— Mais non. Ça se passe très bien, dis-je en lui prenant la main.
— Je me le demande. Peut-être que tu aimerais changer de parfum ? Tu veux les goûter sur mes tétons ? Chocolat, vanille, fraise, tutti-frutti… Hum… Tutti-frutti… Tu aimerais peut-être un sandwich San Francisco ? Ou bien une petite variation sur Sodome et Gomorrhe ? J’ai un copain, un garçon de Berkeley, qui n’est pas complètement garçon d’ailleurs… Il a une imagination très chouette, complètement délirante. On a souvent été partenaires. Et il connaît des tas d’autres types comme lui. Il est membre de la Aleiseter Crowley et des Héros-Zéros de Néron. Si tu as besoin d’une scène de foule, Donny et moi, nous pouvons nous en charger à ton goût. Et le « Sans Souci » mettra tout ça au point pour que tu sois satisfait. Jardin persan, harem turc, tam-tams, rites obscènes, le couvent… A propos de couvent, est-ce que je t’ai dit ce que je faisais avant ma mort ?
— Je n’étais même pas certain que tu sois morte.
— Oh, mais si ! absolument. Je ne suis pas une démone déguisée en humaine. Je suis vraiment humaine. Tu ne penses tout de même pas qu’on peut trouver un poste comme ça sans une solide expérience humaine, n’est-ce pas ? Pour plaire à un compagnon humain, il faut être humain jusqu’au bout des ongles. Tout ce qu’ils racontent à propos des exploits érotiques des succubes, ce n’est que de la publicité. Oui, Alec, j’ai été nonne, de mon adolescence à ma mort. J’ai surtout passé mon temps à enseigner la grammaire et l’arithmétique à des enfants qui n’avaient pas envie d’apprendre. Et j’ai vite compris que ma vocation était fausse. Ce que j’ignorais, c’était comment en sortir. Alors, je suis restée. A trente ans environ, j’ai découvert quelle affreuse erreur j’avais commise. Ma sexualité était arrivée à maturité. J’avais envie de baiser, saint Alec, très fort. Et je suis restée comme ça, et ça n’a fait qu’augmenter d’année en année.
J’étais dans une situation pénible, mais le pire était que je ne pouvais même pas succomber à la tentation. Car je me serais jetée sur la première occasion. Quel manque de chance ! Mon confesseur aurait peut-être louché sur moi si j’avais été un enfant de chœur mais, étant donné ce que j’avais à lui raconter, il s’est mis à ronfler. Même pour moi, les péchés que j’étais censée avoir commis étaient bien minables.
— Quel genre de péchés, Pat ?
— Des pensées charnelles. Je n’en ai même pas confessé la moitié. Et comme je n’ai pas été pardonnée, tout s’est retrouvé dans les ordinateurs de saint Pierre. Fornication adultère et blasphème.
— Hein ? Pat, tu as de l’imagination.
— Pas vraiment, mais j’ai simplement toujours envie de m’envoyer en l’air. Tu ne sais probablement pas à quel point les nonnes sont tenues en bride. Une nonne est la compagne du Christ. C’est le contrat. Donc, le simple fait de penser aux joies du sexe fait d’elle une femme adultère.
— Que Dieu me damne ! Pat, j’ai récemment rencontré deux nonnes au Paradis. Elles m’ont paru bien gaillardes, l’une d’elles surtout. Pourtant, elles étaient au Paradis.
— Ce n’est pas inconciliable. La plupart des nonnes se confessent régulièrement et sont lavées de leurs péchés. Elles meurent généralement dans leur famille, avec leur confesseur ou leur aumônier. Et elles ont droit aux derniers rites avant d’être expédiées tout droit vers le Paradis, blanches comme neige. Mais ça n’a pas été mon cas ! (Elle sourit.) Je subis le châtiment de tous mes péchés et je jouis de chacune de ces satanées minutes. Je suis morte vierge en 1918, pendant la grande épidémie de grippe, si vite, comme beaucoup, qu’aucun prêtre n’a pu arriver à temps pour me donner mon passeport pour le Paradis. Et c’est comme ça que j’ai atterri ici. A la fin de ma millième année d’apprentissage…
— Un instant ! Tu dis que tu es morte en 1918 ?
— Oui. Lors de la grande épidémie de grippe espagnole. Je suis née en 1878 et je suis morte pour mon quarantième anniversaire. Tu préférerais que j’aie l’apparence de ma quarantaine ? Je peux le faire, si tu le désires.
— Non, non, tu es très bien comme ça. Très jolie.
— Je n’étais pas sûre. Certains hommes… Tu sais, il y en a pas mal qui auraient aimé faire ça avec leur mère du temps de leur vivant. C’est un de mes tours les plus faciles. Je provoque l’hypnose et tu fournis les renseignements. Et alors, je peux ressembler exactement à ta mère. Je peux avoir son parfum également. Tout… La différence, c’est que je peux faire des choses que ta mère aurait probablement refusé de faire. Je…
— Patty ! Je n’ai même pas aimé ma mère !
— Oh ! Est-ce que ça ne t’a pas valu des ennuis pendant le jugement dernier ?
— Non. Ça ne figure pas dans les règles. Il est simplement dit dans la Bible qu’on doit honorer son père et sa mère. Mais il n’est pas question d’amour. Je les ai honorés l’un et l’autre, selon le protocole. J’avais une photo de ma mère sur mon bureau. Et je lui écrivais toutes les semaines. Et je lui téléphonais pour son anniversaire. Je l’invitais aussi parfois quand c’était possible. Et j’écoutais ses éternels commérages, ses méchants ragots à propos de ses amies. Sans jamais la contredire. Je lui ai payé ses factures d’hôpital et je l’ai accompagnée jusqu’à sa tombe. Mais je n’ai pas pleuré. Elle ne m’aimait pas et je ne l’aimais pas non plus. Mais oublions ma mère ! Pat, je t’ai posé une question et tu as changé de sujet.
— Désolée, chéri. Hé ! regarde ce que j’ai trouvé !
— Ne change pas encore une fois de sujet. Garde-le bien au chaud dans ta main pendant que tu réponds à ma question. Tu as parlé de ta « millième année d’apprentissage » ?
— Oui.
— Mais tu as dit aussi que tu étais morte en 1918. La dernière trompette a sonné en 1994. Je le sais : j’y étais. Donc, soixante-seize ans seulement se sont écoulés depuis ta mort. Pour moi, la dernière trompette ne date que d’il y a quelques jours, peut-être un mois, pas plus. Et puis, un détail m’a donné le chiffre de sept années. Mais ce n’est pas encore neuf cents ans ! Et je ne suis pas un esprit, Pat, je suis vivant. Et je ne suis pas Mathusalem non plus. (Seigneur ! Est-il possible que Margrethe soit séparée de moi par dix siècles ? C’est totalement injuste !)
— Oh, Alec… Dans l’éternité, mille ans, ce n’est pas une durée précise, c’est simplement un très long laps de temps. Assez long dans ce cas pour savoir si, oui ou non, je dispose des talents requis et d’une disposition naturelle pour exercer ma profession. Et cela m’a pris du temps parce que, si j’étais assez excitée à mon arrivée – et je le suis restée, parce que n’importe quel partenaire peut me faire grimper aux rideaux, comme tu l’auras remarqué – j’ignorais tout du sexe. Tout ! Mais j’ai appris, et Marie Madeleine m’a finalement très bien notée et m’a recommandée pour un poste permanent.
— Parce qu’elle est ici ?
— Oh, non. Elle est professeur consultant. En fait, elle a été détachée de la faculté du Paradis.
— Mais qu’enseigne-t-elle au Paradis ?
— Je n’en ai pas la moindre idée mais certainement pas ce qu’elle enseigne ici. Du moins, je ne le pense pas. Hum… Alec, elle crée ses propres règles. Elle est parmi les meilleures dans toute l’éternité. Mais, cette fois, c’est toi qui a changé de sujet. J’essayais de te dire que je ne savais pas vraiment combien de temps mon apprentissage durerait parce que le temps varie selon la volonté, ici. Depuis combien de temps sommes-nous au lit, selon toi ?
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