Isaac Asimov - Les robots de l'aube

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Quand Elijah Baley, le célèbre agent de la Sûreté interplanétaire, arrive sur Aurora, il pressent qu’il va au-devant de sa plus difficile et périlleuse mission. Impossible pourtant de se récuser : le statut de la Terre en dépend, et le destin futur de l’Univers.
Il s’agit pour lui de découvrir qui, pour la première fois dans la Galaxie, s’est rendu coupable du meurtre de Jander Panell, le robot positronique le plus sophistiqué jamais créé, et qui atteignait un degré d’« humanité » très supérieur à tout ce que le Dr Susan Calvin aurait pu imaginer.
D’autres découvertes stupéfiantes attendent Elijah Baley sur Aurora, une planète dont les rites sexuels comportent peu de tabous et où il n’est pas interdit à une femme de s’éprendre follement d’un robot…

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Baley s’agita un peu et sentit le matelas se mouler différemment autour de lui. Revenons à Fastolfe. Que s’était-il passé pendant le retour chez Fastolfe ? On avait dit quelque chose ? On n’avait pas dit quelque chose ? Et à bord du vaisseau, avant l’arrivée à Aurora… quelque chose qui avait un rapport…

Baley était plongé dans les limbes du demi-sommeil, où l’esprit est libéré et obéit à une loi qui lui est propre. C’est un peu comme si l’on volait, si le corps planait dans les airs, libéré de la gravité.

De lui-même, le cerveau prenait les événements… de petits aspects que Baley n’avait pas notés… les assemblait… une chose aboutissait à une autre… s’enclenchait, se tissait… formait une trame… une étoffe.

Alors Baley crut entendre un bruit. Il se secoua et remonta à un niveau de réveil. Il tendit l’oreille, n’entendit rien et retomba dans son demi-sommeil pour essayer de reprendre le cours de ses pensées… mais elles lui échappèrent.

On aurait dit une œuvre d’art sombrant dans un marécage. Il distinguait encore son contour, les masses de couleur. Elles s’estompèrent mais il savait qu’elles étaient encore là. Mais quand il chercha désespérément à la rattraper, elle avait complètement disparu et il ne se la rappelait même pas, pas du tout.

Avait-il réellement pensé à quelque chose ? Ou bien son souvenir de l’avoir fait n’était-il lui-même qu’une illusion née de quelque vagabondage sans queue ni tête d’un esprit endormi ? Et, d’ailleurs, il dormait.

Mais il se réveilla brièvement pendant la nuit et se dit : « J’ai eu une idée, une idée importante. »

Seulement il ne se souvenait de rien, sinon qu’il y avait eu quelque chose.

Il resta un moment éveillé, les yeux ouverts dans le noir. S’il y avait bien eu quelque chose, après tout, cela lui reviendrait.

Ou ne reviendrait jamais ! (Nom de Jehosaphat !)… Et il se rendormit.

VIII. Fastolfe et Vasilia

30

Baley se réveilla en sursaut et aspira vivement avec une certaine méfiance. Il y avait dans l’air une légère odeur indéfinissable, qui se dissipa à sa seconde inspiration.

Daneel se tenait gravement à côté du lit.

— J’espère, camarade Elijah, dit-il, que vous avez bien dormi.

Baley regarda autour de lui. Les rideaux étaient toujours tirés mais il faisait manifestement jour dehors. Giskard disposait des vêtements entièrement différents, des souliers à la veste, de ce qu’il avait porté la veille.

— Très bien, Daneel, répondit-il. Est-ce que quelque chose m’a réveillé ?

— Il a été procédé à une injection d’antisomnine dans la circulation d’air de la chambre, camarade Elijah. Elle a activé le système d’éveil. Nous avons employé une plus petite dose que d’habitude, car nous étions incertains de votre réaction. Peut-être aurions-nous dû en utiliser moins encore.

— J’avoue que cela m’a fait l’effet d’un coup de bâton sur l’arrière-train. Quelle heure est-il ?

— Il est 7 h 05, selon les mesures auroraines. Physiologiquement, le petit déjeuner sera prêt dans une demi-heure, répondit Daneel sans la moindre nuance d’humour, mais un être humain aurait peut-être eu envie de sourire.

Giskard intervint, d’une voix un peu plus mécanique et moins modulée que celle de Daneel.

— Monsieur, l’Ami Daneel et moi n’avons pas le droit d’entrer dans la Personnelle. Si vous souhaitez y aller maintenant, et nous faire savoir s’il y a quelque chose dont vous auriez besoin, nous vous le fournirons immédiatement.

— Oui, certainement.

Baley se redressa, pivota et se leva du lit.

Aussitôt, Giskard commença à enlever draps et couvertures.

— Puis-je avoir votre pyjama, monsieur ?

Baley n’hésita qu’un instant. C’était un robot qui le demandait, rien de plus. Il se déshabilla et donna le pyjama à Giskard qui le prit avec un petit signe de tête de remerciement.

Baley se contempla sans aucun plaisir. Il avait soudain conscience de son corps, un corps d’un certain âge en moins bonne forme, certainement, que celui de Fastolfe qui était quatre fois plus vieux.

Machinalement, il chercha ses pantoufles mais il n’y en avait pas. On devait penser qu’il n’en avait pas besoin. Le sol était tiède et doux sous ses pieds.

Il passa dans là Personnelle et appela pour demander des instructions. De l’autre côté de la paroi illusoire, Giskard expliqua gravement le maniement de la douche, du distributeur de dentifrice, comment régler la chasse d’eau sur le système automatique, comment contrôler la température de la douche.

Tout était plus grandiose et plus luxueux que tout ce que la Terre avait à proposer et il n’y avait aucune cloison à travers laquelle filtreraient les mouvements et les sons involontaires de quelqu’un d’autre ; il devait s’efforcer de ne pas y penser, pour conserver l’illusion d’intimité.

C’était désuet, pensait sombrement Baley en se livrant à ses ablutions, mais d’une désuétude à laquelle (il le savait) il serait facile de s’habituer. S’il restait assez longtemps à Aurora, il éprouverait un choc culturel pénible en retournant sur la Terre, surtout pour tout ce qui touchait aux Personnelles. Il espérait que la réadaptation ne serait pas trop longue, et aussi que les Terriens qui s’établiraient dans les nouveaux mondes ne se sentiraient pas obligés de se cramponner à la coutume des Personnelles communautaires.

Peut-être, pensa-t-il, était-ce ainsi que l’on devait définir le mot « désuet »: une chose à laquelle on peut facilement s’habituer.

Baley sortit de la Personnelle, ayant accompli tous les gestes nécessaires, le menton bien rasé, les dents étincelantes, le corps douché et séché.

— Giskard, demanda-t-il, où est le désodorisant ?

— Je ne comprends pas, monsieur.

Daneel intervint vivement :

— Quand vous avez mis en marche le système de savonnage, camarade Elijah, cela a introduit un effet désodorisant. Excusez l’Ami Giskard de ne pas avoir compris. Il lui manque mon expérience de la Terre.

Baley haussa les sourcils, avec scepticisme, et commença à s’habiller avec l’aide de Giskard.

— Je vois, dit-il, que Giskard et toi restez encore avec moi à tout instant. A-t-on remarqué des signes d’une tentative pour se débarrasser de moi ?

— Aucun jusqu’ici, camarade Elijah, répondit Daneel. Néanmoins, il est plus sage que l’Ami Giskard et moi restions à tout moment auprès de vous, si c’est possible.

— Pourquoi, Daneel ?

— Pour deux raisons, camarade Elijah. Tout d’abord, nous pouvons vous aider à affronter tous les aspects de la culture humaine ou des usages qui ne vous sont pas familiers. Ensuite l’Ami Giskard, en particulier, peut enregistrer et reproduire chaque mot de toutes vos conversations. Cela peut vous être précieux. Vous vous souviendrez qu’il y a eu des moments, au cours de vos conversations avec le Dr Fastolfe et avec Miss Gladïa, où l’Ami Giskard et moi étions à une certaine distance ou dans une autre pièce…

— Si bien que ces conversations n’ont pas été enregistrées par Giskard ?

— A vrai dire si, elles l’ont été, camarade Elijah, mais avec assez peu de fidélité et il est possible que certaines parties ne soient pas aussi claires que nous le voudrions. Il vaudrait mieux que nous restions aussi près de vous que possible.

— Daneel, es-tu d’avis que je serais plus à l’aise si je vous considérais comme des guides et des systèmes d’enregistrement, plutôt que des gardes ? Pourquoi ne pas décider tout simplement que, en tant que gardes, vous êtes tous deux complètement inutiles ? Comme jusqu’à présent il n’y a eu aucune tentative contre moi, pourquoi ne serait-il pas possible d’en conclure qu’il n’y en aura aucune dans l’avenir ?

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