Robert Heinlein - En terre étrangère

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Les membres de la première expédition vers Mars périrent tous. Sauf un : Valentine Michael Smith, né sur Mars, élevé par les Martiens, recueilli et ramené sur Terre, à l'âge de vingt ans par la deuxième éxpédition vers Mars, au début du XXIe siècle.
Physiquement Valentine Michael Smith était humain.
Mentalement, il était martien.
La seule analogie qui convînt pour le définir était celle des enfants-loups, des enfants élevés par des loups. Mais les martiens n'étaient pas des loups. Leur culture était plus complexe que celle de la terre.
Le premier problème de Mike : survivre sur la Terre ! Tout lui était agression : la pesanteur, la pression atmosphérique, et surtout les hommes…
Le second problème fut pour lui de comprendre en quoi et pourquoi les hommes différaient des martiens et pourquoi ils étaient malheureux…

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De très loin, Smith entendit son frère l’appeler et revint. Ses yeux quittèrent leur aspect vitreux, son cœur s’accéléra et il recommença à respirer. « Ça va ? lui demanda Jill.

— Ça va bien. Je suis très heureux… mon frère.

— Vous m’aviez fait peur. Surtout, ne vous remettez pas sous l’eau. Restez assis comme vous êtes. D’accord ?

— Oui, mon frère. » Smith ajouta quelque chose dans un langage rauque et croassant, puis mit ses mains en coupe et y recueillit de l’eau avec mille précautions, puis la porta à ses lèvres. Sa bouche toucha l’eau, puis il l’offrit à Jill.

— Hé là, ne buvez pas l’eau de votre bain ! Non, je n’en veux pas, merci.

— Il ne faut pas boire ?

Il lui parut en ce moment si malheureux et vulnérable qu’elle ne sut plus quoi faire. Elle hésita, puis baissa la tête et toucha l’offrande de ses lèvres. « Merci.

— Puissiez-vous ne jamais avoir soif !

— Je vous souhaite également de ne jamais connaître la soif. Mais cela suffit. Si vous avez soif, je vais aller vous chercher quelque chose à boire. Mais pas l’eau du bain. »

Smith parut se satisfaire de cela et resta calmement assis. Jill comprit qu’il n’avait jamais eu droit à un grand bain et n’avait pas la moindre idée de ce qu’on attendait de lui. Elle pourrait certes le lui apprendre, mais cela leur ferait perdre un temps précieux.

Bah, elle en avait fait de pires ! Son corsage était déjà mouillé jusqu’en haut des manches. Elle l’ôta et le suspendit à un crochet. Puis elle regarda sa jupe plissée… les plis étaient permanents, mais il serait stupide de la mouiller aussi. Elle l’enleva, et se retrouva en slip et soutien-gorge.

Smith la regardait avec l’intérêt impartial d’un bébé. À sa grande surprise, Jill se sentit rougir. Elle se croyait pourtant libre de toute pudeur morbide. Elle se souvint soudain qu’elle avait participé à sa première baignade nudiste à l’âge de quinze ans. Mais ce regard d’enfant l’embarrassait. Elle préféra risquer d’avoir des sous-vêtements mouillés plutôt que de faire ce qui s’imposait.

Elle cacha son embarras en redoublant d’activité. « Allez, au travail ! » Elle s’agenouilla à côté de la baignoire, l’aspergea de savon et se mit à le frotter vigoureusement.

Soudain, Smith allongea le bras et lui toucha le sein droit. Jill eut un mouvement de recul. « Hé là ! Pas de ça ! »

Il la regarda comme si elle l’avait giflé. « Non ? » demandât-il d’une voix tragique.

« Non », dit-elle fermement, puis, voyant son expression, elle ajouta avec douceur : « Ce n’est rien. Mais ne m’empêchez pas de travailler. »

Jill ne fit pas traîner les choses. Elle vida la baignoire et le rinça à la douche, puis s’habilla tandis que le soufflant le séchait. L’air chaud le surprit et il se mit à trembler. Elle dut lui dire de se tenir au montant, puis l’aida à sortir de la baignoire. « Voilà, vous sentez meilleur et je suis sûre que vous vous sentez mieux.

— Je me sens bien.

— Excellent. Allons vous habiller. » Elle le précéda dans la chambre de Ben. Mais avant qu’elle ne pût lui expliquer à quoi servait un slip ou l’aider à le mettre, une voix d’homme la fit sursauter. Elle crut devenir folle.

« OUVREZ LA-DEDANS ! »

Jill laissa tomber le slip. Savaient-ils qu’il y avait quelqu’un ? Sûrement – autrement, ils ne seraient pas venus. Ce satané taxi-robot avait dû les trahir !

Devait-elle répondre ? Ou faire le mort ?

Le cri fut répété une seconde fois dans le circuit acoustique.

« Restez ici ! » murmura-t-elle à Smith, puis elle alla dans le living et demanda, en s’efforçant d’avoir une voix normale : « Qui est-ce ?

— Au nom de la loi, ouvrez !

— Au nom de quelle loi ? Ne soyez pas stupide. Dites-moi qui vous êtes si vous ne voulez pas que j’appelle la police.

— Nous sommes la police. Êtes-vous Gillian Boardman ?

— Moi ? Je suis Phyllis O’Toole et j’attends Mr. Caxton. Je vais téléphoner à la police et déposer plainte pour viol de domicile.

— Allons, miss Boardman. Nous avons un mandat d’amener contre vous. Ouvrez, sinon cela ira mal.

— Je ne suis pas « miss Boardman », et je téléphone immédiatement à la police ! »

La voix ne répondit pas. Jill attendit, la gorge serrée. Bientôt, elle sentit une chaleur croissante sur son visage. La serrure de la porte fut bientôt chauffée au rouge, puis au blanc. Quelque chose céda et la porte s’ouvrit. Il y avait deux hommes. L’un d’eux entra, et dit en souriant : « Voilà la fille ! Johnson, allez voir si vous le trouvez. »

Jill voulut se mettre dans le passage, mais le nommé Johnson la repoussa sans ménagements. « C’est un outrage ! s’écria Jill d’une voix aiguë. Où est votre mandat d’amener ?

— Doucement, ma jolie, lui dit Berquist. Si vous vous conduisez bien, ils ne vous feront peut-être pas de misères. »

Elle lui donna un coup de pied dans le tibia. Il se mit agilement hors de portée. « Oh la vilaine, dit-il sans se fâcher. Johnson ! Vous le trouvez ?

— Il est là, Mr. Berquist. Nu comme un ver – je me demande bien ce qu’ils étaient en train de fabriquer.

— Peu importe. Amenez-le ici. »

Johnson reparut en poussant Smith devant lui ; il lui avait tordu un bras derrière le dos. « Il ne voulait pas venir. »

Jill passa vivement derrière Berquist et se jeta sur Johnson, qui la rejeta brutalement. « Pas de ça, petite traînée ! »

Il l’avait frappé nettement moins fort qu’il ne frappait sa femme avant qu’elle ne le quitte, et infiniment moins qu’il ne frappait les prisonniers qui refusaient de parler. Jusqu’alors, Smith n’avait pas dit un mot et son visage était resté sans expression. Il s’était simplement laissé faire. Ne comprenant pas ce qui se passait, il s’était abstenu d’agir.

Mais lorsqu’il vit que l’homme frappait son frère d’eau, il se tortilla, se libéra – et fit un geste vers Johnson.

Johnson disparut.

Seuls les brins d’herbe se redressant là où il avait posé ses grands pieds témoignaient qu’il avait jamais été là. Jill les regardait fixement – elle se sentait sur le point de s’évanouir.

Berquist ferma la bouche, la rouvrit, et dit d’une voix étranglée : « Que lui avez-vous fait ? en regardant Jill.

— Moi ? Je n’ai rien fait du tout.

— Allons, allons. Vous avez une trappe, ou quoi ?

— Où est-il allé ?

Berquist humecta ses lèvres. « Je n’en sais rien. » Il sortit un revolver. « Mais n’essayez pas vos petits tours avec moi. Restez où vous êtes. Je me charge de lui. »

Smith était retombé dans une attente passive. Ne comprenant pas ce dont il s’agissait, il n’avait fait que le minimum indispensable. Mais il avait déjà vu les hommes utiliser des pistolets sur Mars, et l’expression que prit Jill en voyant l’arme dirigée contre elle ne lui plut pas. Il gnoqua que c’était un de ces points critiques dans la croissance d’un être où la contemplation doit donner naissance à l’action juste, afin de permettre la continuation de la croissance. Il agit.

Les Anciens l’avaient bien éduqué. Il fit un pas vers Berquist, qui braqua le revolver sur lui. Il fit un geste – et Berquist disparut.

Jill hurla.

D’impassible qu’il était, le visage de Smith devint tragique et désespéré. Il regarda Jill avec des yeux implorants et se mit à trembler. Ses yeux se révulsèrent ; il s’affaissa lentement au sol, se roula en boule et resta dans une immobilité totale.

L’hystérie de Jill s’arrêta net. Un malade avait besoin d’elle. Ce n’était pas le moment d’être émotive, ni de se demander comment deux hommes avaient disparu. Elle s’agenouilla et examina Smith.

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