Mon chasseur (« Appelez-moi Pat ») s’activait pendant ce temps, ouvrant les rideaux, réglant les stores et les thermostats, vérifiant les serviettes : tout ce que doit faire un chasseur pour inciter à un pourboire généreux, tandis que j’essayais d’imaginer comment j’allais pouvoir lui donner ce pourboire. Y avait-il un moyen de mettre ça sur la chambre ? Il faudrait que je demande à Pat. Je traversai la chambre (une journée de marche ou presque !) et suivis Pat jusque dans la salle de bains.
Il se déshabillait. Le pantalon était à demi baissé et je voyais ses fesses nues.
— Hé, mon garçon ! Non, non ! Je vous remercie pour l’attention… mais les garçons, ce n’est pas mon truc.
— Mais c’est mon truc à moi, rétorqua Pat tout en se retournant. Et je ne suis pas un garçon.
Pat avait indubitablement raison. Elle n’avait absolument rien d’un garçon. A l’évidence.
Je restai un moment silencieux, bouche bée, tandis qu’elle ôtait le reste de ses vêtements et les disposait sur un valet.
— Et voilà ! fit-elle avec un sourire. Je suis bien aise d’être débarrassée de cet uniforme de clown ! Je le porte depuis qu’on vous a détecté au radar. Que s’est-il passé, saint Alec ? Vous vous êtes arrêté en route pour prendre une petite bière ?
— Euh… Oui. Deux ou trois.
— C’est bien ce que je pensais. C’était Bert Kinsey qui était de garde, n’est-ce pas ? Si jamais le lac débordait et que la lave envahisse la ville, je crois que Bert s’arrêterait quand même pour prendre une petite bière. Mais pourquoi avez-vous l’air tellement troublé ? Est-ce que j’ai dit quelque chose de mal ?
— Euh… Mademoiselle… Vous êtes très jolie, mais je n’ai pas demandé de fille.
Elle s’approcha, me regarda longuement et me tapota gentiment la joue. Je sentais son souffle sur mon menton et son parfum suave.
— Saint Alec, fit-elle d’une voix musicale, je n’essaie pas de vous séduire. Oh, bien sûr, je suis disponible. Toutes les suites sont livrées avec une, deux ou trois filles. Ça fait partie du mobilier. Mais je peux faire bien plus que l’amour.
Elle s’empara d’une serviette de bain et la drapa autour de ses hanches.
— Je suis également une ichiban . Une fille pour le bain. Ye vous en plie. Voulez-vous que ye masse votle dos ? (Elle sourit et rejeta la serviette.) Je suis aussi une excellente barmaid. Puis-je vous proposer un zombie danois ?
— Qui vous a dit que j’aimais le zombie danois ?
Elle s’était retournée pour ouvrir une garde-robe.
— Tous les saints que j’ai rencontrés aimaient ça. Est-ce que ça vous plaît ?
Elle me présentait un peignoir qui semblait avoir été tissé avec du brouillard bleu clair.
— C’est ravissant. Et combien de saints avez-vous déjà rencontrés ?
— Un seul. Vous. Non, deux, mais l’autre ne buvait pas de zombies danois. Je vous taquinais. Excusez-moi.
— Mais je ne vous en veux pas. Je tiens peut-être une piste grâce à vous. Est-ce que c’est une fille danoise qui vous a dit ça ? Une blonde, à peu près de votre taille, et aussi de votre poids, je pense. Margrethe, ou Marga. On l’appelle quelquefois « Margie ».
— Non. J’ai lu ça sur la fiche d’ordinateur qu’on m’a remise quand cette mission m’a été confiée. Cette Margie… c’est une amie à vous ?
— Plus qu’une amie. C’est pour elle que je suis venu en enfer. Ou sur l’enfer. Comment doit-on dire ?
— Comme on veut. Je suis sûre de n’avoir jamais rencontré votre Margie, en tout cas.
— Comment fait-on pour retrouver une personne, ici ? On consulte les listes électorales ? Les annuaires ? Quoi ?
— Je n’ai jamais trouvé ni les uns ni les autres. L’enfer est un endroit qui manque d’organisation. C’est en quelque sorte une anarchie avec quelques points de monarchie çà et là.
— Est-ce que vous pensez que je peux m’adresser à Satan ?
Elle prit un air dubitatif.
— Je ne connais pas de règle qui interdise que l’on écrive une lettre à Sa Majesté infernale. Mais il n’en existe pas non plus qui l’oblige à la lire. Je crois qu’elle serait ouverte, lue par quelque secrétaire, puis jetée dans le lac. (Elle ajouta :) Est-ce que nous passons au salon ? Ou êtes-vous prêt à vous mettre au lit ?
— Euh… je crois que j’ai besoin d’un bon bain.
— Parfait ! Je n’ai jamais encore donné un bain à un saint. Chouette !
— Mais je n’ai pas besoin d’aide. Je peux me baigner tout seul.
Mais ce fut elle qui me donna un bain.
Ensuite, elle joua les manucures, puis les pédicures, après avoir émis diverses opinions sur l’état de mes ongles d’orteils dont « disgracieux » était la plus clémente. Elle me coiffa aussi. Quand je m’ouvris à elle de mon problème de lames de rasoir, elle me désigna un placard, dans la salle de bains, où je découvris huit ou dix instruments différents destinés à tailler les poils du visage.
— Je vous recommande ce rasoir électrique à trois têtes rotatives, mais, si vous me faites confiance, vous découvrirez que je sais très bien m’y prendre avec un bon vieux rasoir classique du type « coupe-choux ».
— Tout ce qu’il me faut, ce sont des lames Gillette.
— Je ne connais pas cette marque, mais il existe de nouveaux rasoirs qui acceptent tous les types de lames.
— Non, c’est le mien que je veux. A lame double. Acier inox.
— Ah, des Wilkinson. A double lame ?…
— Peut-être… Ah ! Nous y voilà ! Gillette : trois paquets pour le prix de deux !
— Très bien. Alors je vais vous raser.
— Non, je peux le faire tout seul.
Une demi-heure plus tard, j’étais adossé contre des oreillers, dans un lit digne d’une lune de miel pour un roi. Un verre de Dagwood irradiait une douce chaleur dans mon estomac, j’avais un zombie danois dans la main, et je portais un pyjama de soie brun et or. Pat ôta le peignoir translucide de fumée bleue qu’elle avait porté pour me donner mon bain et s’installa à côté de moi, avec un verre de Glenlivet on the rocks à portée de la main.
(Ecoute, Marga, dis-je en moi-même, je n’ai pas vraiment voulu ça. Il n’y a qu’un lit ici. Mais il est grand et elle ne va pas prendre toute la place. Tu voudrais que je la chasse à coups de pied ? C’est ça que tu voudrais ? C’est une gentille gosse après tout. Je ne tiens pas à la blesser. Et puis, je suis fatigué. Je vais boire un dernier verre et hop ! au lit.)
Oui, ce fut hop ! au lit. Mais pas pour dormir. Pat ne se montra pas le moins du monde entreprenante. Mais très coopérative. Une partie de mon esprit se consacrait intensément et activement à tout ce que Pat pouvait m’offrir tandis que l’autre expliquait à Marga que tout ça n’avait rien de bien sérieux. (Tu comprends, ce n’est pas elle que j’aime, c’est toi, et c’est toi que j’aimerai toujours… Mais je n’arrivais pas à trouver le sommeil et…)
Le sommeil, nous l’avons quand même trouvé. Ensuite, nous avons regardé un « haut logramme » que Pat m’avait annoncé comme étant « X ». J’appris à cette occasion des choses dont je n’avais jamais entendu parler, mais il s’avéra que Pat et moi pouvions très bien les faire ensemble, qu’elle pouvait même m’en apprendre d’autres, et cette fois je ne m’adressai que brièvement à Marga pour lui donner la bonne nouvelle : j’apprenais pour notre commun bénéfice.
Ensuite, nous avons dormi encore une fois.
Quelque temps après, Pat me toucha l’épaule.
— Tourne-toi vers moi, chéri. Montre-moi ton visage. Oui c’est ce que je pensais. Alec, je sais que ton cœur brûle pour ton amour. C’est bien pour ça que je suis ici : pour te faciliter la tâche. Mais je ne pourrai pas y arriver si tu n’essaies pas. Qu’a-t-elle donc fait pour toi que je n’ai pas fait moi ? Ou que je ne sais pas faire ? Dis-le-moi, décris-moi. Ou bien je saurai faire ce qu’elle fait, ou je ferai semblant, ou je me ferai aider. Je t’en prie. Tu commences à froisser mon orgueil professionnel.
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