Une série de fiches classées par ordre alphabétique portant le titre des ouvrages, le nom de l’auteur et un numéro d’ordre se déroula pour s’immobiliser à l’article « Encyclopédie ». Il y avait un grand nombre de tomes.
— On forme la combinaison de chiffres et de lettres correspondant au livre désiré au moyen de ces petites touches et le volume apparaît sur l’écran, dit tout à coup Rik.
Terens le dévisagea.
— Comment le savez-vous ? Vous vous le rappelez ?
— Peut-être. Je n’en suis pas certain. Cela me semble être ce qu’il faut faire.
— Déduction judicieuse.
Terens forma la combinaison. Le voyant s’obscurcit un instant. Quand son éclairage eut repris son intensité normale, il portait cette indication :
« Encyclopédie de Sark, Volume 54
Matière traitée : Sol. »
— Ecoutez-moi, Rik, fit alors le Prud’homme. Je ne veux pas que vous ayez d’idées préconçues. Aussi, je ne vous dirai pas ce que j’ai en tête. Vous allez simplement parcourir ce livre. Si quelque chose vous semble familier, vous vous arrêterez. Vous m’avez compris ?
— Oui.
— Bien. Allons-y. Prenez tout votre temps.
Les minutes succédèrent aux minutes. Soudain, Rik émit une sorte de hoquet et il tourna le bouton en arrière.
Quand sa main se fut immobilisée, Terens jeta un coup d’œil sur le titre retenu et il eut un air satisfait.
— Vous vous rappelez, maintenant ? Ce n’est pas une supposition ? Vous vous rappelez ?
Rik hocha énergiquement la tête.
— Cela m’est revenu, Prud’homme. D’un seul coup.
C’était l’article relatif à l’analyse spatiale.
— Je sais ce qu’il y a là-dedans, continua Rik. Vous allez voir… vous allez voir.
Il haletait et Terens était presque aussi excité que lui.
— Tenez, ça, c’est le couplet inévitable.
Il se mit à lire à haute voix sur un débit haché mais avec trop de facilité pour que cela puisse s’expliquer par les leçons de lecture embryonnaires de Valona :
« Il n’est pas surprenant que le spatio-analyste soit un individu introverti et, assez souvent, inadapté. Consacrer la majeure partie de sa vie d’adulte à explorer dans la solitude le vide terrifiant qui s’étend entre les étoiles, c’est plus qu’on ne saurait demander à un individu entièrement normal. Peut-être est-ce un peu pour cela que l’Institut d’Analyse Spatiale a adopté comme slogan officiel cette formule qui ne laisse pas d’être paradoxale « Nous Analysons le Vide. »
Ce fut presque sur un cri que Rik termina.
— Comprenez-vous ce que vous avez lu ? s’enquit Terens.
Une lueur ardente dansait dans les yeux de son compagnon.
Ils disent : « Nous analysons le Vide. » C’est ce que je me suis rappelé. C’était mon travail.
— Vous étiez spatio-analyste ?
— Oui, dit Rik, un ton plus bas. J’ai mal à la tête.
— Parce que vous vous rappelez ?
— Je suppose. – Il leva les yeux, le front plissé. Il faut que je me rappelle mieux. Il y a un danger. Un danger épouvantable ! Mais je ne sais pas quoi faire.
— La bibliothèque est à notre disposition, Rik. Terens l’observait avec attention. Il pesait ses mots. – Feuilletez vous-même le catalogue et examinez quelques articles sur l’analyse spatiale. Nous verrons où cela vous mènera.
Rik se pencha sur le lecteur. Il tremblait visiblement. Terens se poussa pour lui faire de la place.
— Que pensez-vous du Traité de Pratique Spatial-analytique de Wrijt, Prud’homme ? Cela vous paraît-il intéressant ?
— Faites votre choix vous-même.
Rik forma la combinaison. Une phrase apparut sur le voyant « Veuillez consulter la préposée pour l’ouvrage en référence. »
Terens se hâta d’annuler la demande.
— Mieux vaut essayer avec un autre livre, Rik.
— Mais…
L’amnésique hésita, puis obéit. Cette fois, il sélectionna La Composition de l’Espace d’Enning.
A nouveau, il fut prié de s’adresser au bureau. Terens poussa un juron et éteignit l’écran.
— Que se passe-t-il, Prud’homme ?
— Rien, rien ! Ne vous affolez pas, Rik. Mais je ne comprends pas très bien…
A côté du lecteur se trouvait un petit haut-parleur dissimulé derrière une grille. La voix sèche de la bibliothécaire en sortit, et les deux hommes se pétrifièrent :
— Cabine 242 ? Y a-t-il quelqu’un dans la cabine 242 ?
— Que voulez-vous ? demanda Terens, la gorge sèche.
— Quel est l’ouvrage que vous désirez ?
— Nous ne voulons rien, merci. Nous essayons simplement le lecteur.
Il y eut un silence comme si quelqu’un d’invisible commentait la réponse, puis la voix retentit à nouveau, plus sèche encore :
— Selon l’enregistrement, vous avez demandé communication du Traité de Pratique Spatio-Analytique de Wrijt et de La Composition de l’Espace d’Enning. Est-ce exact ?
— Nous avons formé des combinaisons prises au hasard dans le catalogue, expliqua Terens.
Mais, inexorable la voix insista :
— Puis-je savoir la raison pour laquelle vous voulez voir ces ouvrages ?
— Je vous répète que nous ne voulons pas… Vous, restez tranquille !
Ces derniers mots, prononcés avec colère, s’adressaient à Rik qui commençait à geindre.
Après une nouvelle pause la bibliothécaire reprit :
— Si vous voulez bien passer au bureau, vous pourrez avoir accès à ces livres. Ils sont sur une liste réservée et il faut remplir une demande spéciale pour les avoir en lecture.
Terens fit signe à Rik.
— Venez !
— Nous avons peut-être enfreint le règlement, chevrota l’amnésique.
— C’est stupide. Partons.
— Nous ne ferons pas la demande ?
— Non. Nous reviendrons un autre jour.
Terens prit la direction de la sortie, obligeant Rik à presser le pas. Ils atteignirent le hall et la bibliothécaire leva les yeux.
— Eh, vous ! s’écria-t-elle en quittant sa chaise et en contournant son bureau. Attendez ! Un instant !
Ils ne s’arrêtèrent pas.
Ou, plus exactement, ils ne s’arrêtèrent qu’au moment où ils se trouvèrent face à face avec un patrouilleur.
La bibliothécaire les rejoignit, quelque peu essoufflée.
— Vous êtes le 242, n’est-ce pas ?
— Pourquoi nous empêchez-vous de passer ? s’écria Terens.
— Vous avez demandé certains livres. Nous serions ravis de les mettre à votre disposition.
— Il est trop tard. Ce sera pour une autre fois. Je vous ai dit et redit que je ne veux pas ces ouvrages. Je reviendrai demain.
— La règle de cet établissement est de donner constamment satisfaction à l’usager, répliqua la bibliothécaire d’un ton compassé. Les livres en question vont vous être apportés sur-le-champ.
Ses pommettes étaient rouges. Elle fît demi-tour et s’engouffra en hâte dans une petite porte qui s’était ouverte à son approche.
— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, chef… commença Terens.
Mais le patrouilleur leva sa cravache neuronique. Moyennement longue et lestée, celle-ci faisait une excellente matraque ; à distance, ses effets étaient paralysants.
— Allons, mon gars, fit-il, asseyez-vous donc gentiment en attendant que la dame revienne. Faut être poli…
Le patrouilleur n’était plus jeune et il avait perdu sa sveltesse. Il ne devait pas être loin de l’âge de la retraite et il finissait probablement son temps en père peinard comme gardien à la bibliothèque. Mais il était armé et il y avait dans sa jovialité quelque chose qui sonnait faux.
Terens avait le front moite et il sentait la sueur ruisseler le long de son échine. Il avait sous-estimé les risques. Il avait eu trop confiance dans son analyse de la situation. Maintenant, il était coincé. Il n’aurait pas dû agir de façon aussi téméraire. Tout cela parce qu’il avait eu envie de pénétrer dans la Cité Haute, de déambuler dans les couloirs de la bibliothèque comme un vrai Sarkite.
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