— Peu m’importe. Il faut le discréditer avant qu’il ne parle.
— Vous pensez que Berquist nous a vendus ?
— Ne faites pas le naïf. Vous auriez dû me consulter avant de faire appel à lui.
— Mais je n’ai rien fait. C’est McCray qui s’en est occupé.
— Vous êtes censé être au courant de tout. Je…» Le visage de Mme Vesant revint sur l’écran. « Attendez-moi là-bas », dit Mrs. Douglas à Sanforth, puis, se tournant vers l’écran, « Allie chérie, il me faut de nouveaux horoscopes pour Joseph et pour moi. C’est urgent.
— Fort bien. » L’astrologue hésita. « Mais je pourrais mieux vous aider, très chère, si vous me disiez ce qui se passe. »
Mrs. Douglas pianota sur le bureau. « Mais ce n’est pas indispensable ?
— Certes pas. Toute personne ayant une formation rigoureuse, des connaissances mathématiques suffisantes et la science des étoiles peut calculer un horoscope en ne connaissant rien d’autre que l’heure, la date et le lieu de naissance du sujet. Vous pourriez apprendre à le faire… si vous n’aviez pas tant de travail. Mais souvenez-vous : les étoiles inclinent, elles n’obligent pas. Si je dois faire une analyse détaillée pour vous aider dans une crise, je dois savoir quel secteur examiner. Vous souciez-vous particulièrement de l’influence de Vénus ? Ou bien de celle de Mars ? Ou…
— De Mars, dit Mrs. Douglas sans hésiter. Et, Allie… je voudrais un troisième horoscope.
— Fort bien. De qui s’agit-il ?
— Allie… est-ce que je peux avoir confiance en vous ? » Mme Vesant prit un air peiné. « Si vous n’avez pas confiance en moi, Agnès, vous devriez vous abstenir de me consulter. Je ne suis pas la seule adepte de l’antique science ni la seule à garantir une rigueur scientifique. On dit beaucoup de bien du professeur von Krausemayer, bien qu’il ait tendance à…» Elle ne termina pas sa phrase.
« Allons, Allie, je vous en prie ! Vous savez bien que je ne laisserais personne d’autre que vous calculer un horoscope pour moi. Vous êtes certaine que personne n’écoute ?
— Absolument, ma chère Agnès.
— Je veux l’horoscope de Valentin Michaël Smith.
— Valentin Mich… L’Homme de Mars ?
— Mais oui, bien sûr. Il a été kidnappé, Allie ! Il faut que nous le retrouvions. »
Deux heures plus tard, Mme Alexandra Vesant se renfonça dans son fauteuil et soupira. Elle avait fait annuler tous ses rendez-vous. Les feuilles couvertes de diagrammes et de chiffres éparpillées sur son bureau témoignaient de ses peines. Il y avait également un vieil almanach nautique écorné. Alexandra différait de nombre d’autres astrologues en ce qu’elle tentait de calculer les « influences » des corps célestes à l’aide d’un petit livre broché intitulé La Science des Arcanes de l’astrologie judiciaire et la clef de la pierre de Salomon. Il avait appartenu à son défunt mari, le professeur Simon Magus, spiritualiste, illusionniste et hypnotiste, étudiant des Arcanes secrètes.
Elle avait confiance en ce livre comme elle avait eu confiance en lui. Simon n’avait pas eu son pareil pour faire un horoscope – quand il était sobre. La moitié du temps, il ne faisait même pas appel au livre. Elle n’atteindrait jamais sa dextérité. Il lui fallait à la fois le livre et l’almanach. Ses calculs étaient souvent imprécis ; Becky Vesey (comme elle se faisait appeler jadis) n’avait jamais réellement maîtrisé la table de multiplication, et avait tendance à confondre les sept et les neuf.
Malgré cela, ses horoscopes étaient éminemment satisfaisants. Mrs. Douglas n’était pas son seul client de marque.
Elle avait eu un instant de panique lorsque Mrs Douglas lui avait demandé l’horoscope de l’Homme de Mars – un peu comme le jour où un idiot de spectateur avait resserré le bandeau qui l’empêchait de voir, juste avant que le professeur ne lui posât les questions. Mais elle s’était depuis longtemps découvert un talent pour la réponse juste – oubliant sa panique, elle avait continué comme si de rien n’était.
Elle avait donc demandé à Agnès la date, l’heure et le lieu exact de la naissance de l’Homme de Mars, étant pratiquement certaine que personne ne les connaissait.
Mais, après un très court délai, on lui avait fourni toutes les précisions demandées, recueillies sur le livre de bord de l’ Envoy. Gardant tout son sang-froid, elle lui avait promis de la rappeler dès que les horoscopes seraient prêts.
Mais, après deux heures d’arithmétique ardue, elle avait bien des résultats complets pour Mr. et Mrs. Douglas, mais rien pour Smith. L’ennui était simple – et insurmontable : Smith n’était pas né sur Terre.
Il n’y avait pas place pour une telle notion dans sa bible astrologique ; son auteur anonyme était déjà mort lors du départ de la première fusée pour la Lune. Elle avait tenté de trouver une issue à ce dilemme, en partant de l’idée que les principes demeuraient inchangés et qu’il suffisait de tenir compte du déplacement spatial. Elle se perdit bientôt dans d’inextricables complications mathématiques… les signes du Zodiaque étaient-ils les mêmes vus de Mars ? Et que pouvait-on faire sans signes du Zodiaque ?
Il lui eût été aussi facile d’extraire une racine cubique – obstacle infranchissable qui avait causé jadis son départ de l’école.
Elle sortit un tonique qu’elle gardait pour de telles occasions. Elle en avala rapidement un verre et s’en reversa un second, puis se demanda ce que Simon aurait fait dans les mêmes circonstances. Elle crut entendre sa voix pleine d’assurance : « Confiance, mon petit ! Aie confiance et le client aura confiance en toi. Tu lui dois bien ça ! »
Elle se sentait déjà bien mieux. Elle commença à établir les horoscopes des Douglas. Ensuite, il lui parut facile d’écrire celui de Smith ; comme toujours, les mots jetés sur le papier fournissaient leur propre preuve : ils étaient si merveilleusement vrais ! Elle y mettait la dernière main lorsque Agnès Douglas la rappela. « Allie ? Ça y est ?
— Je viens juste de terminer, répondit allègrement Mme Vesant. Évidemment, l’horoscope du jeune Smith présentait un problème difficile et inhabituel. Comme il est né sur une autre planète, il a fallu recalculer tous les aspects. L’influence du Soleil est amoindrie ; celle de Diane est presque nulle ; Jupiter, par contre, prend un aspect nouveau et, si je puis dire, unique. Vous comprenez certainement que la difficulté des calculs…
— Peu importe cela, Allie ! Vous avez les réponses ?
— Naturellement.
— Oh, Dieu merci ! Je craignais que ce n’eût été trop difficile pour vous. »
Mme Vesant joua la dignité offensée. « Chère amie, les configurations changent, mais la Science est immuable. La méthode qui permit de prédire le lieu et la date de naissance du Christ, le moment et la manière de la mort de César… comment pourrait-elle faillir ? La Vérité est éternelle, Agnès.
— Oui, bien sûr.
— Vous êtes prête ?
— Attendez que je mette sur « enregistrement »… Voilà.
— Bien. Alors, Agnès, vous vous trouvez dans la période la plus critique de votre vie ; jamais les sphères célestes n’ont été dans une configuration aussi forte. Avant tout, il faut être calme, éviter la hâte, réfléchir avant d’agir. Dans l’ensemble, les présages vous sont favorables… à condition que vous évitiez des actions inconsidérées. Ne laissez pas votre esprit être effrayé par les apparences…» Elle continua à lui donner nombre de conseils. Becky Vesey donnait toujours de bons conseils, et les donnait avec conviction parce qu’elle y croyait. Simon lui avait appris que, même dans les configurations les plus sombres, il y avait toujours un moyen d’amortir le coup, un aspect que le client pouvait utiliser dans sa poursuite du bonheur…
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