— Vous auriez sûrement pu trouver un endroit moins sinistre.
— Il vous parait sinistre, Votre Seigneurie, mais je ne doute pas qu’il soit luxueux à leurs yeux. Il y a de l’eau courante. Demandez-leur s’il y avait de l’eau courante dans le gourbi qu’ils habitaient sur Florina.
— Dites à ces hommes de disparaître.
Le capitaine fit un signe aux trois marins qui sortirent d’un pas souple.
Racety déplia le léger fauteuil d’aluminium qu’il avait apporté, et Samia y prit place.
— Debout ! ordonna-t-il brutalement à Valona et à Rik.
Samia le coupa net :
— Non ! Qu’ils restent assis. Vous n’avez pas voix au chapitre capitaine. – Elle se tourna vers Valona. – Vous êtes donc florinienne, ma fille ?
Valona eut un geste de dénégation.
— Nous sommes de Wotex.
— Inutile d’avoir peur. Que vous soyez florinienne n’a aucune importance. Nul ne vous maltraitera.
— Nous sommes de Wotex.
— Ne voyez-vous pas que vous avez pratiquement avoué que vous êtes florinienne ? Pourquoi avez-vous caché les yeux de ce garçon ?
— Il est interdit de regarder une Haute Dame en face.
— Même quand on est de Wotex ?
Valona demeura muette.
Samia la laissa réfléchir un instant, s’efforçant d’arborer un sourire aimable, avant de poursuivre :
— C’est seulement aux Floriniens qu’il est interdit de poser le regard sur une Haute Dame. Vous voyez bien que vous avez avoué que vous êtes de Florina.
— Pas lui ! s’écria Valona.
— Mais vous ?
— Oui, je suis florinienne. Mais lui n’est pas un Florinien. Ne lui faites rien. C’est la vérité. Il n’est pas florinien. On l’a trouvé, un jour. Je ne sais pas d’où il venait mais il n’est pas florinien.
A présent, son débit était presque volubile.
Samia la considéra d’un air-légèrement surpris.
— Bien. Je vais lui parler. Comment vous appelez-vous, mon garçon ?
Rik la regardait en écarquillant les yeux. C’était donc cela une Ecuyère ? Cette femme était toute petite. Et aimable. Et qu’elle sentait bon ! Il était très heureux qu’elle le laissât la regarder.
— Comment vous appelez-vous, mon garçon ? répéta Samia. Rik revint à la réalité mais il eut toutes les peines du monde à former le son monosyllabique.
— Rik répondit-il enfin. Puis il réfléchit et corrigea Je crois que mon nom est Rik.
— Vous n’en êtes pas sûr ?
D’un geste tranchant de la main, Samia imposa silence à Valona qui, l’air navré, se préparait à intervenir.
Rik secoua la tête.
— Je ne sais pas.
— Etes-vous florinien ?
Cette fois, Rik fut catégorique.
— Non. J’étais sur un navire. Je venais d’ailleurs.
Il ne pouvait pas s’arracher à la contemplation de Samia mais il lui semblait qu’elle se confondait avec ce navire. Un petit navire. Accueillant et intime.
— Je suis arrivé sur Florina à bord d’un navire. Avant, je vivais sur une planète.
— Quelle Planète ?
C’était comme si le souvenir se frayait péniblement sa voie le long de filières mentales trop étroites. Mais, soudain, la mémoire lui revint et ce fut avec délice que Rik entendit le vocable depuis si longtemps oublié jaillir de ses lèvres :
— La Terre ! Je viens de la Terre.
— La Terre ?
Rik confirma d’un signe de tête.
Samia se tourna vers l’officier.
— Où est située cette planète ? demanda-t-elle.
— Racety eut un bref sourire.
Je n’en ai jamais entendu parler. Ne prenez pas les propos de ce garçon au sérieux, Votre Seigneurie. Les indigènes mentent comme ils respirent. C’est naturel chez eux. Il vous dit la première chose qui lui passe par la tête.
— Il ne parle pas comme un indigène. Où se trouve la Terre, Rik ?
— Je… – Rik passa une main tremblante sur son front. – Dans le secteur de Sirius.
— Il existe bien un secteur de Sirius, n’est-ce pas, capitaine ?
— En effet. C’est étonnant mais il ne s’est pas trompé. Cela ne rend cependant pas la Terre plus réelle pour autant.
— Si, elle est réelle ! s’écria Rik avec force. Je vous dis que je m’en souviens. Il y a si longtemps que j’avais oublié… Je ne peux pas faire d’erreur, à présent. Je ne peux pas !
Il agrippa Valona par le coude.
— Lona, dis-leur que je viens de la Terre. De la Terre. De la Terre…
L’inquiétude élargissait les yeux de Valona.
— Nous l’avons trouvé un jour, Votre Seigneurie. Il n’avait plus d’intelligence. Il ne savait pas s’habiller seul. Ni parler. Ni marcher. Il n’était plus rien. Depuis, la mémoire lui revient petit à petit. Jusqu’à présent, tout ce qu’il s’est remémoré a été vrai. – Elle jeta un coup d’œil apeuré au capitaine qui affichait une mine sévère. – C’est peut-être la vérité quand il dit qu’il vient de la Terre, messire. Sans vouloir vous contredire.
Le « sans vouloir vous contredire » était une vieille formule conventionnelle qui accompagnait toute déclaration démentant apparemment l’affirmation d’un supérieur.
— Il pourrait aussi bien venir du centre de Sark, Votre Seigneurie, maugréa Racety. Toutes ces histoires ne prouvent rien.
— Peut-être, mais il n’empêche qu’il y a quelque chose de curieux là-dedans, répliqua Samia qui, de façon bien féminine se laissait captiver Par tout ce qui était romanesque. J’en suis certaine. Pourquoi était-il dans cet état d’impuissance quand vous l’avez découvert, ma fille ? Avait-il été maltraité ?
Valona resta silencieuse. Son regard angoissé se posa tour à tour sur Rik qui lui étreignait le bras, sur le capitaine qi souriait d’un sourire dépourvu de gaieté, sur Samia, enfin, qi attendait.
— Répondez-moi, ma fille.
Valona se décida.
— Un docteur l’a examiné. Il a dit que mon Rik avait subit un sondage psychique.
— Un lavage de cerveau ! – Samia éprouva un léger sentiment de dégoût et recula son fauteuil qui grinça en glissant sur le sol métallique. – Voulez-vous dire que c’était un névrosé ?
— Je ne sais pas ce que signifie ce mot, murmura humblement la Florinienne.
— Pas dans le sens que vous croyez, Votre Seigneurie, dit le capitaine presque en même temps. Les indigènes n’ont pas de névroses. Leurs besoins et leurs désirs sont trop simplistes. Je n’ai jamais entendu parler d’un indigène névrosé.
— Mais dans ce cas…
— C’est facile à comprendre, Votre Seigneurie. Si nous acceptons le récit fantastique de cette fille, il n’y a qu’une conclusion possible : le garçon était un criminel, ce qui est, j’imagine, une façon d’être névrosé. Il aura alors été traité par un de ces charlatans qui soignent les indigènes. Le médicastre l’aura presque tué et abandonné dans un coin désert pour échapper aux poursuites légales.
Samia protesta :
— Mais il aurait fallu qu’il disposât du matériel de sondage. Je suppose que vous n’allez pas prétendre que les indigènes sont capables d’utiliser une psychosonde ?
— Peut-être pas. Mais je vois mal un médecin habilité s’en servir aussi maladroitement. Le fait que nous nous heurtions à une contradiction démontre que cette histoire n’est qu’un tissu de mensonges. Si vous voulez m’en croire, Votre Seigneurie, vous nous laisserez nous occuper de ces créatures. Il est vain d’espérer quelque chose d’elles.
Samia hésita.
— Peut-être avez-vous raison.
Elle se leva et examina Rik d’un air indécis. Le capitaine s’avança, souleva le fauteuil et le replia avec un déclic.
Rik sauta sur ses pieds.
— Attendez !
Le capitaine ouvrit la porte et s’effaça pour laisser le passage à Samia.
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