Puis ses pensées se concentrèrent sur le navire qui les attendait.
Le Florinien de garde à l’entrée du port spatial allait avoir une journée agitée. Mais ce serait pour plus tard. Il courait des rumeurs fantaisistes : des patrouilleurs avaient été attaqués la veille au soir. On parlait d’évasion audacieuse. Ce matin, ces bruits n’avaient fait que croître et embellir. On murmurait que des patrouilleurs avaient été tués.
Le garde n’osait pas quitter son poste mais il tordait le cou pour voir passer les véhicules volants de la Patrouille. Les patrouilleurs s’en allaient, le visage sombre. Le contingent affecté au spatiodrome fondait à vue d’œil.
On les regroupe dans la Cité, se disait le garde, à la fois effrayé et grisé à cette idée. Pourquoi se réjouissait-il à la pensée que l’on tuait les patrouilleurs ? Ils ne l’avaient jamais embêté. Pas beaucoup, en tout cas. Il avait une bonne place. Ce n’était pas comme s’il avait été un abruti de paysan.
Mais il était content.
Il ne perdit pas de temps avec le couple qui se présentait. Des étrangers, cela se voyait immédiatement. Gênés, transpirant dans leurs vêtements bizarres. La femme lui tendit un passeport à travers la fente du guichet.
Un coup d’œil sur elle, un autre sur le passeport, un troisième sur la liste des réservations. Il appuya sur le bouton approprié et deux rubans translucides jaillirent sous le nez des voyageurs.
— Alors, qu’est-ce que vous attendez ? grogna le garde avec impatience. Attachez-vous ça au poignet et avancez !
— Quel est notre navire ? s’enquit la femme.
Elle parlait à voix basse et son ton était poli.
Cela plut au préposé. Les étrangers étaient rares, sur Florina.
Depuis quelques années, on en voyait de moins en moins souvent. Mais ce n’étaient ni des patrouilleurs ni des Écuyers. Ils n’avaient pas l’air de se rendre compte que vous n’étiez qu’un Florinien et ils s’adressaient à vous avec courtoisie.
Le garde avait l’impression d’avoir grandi de deux pouces.
— Il est en partance au poste 17, madame. Je vous souhaite bon voyage, fit-il, grandiloquent.
Puis il retourna à ses occupations qui consistaient à appeler ses amis, mine de rien, pour avoir des détails sur ce qui se passait dans la Cité et à essayer, de façon encore plus discrète, d’écouter les conversations sur les lignes privées de la Cité Haute.
Bien plus tard, seulement, il s’apercevrait de la monstrueuse bévue qu’il avait commise.
— Lona !
Rik tira Valona par la manche, leva un instant le bras et chuchota :
— Celui-ci.
Elle considéra avec méfiance l’astronef qu’il désignait. Il était beaucoup plus petit que celui du poste 17 pour lequel étaient délivrés leurs billets. Les quatre sas étaient ouverts et le maître sabord béait ; une rampe inclinée en sortait comme si le navire leur tirait la langue ; elle allait jusqu’au sol.
Ils aèrent. On ventile généralement les bâtiments de plaisance pour les débarrasser de l’odeur de l’oxygène de recyclage qui s’accumule.
Valona le dévisagea.
— Comment sais-tu ça ?
Rik éprouva un chatouillement de vanité.
— Je le sais, c’est tout. Il ne devrait y avoir personne à bord pour le moment. C’est désagréable avec la soufflerie en marche.
Il jeta un regard circulaire autour de lui et ajouta, le front plissé :
— Quand même, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de monde dans les environs. C’était comme cela quand tu y venais voir les navires s’envoler ?
Valona en doutait mais ses souvenirs d’enfance étaient flous.
C’était si lointain !…
Les jambes tremblantes, ils escaladèrent l’échelle de coupée. Il n’y avait Pas de patrouilleurs en vue. On n’apercevait que des employés civils affairés que la distance faisait paraître tout petits.
Le courant d’air les gifla de plein fouet quand ils eurent franchi l’opercule et Valona dut retenir des deux mains sa robe qui s’envolait.
C’est toujours comme ça ? demanda-t-elle.
Elle n’était jamais montée à bord d’un navire et n’avait jamais rêvé que cela pût lui arriver. Ses lèvres étaient crispées et son cœur battait fort.
— Non, répondit Rik. Cela ne dure que pendant la ventilation.
Il parcourut joyeusement les coursives aux solides parois de métallite, examinant avec intérêt les compartiments vides.
— Ah ! voilà !
Il était entré dans la cambuse.
— Il n’y a pas tellement de vivres, dit-il d’une voix rapide. On pourra tenir un bon moment sans manger. Mais-il faut de l’eau.
Il fouilla les ustensiles et fit main basse sur un vaste récipient muni d’un bouchon. Il chercha un robinet en faisant des vœux silencieux pour que l’équipage n’ait pas négligé de remplir les réservoirs. Il eut un sourire de soulagement en entendant le martèlement feutré des pompes. L’eau se mit à couler.
— On va juste prendre quelques litres.
— Pas trop, pour que personne ne s’en aperçoive.
Il se creusait désespérément la tête pour trouver un moyen de ne pas se faire repérer. A nouveau, il tâtonnait pour mettre le doigt sur quelque chose qui lui échappait. Il arrivait encore a sa pensée de trébucher et il se rétractait alors lâchement, niant l’existence de ces trous de mémoire.
Il ouvrit la porte d’une petite chambre servant à entreposer le matériel de lutte contre l’incendie, la pharmacie de secours, les instruments de chirurgie et l’équipement de soudure.
— Personne ne viendra ici, sauf en cas d’urgence, fit-il avec une confiance mitigée. Tu as peur, Lona ?
— Avec toi, je n’aurai pas peur, Rik, répondit-elle humblement.
Deux jours, non, douze heures plus tôt, elle eût tenu un tout autre langage. Mais à bord du navire, par la suite d’une sorte de transfert de personnalité qu’elle acceptait sans poser de questions, c’était Rik qui était l’adulte et elle l’enfant.
Il ne faudra pas allumer car ils remarqueraient la perte d’énergie, reprit Rik. On utilisera les toilettes seulement pendant les Périodes de repos en faisant attention à ne pas tomber sur le personnel de garde.
La soufflerie s’arrêta brutalement. Ils ne sentirent plus la caresse froide de l’air sur leur visage et cessèrent d’entendre le bourdonnement lointain et régulier. Ce fut soudain le silence.
— Ils ne vont pas tarder à embarquer, murmura Rik. On va bientôt être dans l’espace.
Jamais Valona ne lui avait vu une expression aussi heureuse. C’était un amant allant à la rencontre de sa bien-aimée.
Si, au réveil, Rik s’était senti un homme, il était maintenant un géant dont les bras étreignaient la galaxie entière. Les étoiles étaient ses billes, les nébuleuses des toiles d’araignée à épousseter.
Il était à bord d’un astronef ! Un raz de marée de souvenirs jaillissait dans sa mémoire, effaçant tout pour faire place nette. Rik oubliait les champs de kyrt, la filature, Valona qui lui fredonnait des chansons, la nuit venue. Ce n’étaient là que des accrocs fugaces dans une étoffe qui, lentement, retrouvait son intégrité.
Tout cela à cause de ce navire !
S’il était monté plus tôt à bord d’un astronef, il n’aurait pas eu à attendre si longtemps que ses cellules cérébrales brûlées se restaurent d’elles-mêmes.
Sa voix s’éleva doucement dans l’obscurité.
— Ne t’inquiète pas, Lona. Il va y avoir une vibration et du bruit. Ce seront seulement les moteurs. Et puis, tu auras l’impression qu’un poids s’abattra sur toi. Ce sera l’accélération.
Il n’y avait pas de mot florinien simple pour exprimer ce concept et il avait employé un terme qui s’était présenté spontanément à son esprit. Valona ne comprit pas.
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