Baley était suffoqué. Il resta un moment bouche bée avant de bredouiller :
— Mais… mais sûrement ils ne…
— Oh que si ! Vous-même étiez presque enclin à le penser il n’y a pas plus de cinq minutes.
— Simplement comme une très lointaine…
— Mes ennemis ne trouveraient pas cette possibilité lointaine et ils la crieraient sur les toits.
Baley savait qu’il rougissait. Il sentait monter la bouffée de chaleur et avait du mal à regarder Fastolfe en face. Il s’éclaircit la gorge et murmura :
— Vous avez raison. Je me suis précipité sur un moyen d’en sortir, sans réfléchir, et je ne puis qu’implorer votre pardon. Je suis profondément honteux… Il n’y a pas d’issue, sans doute, à part la vérité. Si nous pouvons la découvrir.
— Ne désespérez pas. Vous avez déjà découvert des événements se rapportant à Jander que jamais je n’aurais pu imaginer. Vous pourrez en trouver d’autres et, éventuellement, ce qui est pour nous un mystère total en ce moment s’éclairera et deviendra évident. Que comptez-vous faire ?
Mais Baley ne pouvait penser à rien d’autre qu’à la honte de son fiasco.
— Je n’en sais vraiment rien.
— Ma foi, dans ce cas je suis injuste de le demander.
Vous avez eu une longue journée, et pas facile, Baley. Il n’est pas étonnant que votre cerveau soit un peu lent en ce moment. Vous devriez vous reposer, voir un film, dormir. Vous irez mieux demain matin.
Baley acquiesça.
— Vous avez peut-être raison.
Mais, à cet instant, il ne pensait pas du tout qu’il irait mieux le lendemain matin.
La chambre était froide, autant par la température que par l’ambiance. Baley frissonna légèrement. Une température aussi basse, dans une pièce, lui donnait toujours l’impression désagréable d’être à l’Extérieur. Les murs étaient d’un blanc cassé et (inattendu dans l’établissement de Fastolfe) sans la moindre décoration. Le sol ressemblait à de l’ivoire poli, à la vue, mais sous ses pieds nus il avait une illusion de tapis. Le lit était blanc et la couverture aussi froide au toucher que le reste.
Il s’assit sur le bord du lit et constata qu’il était souple et s’affaissait légèrement sous son poids.
Il dit à Daneel, qui était entré avec lui :
— Daneel, est-ce que cela te dérange quand un être humain raconte un mensonge ?
— Je sais bien qu’il arrive aux êtres humains de mentir, camarade Elijah. Parfois, un mensonge peut être utile, ou même indispensable. Mon sentiment du mensonge dépend du menteur, des circonstances et de la raison.
— Peux-tu toujours deviner quand un être humain dit un mensonge ?
— Non, camarade Elijah.
— Est-ce qu’il te semble que le Dr Fastolfe ment souvent ?
— Je n’ai jamais eu l’impression que le Dr Fastolfe me disait un mensonge.
— Même en ce qui concerne la mort de Jander ?
— Autant qu’il me soit permis de le savoir, il dit la vérité dans tous les cas.
— Peut-être t’a-t-il ordonné de me répondre de cette façon, si jamais je te posais la question ?
— Il ne l’a pas fait, camarade Elijah.
— Mais peut-être t’a-t-il aussi ordonné de dire cela…
Baley s’interrompit. Encore une fois, à quoi servait d’interroger un robot ? Et, dans ce cas particulier, il invitait à des dénégations à l’infini.
Il s’aperçut soudain que le matelas s’était peu à peu affaissé au point que maintenant il lui enveloppait à demi les hanches. Il se leva brusquement et demanda :
— Y a-t-il un moyen de chauffer cette pièce, Daneel ?
— Elle vous paraîtra plus chaude quand vous serez sous les couvertures et une fois la lumière éteinte, camarade Elijah.
Baley regarda autour de lui avec méfiance.
— Veux-tu éteindre, Daneel, et rester dans la chambre quand tu l’auras fait ?
La lumière s’éteignit presque aussitôt et Baley comprit qu’il s’était lourdement trompé en s’imaginant que cette pièce de la maison, au moins, n’était pas décorée. Car dès qu’il fit noir, il eut l’impression d’être à l’Extérieur. Il entendait le léger murmure du vent dans les arbres, les petits marmonnements ou pépiements ensommeillés de lointaines formes de vie. Il y avait même une illusion de ciel étoilé où passait, de temps en temps, un nuage à peine visible.
— Rallume, Daneel !
La lumière inonda la chambre.
— Daneel, je ne veux rien de tout ça ! protesta Baley. Je ne veux pas d’étoiles, de nuages, de bruits, d’arbres, de vent… et pas d’odeurs non plus ! Je veux de l’obscurité, opaque, sans rien, sans fioritures. La nuit. Peux-tu m’arranger ça ?
— Certainement, camarade Elijah.
— Alors fais-le et montre-moi comment je peux éteindre moi-même quand je voudrai dormir.
— Je suis ici pour vous protéger, camarade Elijah. Baley bougonna :
— Tu peux le faire de l’autre côté de la porte, j’en suis sûr. J’imagine que Giskard est juste sous les fenêtres, s’il y a des fenêtres derrière ces draperies.
— Il y en a… Camarade Elijah, si vous franchissez ce seuil, vous trouverez une Personnelle, réservée pour vous seul. Cette partie du mur n’est pas matérielle et vous passerez facilement au travers. La lumière s’allumera dès que vous entrerez et s’éteindra quand vous sortirez. Et il n’y a pas de décoration. Vous pourrez prendre une douche, si vous le désirez, ou faire tout ce que vous avez l’habitude de faire avant de vous coucher ou à votre réveil.
Baley se tourna dans la direction indiquée. Il ne vit aucune brèche, aucune trace sur le mur mais le sol, à cet endroit, paraissait un peu renflé, comme s’il y avait effectivement un seuil.
— Comment verrai-je dans le noir, Daneel ? demanda-t-il.
— Cette partie du mur – qui n’est pas un mur – deviendra faiblement lumineuse. Quant à la lumière de la chambre, il y a cette petite dépression au chevet de votre lit. Si vous y placez le doigt alors que la chambre est éclairée, elle s’éteindra, et s’éclairera si elle est plongée dans l’obscurité.
— Merci, Daneel. Tu peux me laisser, maintenant.
Une demi-heure plus tard, quand il eut fini de faire usage de la Personnelle, Baley se blottit sous la couverture, la lumière éteinte, enveloppé par une chaude obscurité rassurante.
Comme le disait Fastolfe, la journée avait été longue. Il n’arrivait pas à croire que c’était ce matin seulement qu’il était arrivé à Aurora. Il avait appris beaucoup de choses mais rien de tout cela ne lui était vraiment utile.
Allongé dans le noir, il passa en revue les événements de la journée, calmement et par ordre chronologique, dans l’espoir qu’une idée lui viendrait, quelque chose qui lui aurait échappé, mais il ne se passa rien.
Et voilà pour les réflexions posées, pondérées de l’astucieux super-cerveau Elijah Baley, du feuilleton en Hyperonde ; pensa-t-il.
De nouveau, le matelas l’enveloppait comme un lieu clos bien douillet. Il bougea légèrement et le matelas s’aplanit pour se replier ensuite lentement autour de lui en se moulant sur la nouvelle position.
Baley savait qu’il ne servirait à rien de repasser encore une fois la journée dans son esprit fatigué et déjà englué de sommeil, mais il ne put s’empêcher de le tenter une seconde fois, en suivant ses propres pas durant tout le jour – le premier à Aurora – du cosmoport jusqu’à l’établissement de Fastolfe, puis chez Gladïa et de nouveau chez Fastolfe.
Gladïa – plus belle qu’il ne se la rappelait, mais dure – oui, elle avait quelque chose de dur, à moins que ce ne fût qu’une carapace protectrice ? Pauvre femme ! Il songea chaleureusement à la réaction qu’elle avait eue quand elle lui avait touché la joue… s’il avait pu rester avec elle… il aurait pu lui apprendre… imbéciles d’Aurorains… avec leur attitude licencieuse répugnante… tout permettre… ce qui veut dire que rien n’a de valeur… rien ne va plus… stupides… Fastolfe… Gladïa… Fastolfe… retournons à Fastolfe.
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