas encore réussi à me mettre dans la tête que c’est réellement à moi de jouer. Je… je suis un peu effrayé.
— J’aurais de la peine à vous en blâmer.
— C’est mon estomac surtout, vous savez. C’est mon point faible. »
Twissell dit : « Allons, c’est tout naturel et ça passera. Quoi qu’il en soit, le moment de votre départ au niveau Intertemporel habituel a été fixé et il y a encore un certain nombre de détails à mettre au point. Par exemple, vous n’avez pas encore vu la cabine que vous allez utiliser. »
Pendant les deux heures qui suivirent, Harlan entendit tout, qu’ils fussent visibles ou non. Twissell chapitra Cooper d’une manière curieusement tendue et Harlan en connaissait la raison. Cooper était informé uniquement des points précis qu’il devait mentionner dans le mémoire de Mallansohn.
(Cercle complet. Cercle complet. Et aucun moyen pour Harlan de briser ce cercle en un seul et dernier défi, tel Samson détruisant le temple. Le cercle tourne en une ronde obsédante ; il tourne et tourne sans cesse.)
« Les cabines ordinaires, entendit-il dire à Twissell, sont à la fois poussées et tirées, si nous pouvons utiliser de tels termes dans le cas de Forces Intertemporelles. En voyageant du siècle X au siècle Y à l’intérieur de l’Éternité, il y a un point initial à pleine puissance et un point d’arrivée à pleine puissance.
« Ce que nous avons ici est une cabine alimentée en énergie au départ, mais arrivant à destination avec une puissance nulle. Elle ne peut être que poussée, non tirée. Pour cette raison, elle doit utiliser une quantité d’énergie plusieurs fois supérieure à celle utilisée par les cabines ordinaires. Des complexes de transfert de puissance spéciaux ont dû être installés le long des puits de projection pour amener de suffisantes concentrations d’énergie depuis Nova Sol.
« Cette cabine spéciale, son système de commande et sa source d’énergie forment une structure composite. Pendant des physio-décennies, les Réalités existantes ont été passées au crible en vue de découvrir des alliages spéciaux et des techniques spéciales. La 13 e Réalité du 222 e siècle nous fournit la solution. Elle mit au point le Condensateur Temporel sans lequel cette chaudière n’aurait pu être bâtie. La 13 e Réalité du 222 e. »
Il prononça ces mots en articulant soigneusement.
(Harlan pensa : « Souviens-toi de cela, Cooper ! Souviens-toi de la 13 e Réalité du 222 e siècle afin de pouvoir mettre cela dans le mémoire de Mallansohn et que les Éternels sachent où chercher de façon à savoir quoi te dire pour que tu puisses le mettre… » Et le cercle tourne en une ronde sans fin.)
Twissell poursuivit : « La cabine n’a pas été essayée au-delà du point-limite vers le passé, bien entendu, mais elle a fait de nombreux voyages à l’intérieur de l’Éternité. Nous sommes convaincus qu’il n’y aura pas de conséquences fâcheuses.
— Il ne peut y en avoir, n’est-ce pas, demanda Cooper. Je veux dire : je suis effectivement allé là-bas, sinon Mallansohn n’aurait pu réussir à bâtir le Champ et il a réussi.
— Exactement. Vous vous retrouverez en un endroit isolé et protégé dans une région à population clairsemée du sud-ouest des États-Unis d’Ammellique…
— Amérique, corrigea Cooper.
— Amérique, donc. Le siècle sera le 24 e ; ou, pour le désigner au centième près, le 23,17 e. Je suppose que nous pouvons même dire l’année 2317 si nous voulons. Comme vous avez pu le remarquer, la cabine est vaste, bien plus vaste qu’il ne vous est nécessaire. On est en ce moment en train de la remplir de vivres, d’eau, et de moyens de protection et de défense. Vous aurez des instructions détaillées qui, bien entendu, n’auront de sens pour personne d’autre que vous. Mettez-vous bien dans la tête à présent que votre première tâche sera de vous assurer qu’aucun des habitants indigènes ne vous découvre avant que vous ne soyez prêt pour eux. Vous aurez de puissantes excavatrices à l’aide desquelles vous serez à même de vous creuser un abri profond à flanc de montagne. Il faudra que vous déchargiez rapidement le contenu de la cabine. Tout sera disposé de manière à faciliter cette opération. »
(Harlan pensa : « Répète ! Répète ! On doit lui avoir dit cela avant, mais il faut répéter ce dont il faut qu’il se souvienne. » Et la ronde infernale recommence…)
Twissell continua : « Vous devrez décharger en vingt minutes. Après cela, la cabine retournera automatiquement à son point de départ, transportant avec elle tous les outils qui sont trop en avance pour le siècle. Vous en aurez une liste. Après le retour de la cabine, vous serez abandonné à vous-même.
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