Robert Heinlein - En terre étrangère

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Les membres de la première expédition vers Mars périrent tous. Sauf un : Valentine Michael Smith, né sur Mars, élevé par les Martiens, recueilli et ramené sur Terre, à l'âge de vingt ans par la deuxième éxpédition vers Mars, au début du XXIe siècle.
Physiquement Valentine Michael Smith était humain.
Mentalement, il était martien.
La seule analogie qui convînt pour le définir était celle des enfants-loups, des enfants élevés par des loups. Mais les martiens n'étaient pas des loups. Leur culture était plus complexe que celle de la terre.
Le premier problème de Mike : survivre sur la Terre ! Tout lui était agression : la pesanteur, la pression atmosphérique, et surtout les hommes…
Le second problème fut pour lui de comprendre en quoi et pourquoi les hommes différaient des martiens et pourquoi ils étaient malheureux…

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Pour finir, elle le coiffa d’un bonnet d’infirmière. « Vos cheveux sont un peu courts, dit-elle avec inquiétude, mais il y a des femmes qui ne les portent guère plus longs. Il faudra bien que ça aille. » Smith ne répondit pas, car il ne comprenait pas exactement ce qu’elle avait voulu dire. Il essaya de se penser des cheveux plus longs, mais comprit que cela prendrait trop longtemps.

« Et maintenant, dit Jill, écoutez-moi bien. Quoi qu’il arrive, ne dites pas un mot. Vous comprenez ?

— Ne pas parler. Je ne parlerai pas.

— Venez avec moi – je vais vous prendre par la main. Et si vous connaissez des prières, priez !

— Prier ?

— Peu importe. Simplement, suivez-moi sans dire un mot. » Elle ouvrit la porte, jeta un coup d’œil dans le couloir, et entraîna Smith avec elle.

Il était complètement désorienté par toutes ces configurations étranges et nouvelles. Il était assailli par des images troubles et imprécises, et avançait en aveugle, les sens presque déconnectés pour se protéger de ce milieu chaotique.

Elle le conduisit jusqu’au bout du couloir et monta sur un tapis roulant. Smith trébucha et serait tombé si elle ne l’avait pas retenu. Une femme de service les regarda avec étonnement et Jill faillit lâcher un juron. Puis, ils prirent un ascenseur jusqu’au toit – elle n’aurait jamais pu le piloter dans un tube pneumatique.

Et là, sans que Smith s’en rendît compte, ils se trouvèrent dans une situation critique. Il se noyait dans l’extase du ciel ; il n’avait plus vu le ciel depuis Mars. C’était un ciel légèrement couvert, clair et lumineux, un ciel typique du climat de Washington. Le toit était désert – c’était ce qu’elle avait espéré en partant après l’heure… mais il n’y avait plus de voitures. Et elle n’osait prendre l’aérobus avec lui.

Elle allait téléphoner pour avoir un taxi lorsqu’elle en vit un atterrir. Elle appela le planton. « Jack ! Ce taxi est libre ?

— Non ; je viens de l’appeler pour le docteur Philips.

— Quel dommage ! Jack, essayez de m’en avoir un le plus vite possible. Je suis avec ma cousine Madge – elle travaille au pavillon Sud –; elle a une laryngite et il ne faut pas qu’elle reste dans ce vent. »

Le planton se gratta la tête. « Bah… puisque c’est vous, Miss Boardman, prenez celui-ci et j’en appellerai un autre pour le docteur.

— Jack, vous êtes un trésor. Non, Madge, ne parle pas ; je le remercierai pour nous deux. Elle est pratiquement aphone ; je vais lui soigner ça avec un bon grog.

— Oh oui, il n’y a rien de tel que les remèdes de grand-mères ! » Il ouvrit la porte du taxi et composa de mémoire le domicile de Jill, puis les aida à monter. Jill fit de son mieux pour dissimuler la maladresse de Smith. « Merci, Jack ! Merci mille fois. »

Enfin, le véhicule s’éleva ; Jill poussa un profond soupir. « Vous pouvez parler, maintenant.

— Que dois-je dire ?

— Hein ? Ce qu’il vous plaira. »

Smith réfléchit longuement. L’envergure de l’invitation appelait une réponse appropriée, digne d’un frère. Il en examina plusieurs et les rejeta parce qu’elles étaient intraduisibles, puis se décida pour une phrase qui, même dans ce langage plat et étranger, transmettrait un peu de la proximité et de la chaleur qui convient entre frères : « Que nos œufs partagent un même nid. »

Jill sursauta de surprise. « Comment ? Qu’avez-vous dit ? »

Smith fut attristé par cette réaction décevante, mais l’attribua à une erreur de sa part. Il songea avec dépit qu’une fois de plus il avait causé une grande agitation chez une de ces créatures, alors qu’il avait voulu créer l’unité. Il essaya de nouveau d’exprimer la même pensée en disposant de façon différente son pauvre vocabulaire : « Mon nid est le vôtre et votre nid est le mien. »

Cette fois, Jill sourit. « Que c’est gentil ! Je ne suis pas certaine de bien vous comprendre, mais c’est l’offre la plus adorable qu’on m’ait faite depuis bien longtemps. » Elle ajouta : « Mais pour le moment, nous sommes dans les ennuis jusqu’au cou. Alors, il vaut mieux attendre, vous voulez ? »

Smith ne la comprenait guère mieux qu’elle ne le comprenait, mais il sentit qu’elle était contente, et comprit qu’elle lui demandait d’attendre. Attendre ne lui demandait aucun effort. Il s’enfonça dans son siège, content que tout aille bien entre son frère et lui, et admira le paysage. C’était le premier qu’il voyait, et il y avait de tous côtés une profusion de choses nouvelles qu’il essayait de gnoquer. Il lui vint à l’esprit que le mode de transport utilisé chez lui ne donnait pas une vue aussi enchanteresse de ce qui vous sépare de votre destination. Il faillit faire entre les modes de transport humains et martiens une comparaison défavorable aux Anciens, et son esprit recula devant cette hérésie.

Jill, elle, essayait de réfléchir. Soudain, elle vit que le taxi était presque arrivé chez elle – et de tous les lieux au monde, c’était le dernier où il fallait aller, puisque c’était le premier où ils iraient lorsqu’ils auraient compris qui avait aidé Smith à s’évader. Elle ne connaissait rien aux méthodes de la police, mais supposait qu’elle avait dû laisser des empreintes digitales – sans compter tous ceux qui les avaient vu sortir. Elle avait même entendu dire qu’il était possible aux techniciens de la police de lire les bandes du pilote-robot pour connaître tous les déplacements effectués par un taxi.

Elle se hâta d’effacer la destination primitivement prévue. Le taxi s’éleva et attendit en planant. Où aller ? Où cacher un adulte à moitié idiot et même pas capable de s’habiller seul… et qui de plus était l’homme le plus recherché de tout le globe ? Oh, si seulement Ben était là ! Ben… où êtes-vous ?

Elle décrocha et, sans grand espoir, composa le numéro de Ben. Son cœur bondit lorsqu’une voix d’homme lui répondit – hélas, ce n’était pas Ben, mais son majordome. « Oh, désolé, Mr. Kilgallen. C’est Jill Boardman. Je pensais avoir appelé l’appartement de Ben.

— C’est bien ce que vous avez fait. Les appels sont automatiquement transmis au bureau lorsqu’il s’absente plus de vingt-quatre heures.

— Il n’est donc toujours pas rentré ?

— Toujours pas. Puis-je faire quelque chose pour vous ?

— Non, merci. Mr. Kilgallen… vous ne trouvez pas curieux que Ben ait disparu de la sorte ? Cela ne vous inquiète pas ?

— Mais non, pas du tout. Son message disait qu’il ne savait pas quand il rentrerait.

— Vous ne trouvez pas cela bizarre ?

— Pas dans le métier de Mr. Caxton, Miss Boardman.

— Enfin… personnellement, je trouve son absence très inquiétante ! Vous devriez la signaler… en parler à la stéréo et dans toute la presse du pays – et du monde entier !

Bien que le téléphone du taxi n’eut pas de circuit image, Jill le sentit sursauter. « Je crains, Miss Boardman, que ce ne soit à moi d’interpréter les instructions de mon patron. D’ailleurs, soit dit sans vouloir vous vexer, nous recevons des coups de téléphone d’amis affolés chaque fois qu’il s’absente pour quelques jours. »

Jill comprit et n’insista pas. Il était donc exclu de demander l’aide de Kilgallen. Elle raccrocha d’un geste rageur.

Mais où aller ? Une idée lui vint. Si Ben avait disparu – et que les autorités y étaient pour quelque chose –, ils ne songeraient certainement pas à chercher Valentin Smith chez lui…

Il y aurait à manger, et elle trouverait bien quelques vêtements pour son pauvre idiot d’enfant. Elle composa sa nouvelle destination ; le taxi choisit sa route et s’y engagea.

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