— Non.
— Cal, vous êtes obstinée. Une femme devrait être la dernière personne à nier l’existence d’une telle possibilité.
— Là, vous êtes franchement dégoûtant.
— Nous savons que Potter a trouvé un viable, insista Schruille. Ils peuvent donc obtenir de nombreux viables des deux sexes. L’histoire nous apprend les possibilités d’une union aussi bestiale. Cela fait partie de notre patrimoine naturel.
— Vous êtes innommable ! haleta-t-elle.
— Ainsi vous pouvez affronter l’idée de la mort, mais pas celle-ci. Intéressant.
— Quelles horreurs ! hurla-t-elle.
— Mais, plausibles !
— L’embryon de remplacement n’était pas viable !
— C’est bien pour cela qu’ils l’ont sacrifié.
— Comment ont-ils reconstitué les conditions de l’éprouvette ? Où ont-ils trouvé les produits chimiques, les enzymes, les…
— Là où ils ont toujours été.
— Quoi ?
— Ils ont déposé l’embryon Durant dans le ventre de sa mère, dit Schruille. Aucun doute. N’est-ce pas plus logique de laisser l’embryon où il était au départ, de ne pas l’en retirer, de ne pas isoler les gamètes dans une éprouvette ?
Calipine resta sans voix… Elle avait un goût amer dans la bouche et l’impression que le choc de la révélation lui avait donné envie de vomir. Mon taux d’enzymes est déséquilibré, pensa-t-elle.
— Je vais chez le pharmacien, Schruille, dit-elle d’une voix lente et en détachant ses mots. Je ne me sens pas bien.
— Je vous en prie. Schruille regarda les caméras qui l’entouraient d’un cercle vigilant.
Avec précaution, Calipine s’extirpa de son trône et se laissa glisser sur le rayon jusqu’à l’ouverture de la sphère. Avant de sortir, elle jeta un dernier coup d’œil à la plate-forme. De vagues souvenirs lui traversèrent l’esprit.
Quel Max… avait-elle effacé ? Il y en a eu tellement… un modèle vedette pour notre sécurité. Elle pensa aux autres, une longue lignée de Max qu’on éliminait tour à tour dès qu’ils avaient cessé de plaire. Leurs images se multipliaient à l’infini comme dans un jeu de miroirs.
— Que peut bien représenter l’effacement pour un être comme lui ? Moi, je suis une suite continue mais un double n’a pas de mémoire ? Un double ignore toute continuité.
À moins que les cellules n’aient une mémoire.
La mémoire… les cellules… les embryons. Elle pensa à l’embryon qui reposait dans le ventre de Lizbeth Durant. Répugnant, mais simple. Si merveilleusement simple. Sa poitrine se souleva. Chancelante, elle atteignit le sol de la salle du Conseil et courut vers l’officine la plus proche.
Tout en courant, elle broyait la main qui avait éliminé Max et commandé la destruction de la mégalopole.
— Elle est malade, je vous le répète.
Harvey secoua Igan pour l’arracher au sommeil. Les fuyards s’étaient réfugiés dans une pièce aux murs de terre battue et au toit de plasmeld. Accroché dans un coin, un globe jaunâtre éclairait parcimonieusement les cinq bat-flanc installés le long des murs. Boumour et Igan dormaient, pied à pied, sur deux d’entre eux, Svengaard, toujours attaché, sur un troisième ; les deux derniers étaient libres.
— Venez vite, insista Harvey. Elle se sent mal.
Igan s’éveilla dans un grognement et jeta un coup d’œil à sa montre. À la surface, le soleil allait se coucher. Tous les six s’étaient faufilés dans cet abri avant le lever du jour, et après avoir peiné toute la nuit sur des sentiers interminables derrière un guide forestier. Le chirurgien, peu entraîné à ce genre d’exercice, s’en ressentait encore.
Lizbeth malade ?
Cela faisait trois jours qu’on avait placé en elle l’embryon. Chez les autres femmes, la plaie s’était rapidement cicatrisée mais on ne les avait pas fait marcher une nuit entière sur des chemins cahoteux.
— Je vous en prie, pressez-vous, implora Harvey.
— Je viens, répondit Igan qui pensa en même temps : Maintenant qu’il a besoin de moi, il a bien changé de ton.
— Je viens aussi ? demanda Boumour, assis en face de lui.
— Non, attendez Glisson.
— A-t-il dit où il allait ?
— Chercher un autre guide. Il fera bientôt nuit.
— Il ne dort donc jamais ?
— Je vous en prie, supplia Harvey.
— Oui, dit Igan d’une voix sèche. Quels sont les symptômes ?
— Des vomissements, du délire.
— Je prends ma trousse. En ramassant une serviette noire placée près de sa tête, Igan inspecta Svengaard. La respiration égale du prisonnier lui confirma que le somnifère qu’on lui avait administré le matin faisait toujours effet. Il faudrait prendre une décision à son sujet. Svengaard retardait leur fuite.
Harvey le tira par la manche.
— Je viens, je viens. Igan libéra son bras et, à la suite d’Harvey, emprunta un boyau situé à l’extrémité de la pièce. Il déboucha dans une pièce identique à celle qu’il venait de quitter. Allongée sur un bat-flanc, Lizbeth gémissait.
Son mari s’agenouilla à côté d’elle.
— Je suis là.
— Oh ! Harvey, murmura-t-elle, oh ! Harvey.
Igan sortit de sa trousse un pulmono-sphagnomètre qu’il appliqua sur le cou de la jeune femme.
— Où avez-vous mal ?
— Ohhh !
— Je vous en prie, dit Harvey en regardant le chirurgien, faites quelque chose.
— Éloignez-vous.
Harvey recula de deux pas.
— Qu’a-t-elle ?
Sans répondre, Igan passa un contrôleur portatif du taux enzymatique au poignet gauche de Lizbeth.
— De quoi souffre-t-elle ? le pressa Harvey.
Après avoir lu les chiffres sur le compteur, Igan débrancha l’appareil et le remit dans sa trousse.
— Elle n’a rien du tout, déclara-t-il.
— Mais elle…
— Tout est normal. La plupart des autres ont réagi de cette manière. C’est un réajustement de sa consommation d’enzymes.
— Ne pourrait-on…
— Calmez-vous. Le chirurgien se releva. Elle n’a pas vraiment besoin d’un remède. Et bientôt elle se débrouillera très bien toute seule. Sa santé est meilleure que la vôtre, croyez-moi. D’ailleurs, elle pourrait entrer dans une pharmacie à l’instant même ; le contrôle des rations ne la remarquerait même pas.
— Pourquoi alors…
— C’est l’embryon. Il se protège lui-même. Automatiquement.
— Mais elle souffre !
— Un léger dérèglement glandulaire, c’est tout. Igan ramassa sa trousse. Tout cela fait partie de l’ancien processus. L’embryon commande : produis ceci, produis cela. Et son organisme obéit. Bien sûr, la production la fatigue.
— Vous ne pouvez pas la soulager ?
— Si. Dans peu de temps, elle mourra de faim. Nous ferons alors cesser les vomissements et nous lui donnerons à manger. À condition qu’il y ait de la nourriture dans ce trou.
Lizbeth gémit.
— Harvey.
— Oui, chérie. Harvey s’agenouilla de nouveau à côté d’elle, et lui prit la main.
— Je me sens mal.
— On va te donner quelque chose.
— Ohhh !
Harvey lança un regard brûlant au chirurgien.
— Dès que possible. Ne vous inquiétez pas, je vous le répète : tout est normal. Il regagna la première pièce.
— Que se passe-t-il ? chuchota Lizbeth.
— C’est l’embryon, tu n’as pas entendu ?
— Si, j’ai mal à la tête.
Igan revint avec une pilule et un gobelet d’eau et se pencha vers la jeune femme.
— Prenez ceci. Ça chassera les nausées.
Harvey la maintint tandis qu’elle avalait la pilule.
Elle prit une profonde inspiration avant de rendre le gobelet.
Читать дальше