— Je Vous ai demandé si j’étais Job et Vous avez dit : « Oui et non ». Qu’entendez-Vous par là ?
— Il est certain que vous êtes un nouveau Job. Avec le premier. J’ai été, Je l’avoue, l’un des méchants. Mais pas cette fois. Je ne suis pas très fier de la façon dont J’ai tourmenté Job. Et Je ne suis pas fier non plus de M’être trop souvent laissé manœuvrer par Mon Frère Yahvé, pour accomplir les sales besognes à sa place. Ça a commencé avec la Mère Eve, et même avant ça… Je ne peux pas tout expliquer. J’ai toujours trop aimé parier… C’est une faiblesse, et de ça non plus Je ne suis pas fier. (Il regarda le feu en fronçant les sourcils.) Eve était plutôt jolie. Dès que j’ai posé les yeux sur elle Je Me suis dit que Yahvé avait enfin créé quelque chose digne d’un artiste. Et puis, J’ai découvert qu’il avait en fait copié en grande partie le design.
— Hein ? Mais…
— Homme, ne M’interrompez pas ! La plupart de vos erreurs – et en ceci Mon Frère vous encourage activement – viennent du fait que vous croyez que votre Dieu est unique et tout-puissant. En vérité, Mon Frère – et Moi aussi, bien sûr – Nous ne sommes guère que des caporaux aux ordres du Commandant en Chef. Et Je dois ajouter qu’il se pourrait même que le Plus Grand, Celui que Je considère comme le Commandant en Chef, le Directeur, le Pouvoir Suprême, ne soit qu’un simple soldat placé sous les ordres d’une Puissance encore supérieure et incompréhensible pour Moi. Derrière chaque mystère il y a un autre mystère. C’est une succession à l’infini. Mais vous n’avez nul besoin de connaître les réponses ultimes – si elles existent – pas plus que Moi. Vous voulez savoir ce qui vous est arrivé, à vous et à Margrethe. Yahvé est venu Me trouver et Il M’a proposé le même pari que nous avions fait sur Job, en M’assurant qu’il avait un serviteur encore plus entêté que Job. J’ai refusé. Ce pari avec Job n’avait pas été franchement drôle. Bien avant la fin, J’en avais assez de torturer ce pauvre type. Cette fois, donc, J’ai dit à Mon Frère qu’il pouvait aller S’amuser ailleurs. Ce n’est que lorsque Je vous ai vus, Marga et vous, sur l’interfédérale 40, nus comme des chatons qui viennent de naître et aussi désemparés, que J’ai compris que Yahvé avait trouvé quelqu’un d’autre pour jouer à Ses vilains jeux. C’est pour ça que Je vous ai repêchés et ramenés ici pendant une semaine.
— Comment ? Mais nous ne sommes restés qu’une nuit !
— Ne chicanez pas. On vous a gardés suffisamment longtemps pour que vous séchiez et on vous a laissés repartir avec quelques tuyaux mais, en fait, vous n’en faisiez qu’à votre tête. Alec, vous êtes un sacré fils de pute, vachement dur. En fait, Je Me suis enquis de cette pute dont vous êtes le fils. Une sacrée garce. Ce qu’elle vous a transmis, plus votre gentillesse, ça nous donne une créature tout à fait capable de s’en sortir, de survivre. Alors, Je vous ai laissé vous débrouiller. On M’a avisé que vous arriviez ici. J’ai des espions de tous les côtés. La moitié des collaborateurs de Mon Frère sont des agents doubles, en fait.
— Saint Pierre ?
— Hein ? Oh non, pas Pierre. C’est un brave type, le chrétien le plus parfait du paradis ou de la terre. Il a renié son patron trois fois et il s’est bien arrangé depuis. Il est ravi de tutoyer son maître dans chacun de Ses trois aspects. J’aime bien Pierre. Si jamais il avait des embrouilles avec Mon Frère, J’aurais un boulot pour lui. Oui, et vous êtes donc arrivé en enfer. Est-ce que vous vous souvenez de l’allusion que J’ai faite à l’enfer quand Je vous ai invité ?
— Oui, je m’en souviens très bien.
— Et n’ai-Je pas tenu Ma promesse ? Faites attention à ce que vous allez répondre : sœur Pat nous écoute.
— Non, elle n’écoute pas, fit Katie. Pat est bien élevée. Ce n’est pas comme certaines personnes. Chéri, je vais Vous faire gagner du temps. Ce qu’Alec veut savoir c’est pourquoi on l’a persécuté, comment, et ce qu’il peut faire maintenant. A propos de Marga, je veux dire. La réponse au « pourquoi » est simple, Alec. On vous a choisi comme le taureau qu’on lance dans l’arène pour lui poser des banderilles. Yahvé était convaincu que vous pouviez gagner. La réponse au « comment » est tout aussi simple. Vous aviez visé juste en pensant que vous étiez paranoïde. Paranoïde mais pas totalement fou. On conspirait vraiment contre vous. Chaque fois que vous approchiez de la réponse, l’embrouille recommençait. Ce million de dollars, par exemple. Une embrouille mineure, mais vous avez eu cet argent entre les mains suffisamment longtemps pour que cela vous perturbe. Je pense que vous savez tout, sauf ce que vous pouvez faire maintenant. Tout ce que vous pouvez et devez faire, c’est vous fier à Jerry. Il peut échouer – et c’est très dangereux – mais Il va faire Son possible.
Je regardai Katie avec un respect nouveau, et un certain émoi. Elle avait fait allusion à des détails que je n’avais jamais dévoilés à Jerry.
— Katie ? Etes-vous humaine ? Ou bien… êtes-vous un ange déchu ou quoi ?…
Elle rit.
— C’est bien la première fois qu’on me soupçonne de ça. Mais je suis humaine, Alec chéri, totalement humaine. Et je ne suis pas vraiment une étrangère pour vous : vous en connaissez long sur moi.
— Vraiment ?
— Souvenez-vous. En avril de l’an 1446 avant la naissance de Jésus de Nazareth.
— Je devrais trouver rien qu’avec cette date ? Désolé, j’en suis incapable.
— Alors, essayez comme ça : quarante ans très exactement après l’exode d’Egypte des enfants d’Israël.
— La conquête de Canaan.
— Mais non ! Alors, Josué, chapitre trois. Quel est mon nom, qu’est-ce que je fais ? Est-ce que j’étais une mère, une femme, une jeune fille ?
(L’une des histoires les plus connues de la Bible. Elle ? Etait-ce bien à elle que je parlais ?)
— Euh… Rahab ?
— La prostituée de Jéricho. C’est moi. J’ai caché les espions du général Josué dans ma maison… et ainsi j’ai sauvé mes parents, mes frères et mes sœurs du massacre. Maintenant, faites-moi plaisir : dites-moi que je suis bien conservée.
Sybil eut un hennissement moqueur.
— Dites, si vous l’osez.
— Mais bien sûr, Katie ! Vous êtes plus que bien conservée. Ça fait presque 3 400 ans… Et même pas une ride. Pas trop, en tout cas.
— Pas trop ! Vous serez privé de breakfast, jeune homme !
— Mais Katie, vous êtes belle et vous le savez parfaitement. Je vous place au même rang que Margrethe !
— Et moi, vous m’avez regardée ? demanda Sybil. Moi aussi j’ai mes fans… En tout cas, m’man a plus de quatre mille ans, c’est une vieille peau.
— Non, Sybil, le passage de la mer Rouge a eu lieu en 1490 avant Jésus-Christ. Si on ajoute la date de l’extase, 1994 après Jésus-Christ, plus sept ans…
— Alec.
— Oui, Jerry ?
— Sybil a raison. Mais vous ne pouvez pas le savoir. Les mille années de paix qui séparent Armageddon et la guerre aux cieux sont à moitié écoulées. Mon Frère, dans Sa manifestation de Jésus, règne à présent sur la terre et Moi Je suis enchaîné dans le puits pour mille ans à venir.
— Vous n’avez pas l’air tellement enchaîné. Est-ce que je peux avoir un autre Jack Daniels ? Je suis un peu perdu…
— Je suis bien assez enchaîné comme ça. J’ai cessé de Me promener un peu partout sur terre. Yahvé l’a pour Lui tout seul, du moins pour le peu de temps qu’il lui reste avant qu’il la détruise. Je ne veux pas Me mêler de Ses petits jeux. (Jerry haussa les épaules.) Je refuse de prendre part à Armageddon. Je Lui ai fait remarquer à ce propos qu’il dispose de suffisamment de méchants qu’il a formés Lui-même. Alec, quand c’est Mon Frère qui écrit le scénario, Je suis toujours supposé Me battre jusqu’au bout, comme Harvard, avant de perdre. Ça devient monotone, à la longue. Il veut que Je chute à nouveau à la fin du millénium pour que Ses prophéties soient réalisées. Cette « guerre dans les cieux » : elle est prédite dans cette prétendue « Apocalypse ». Mais Je n’irai pas. J’ai dit à Mes anges qu’ils peuvent former une légion étrangère s’ils le souhaitent, mais Je Me tiendrai à l’écart. A quoi rime une bataille dont l’issue à été prévue des milliers d’années avant le coup de sifflet ?
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