— La route du Kyrt ? Je ne vois pas le rapport…
L’Écuyer ne le dévisageait-il pas avec curiosité ? Terens songea subitement que son costume n’était sans doute pas parfaitement à ses mesures.
— Attendez ! s’empressa-t-il de dire. Je me suis embrouillé Je ne sais plus du tout où je me trouve. Voyons…
Il jeta un regard circulaire autour de lui.
— Ici, c’est la rue Recket, dit l’autre. Vous n’avez qu’à suivre jusqu’à Triffis. Là, vous tournez à gauche et continuez tout droit jusqu’au port.
Machinalement, le Sarkite avait tendu le doigt pour lui indiquer la direction à prendre.
Terens sourit.
— Vous avez raison. Je crois qu’il est temps que j’arrête de rêvasser. Jusqu’à Sark et au-delà, messire.
— Ma proposition tient toujours. Si vous voulez mon mousticule…
— Vous êtes trop aimable…
Terens, déjà, s’éloignait en agitant le bras. Il marchait peut-être un petit peu trop vite. L’Écuyer le regardait.
Demain, quand on aurait retrouvé le corps dans la grotte et commencé de rechercher le meurtrier, il se rappellerait peut-être cette rencontre. Il avait un je ne sais quoi de bizarre si vous voyez ce que je veux dire, expliquerait-il probablement aux autorités. Une étrange façon de s’exprimer. Et il ne savait pas où il était. Je jurerais qu’il n’avait jamais entendu parler de l’avenue Triffis.
Mais ce serait le lendemain.
Terens suivit à la lettre les instructions de l’Écuyer. Quand il vit scintiller une plaque portant l’indication « Avenue Triffis » elle était presque terne par contraste avec le miroitement irisé de la façade orange où elle était fixée –, il prit à gauche.
Le port 9 fourmillait de jeunes gens en costume de yachtman – casquette effilée et culottes ajustées aux hanches. Terens avait l’impression d’attirer les regards mais son arrivée passa inaperçue. Il ne comprenait rien aux expressions dont étaient émaillées les conversations.
Il repéra le hangar 26 mais attendit quelques minutes pour s’en approcher. Il ne tenait pas à ce qu’il y ait des Écuyers à proximité car l’un d’eux pourrait fort bien avoir un yacht dans un hangar voisin, connaître le véritable Alstare Deamone et voir qu’un inconnu s’approchait illégalement de l’astronef.
Finalement, estimant qu’il n’y avait pas de danger, le Prud’homme s’avança vers le hangar. Le nez du yacht émergeait à l’air libre. Il tordit le cou pour l’examiner.
Que faire maintenant ?
Il avait tué trois hommes en l’espace de douze heures. De Prud’homme, il était devenu patrouilleur, puis Écuyer. Il avait quitté la Cité pour la Cité Haute et avait abouti à un astrodrome. Il était quasiment propriétaire d’un vaisseau capable de le conduire vers la sécurité, vers n’importe quel monde habité de ce secteur de la galaxie.
Il n’y avait qu’une seule difficulté : Terens ne savait pas piloter.
Il était exténué et affamé. Toute cette longue route pour finir par se heurter à une impasse ! Il avait atteint la frontière de l’espace libre mais il était dans l’incapacité de la franchir.
A l’heure qu’il était, les patrouilleurs étaient sûrement parvenus à la conclusion que l’homme qu’ils recherchaient n’était pas dans la Cité Basse. Ils se mettraient à fouiller la Cité Haute dès que germerait dans leur épaisse cervelle l’idée qu’un Florinien avait pu avoir l’audace de s’y réfugier. Alors, on découvrirait le cadavre de Deamone et les recherches prendraient une orientation nouvelle. L’objectif serait de mettre la main sur un faux Écuyer.
Voilà… Terens avait le dos au mur. Il n’y avait plus rien à faire qu’à attendre que le filet se refermât sur lui.
Trente-six heures auparavant, il avait en main la plus grande chance de sa vie. Maintenant, c’était fini et il n’avait plus longtemps à vivre.
C’était vraiment la première fois de sa carrière que le capitaine Racety était dans l’incapacité d’imposer sa volonté à, un passager. Si ce passager avait été l’un des Grands Écuyers en personne, il aurait au moins pu compter sur sa coopération. Un Grand Écuyer était peut-être tout-puissant sur son continent mais il eût admis que, à bord d’un navire, il n’y avait qu’un seul maître : le capitaine.
Avec une femme, il en allait différemment. Quelle qu’elle fût. Et une femme qui était fille de Grand Écuyer était un être totalement impossible.
— Comment puis-je vous laisser vous entretenir en privé avec eux, Votre Seigneurie ? s’exclama le capitaine.
Samia de Fife répondit, les yeux flamboyants :
— Pourquoi pas ? Sont-ils armés ?
— Bien sûr que non. La question n’est pas là.
— Il est visible que ce sont des gens terrorisés. Ils meurent de peur.
— Quelqu’un qui a peur peut être très dangereux, Votre Seigneurie. On ne peut pas espérer qu’il aura un comportement raisonnable.
— Alors, pourquoi faites-vous en sorte qu’ils aient peur ?
Quand elle était en colère, Samia de Fife bégayait légèrement. Vous les avez placés sous la garde de trois énormes marins armés de fulgurants, les malheureux. Je ne l’oublierai pas, capitaine.
C’est certain : elle ne l’oubliera pas, songea Racety. Il sentait qu’il commençait à céder.
— Votre Seigneurie voudrait-elle me dire exactement ce qu’elle désire ?
— C’est simple. Je vous l’ai déjà expliqué. Je veux leur parler. Si, comme vous le prétendez, ce sont des Floriniens, ils peuvent me fournir des informations infiniment précieuses pour mon livre. Mais s’ils sont trop effrayés, je n’en tirerai rien. En revanche, si je suis seule avec eux, tout ira bien. Seule. Capitaine ! Etes-vous capable de comprendre ce petit mot ? Seule.
— Et que dirai-je à votre père s’il apprend que je vous ai autorisée à rester sans protection en présence de deux criminels aux abois, Votre Seigneurie ?
— Des criminels aux abois ! Que l’Espace m’emporte ! Deux pauvres imbéciles qui, pour essayer de s’enfuir de leur planète, n’ont rien trouvé de plus malin que d’embarquer sur un navire sarkite ! D’ailleurs, comment voulez-vous que mon père le sache ?
— S’ils vous font du mal, il le saura.
— Pourquoi me feraient-ils du mal ? – Elle brandit un petit poing frémissant et jeta, mettant dans sa voix jusqu’au dernier atome d’énergie qu’elle pouvait rassembler : – Je l’exige, capitaine !
— Je vais vous faire une proposition, Votre Seigneurie. Je vous accompagnerai. Il ne s’agira pas de trois marins armés mais d’un seul homme qui n’aura pas de fulgurant apparent, Sinon… – A son tour, le capitaine s’exprimait d’un ton résolu. – sinon, je ne ferai pas droit à votre demande.
— Eh bien, soit ! murmura Samia dans un souffle. Soit. Mais si je n’arrive pas à les faire parler à cause de vous, je veillerai personnellement à ce que l’on ne vous confie plus jamais le commandement d’un astronef.
Quand Samia pénétra dans l’entrepont, Valona se hâta de poser la main sur les yeux de Rik.
— Qu’y a-t-il, ma fille ? lança Samia d’une voix sèche, se rappelant trop tard qu’il fallait employer un autre ton pour mettre le couple en confiance.
— Il n’est pas intelligent, Votre Seigneurie, répondit la Florinienne qui avait du mal à parler. Il ne sait pas que vous êtes une Haute Dame et il aurait pu vous regarder. Sans penser à mal, Votre Seigneurie.
— Qu’il me regarde s’il en a envie ! Faut-il qu’ils restent enfermés là, capitaine ?
— Voudriez-vous qu’on leur donnât une cabine de luxe, Votre Seigneurie ?
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