— Non. Non, je n’ai absolument rien entendu. Mais j’avais la tête ailleurs. (Elle a ajouté :) Je suis presque certaine qu’aucune machine volante n’est passée près de nous.
— C’est bien ça ! Ou alors, c’est mon monde à moi. Steve, quelle est la situation de l’aéronautique ici ?
— Le héros de quoi ?
— Les machines volantes. Les avions à réaction ? Les aéroplanes. Ou les dirigeables… Est-ce que vous avez des dirigeables ?
— Tout ça ne me rappelle rien. Est-ce que tu parlerais de voler dans les airs ? Comme les oiseaux ?
— Oui, oui !
— Alors non, bien sûr que non. A moins que tu ne parles de ballons ? J’ai déjà vu des ballons.
— Non, pas de ballons… Oh, mais oui, un dirigeable est une sorte de ballon. Mais c’est plus long que rond. Comme un cigare. Et c’est propulsé par des moteurs comme celui de votre camion. Ça va à plus de deux cents kilomètres à l’heure et ça monte en général très haut, à trois cents et même cinq cents mètres. Ça arrive même à survoler les montagnes.
Pour la première fois, je lus de la surprise et non plus seulement de l’intérêt sur le visage de Steve.
— Dieu Tout-Puissant ! Tu as vraiment vu des choses pareilles ?
— Je suis même monté dedans. Souvent. La première fois, j’avais à peine douze ans. Vous êtes allé à l’école à Akron ? Dans mon monde, Akron est célèbre parce que c’est là qu’on construit les meilleurs dirigeables du monde, les plus gros et les plus rapides.
Il a secoué la tête.
— Je passe toujours à côté des meilleurs trucs. C’est bien de moi. Et toi, Maggie, tu as déjà vu des vaisseaux qui volent ? Tu es montée dedans ?
— Non. Pas dans le monde où je suis née. Mais j’ai été dans une machine volante. Un aeroplano . Une fois. C’était effrayant mais très excitant aussi. J’aimerais bien recommencer.
— Je pense que ça m’ plairait à moi aussi. Mais je reconnais que je ferais dans mes culottes. Pourtant, oui, j’aimerais bien faire un tour dans un de ces machins, même au risque de me tuer. Vous savez, les amis, je commence à vous croire. Vous dites ça comme ça, avec tellement de sincérité. Et il y a cet argent. Si c’est bien de l’argent.
— C’est vraiment de l’argent, ai-je insisté. Mais d’un autre monde. Regardez bien attentivement ce billet, Steve. Il est évident qu’il ne vient pas de votre monde. Mais ce n’est pas de l’argent pour jouer ou pour le théâtre. Est-ce que quelqu’un se donnerait la peine de faire graver des plaques de façon aussi parfaite pour de l’argent factice ? Le graveur qui a travaillé là-dessus gravait bel et bien un billet de banque, qui devait être accepté comme monnaie… pourtant, la dénomination elle-même n’est pas correcte, c’est la première chose que vous avez remarquée. Attendez un instant ! (J’ai fouillé dans une autre poche.) Oui ! Je l’ai encore.
C’était un billet de dix pesos, émis par le royaume du Mexique. J’avais brûlé la plus grande partie de l’argent sans valeur que nous avions économisé avant le tremblement de terre, c’est-à-dire les pourboires de Margrethe au Pancho Villa, mais j’avais gardé quelques souvenirs.
— Regardez ça. Est-ce que vous connaissez l’espagnol ?
— Pas vraiment. Disons l’espagnol de cuisine. Le TexMex. (Steve s’est penché sur le billet de dix pesos.) Il me semble correct.
— Regardez mieux, a dit Margrethe. Il y a écrit Reino . Est-ce qu’il ne devrait pas y avoir République ? Ou bien le Mexique est-il également un royaume dans ce monde ?
— Non, c’est une république… et j’ai participé à son maintien. J’étais dans les Marines quand j’ai été désigné pour être juge aux élections. Etonnant de voir à quel point un petit groupe de Marines armés jusqu’aux dents peuvent rendre une élection plus honnête. O.K., les copains, je suis convaincu. Le Mexique n’est pas un royaume et des auto-stoppeurs sans un sou pour dîner ne devraient pas se trimbaler avec de l’argent qui dit que le Mexique est un royaume. Je suis peut-être dingue mais je suis prêt à avaler votre histoire. Et quelle explication as-tu ?
— Steve, ai-je dit d’un ton net, j’aimerais bien savoir ce que tout ça veut dire. L’explication la plus simple est que je suis devenu fou et que tout ça est dans mon imagination : vous, moi, Marga, ce restaurant, ce monde. Tout n’est qu’un délire de mon cerveau fiévreux.
— Imagine tout ce que tu veux, mais laisse-nous de côté, Maggie et moi. Tu vois une autre explication à part ça ?
— Euh… oui, ça dépend. Est-ce que vous lisez la Bible, Steve ?
— Ma foi, ni oui ni non. Quand je suis sur la route, il m’arrive souvent de me retrouver éveillé en pleine nuit, sans pouvoir dormir, avec juste la Bible de Gédéon à lire [18] Il y en a un exemplaire dans la table de nuit de la plupart des hôtels et motels aux Etats-Unis. ( N.d.T. )
. Alors, je l’ouvre quelquefois.
— Est-ce que vous connaissez Saint Matthieu, chapitre 24, verset 24 ?
— Hein ? Pourquoi ?
Je le lui ai cité [19] Il surgira, en effet, des faux Christ et des faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il était possible, même les élus.
.
— C’est une éventualité, Steve. Ces changements de mondes peuvent être des signes envoyés par le démon lui-même afin de nous induire en erreur. D’un autre côté, ils pourraient être des présages de ce monde, de la venue du Christ dans Son royaume. La Parole dit : « Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l’on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire. Et il enverra ses anges avec une trompette sonore, pour rassembler ses élus des quatre vents, des extrémités des cieux à leurs extrémités [20] L’Evangile selon Saint Matthieu 24:29 ( N.d.T. )
. » Et ça correspond, Steve. Ce sont peut-être les faux signes de la tribulation avant la fin, ou bien ces prodiges annoncent la Parousie, le Second Avènement du Christ. Mais, dans un cas comme dans l’autre, nous allons vers la fin du monde. Avez-vous été baptisé ?
— Mmm… Je ne peux pas affirmer que je l’aie vraiment été. Ça remonte à bien longtemps et j’étais trop jeune pour avoir mon mot à dire. Je ne fréquente pas l’église, sauf quand mes amis se marient ou meurent. S’il m’a été donné d’être lavé à fond, je crois que je suis un petit peu poussiéreux aujourd’hui. Non, je ne pense pas être baptisé.
— Je suis certain que si. Steve, la fin du monde est proche et le Christ reviendra bientôt. Votre devoir le plus urgent – le devoir de tous ! – est de porter vos maux devant Lui, d’être lavé par Son Sang, et de renaître en Lui. Car vous ne recevrez pas d’avertissement. La Trompette sonnera et vous serez dans les bras de Jésus, heureux et sauf à jamais, ou bien vous serez jeté dans les flammes et le soufre pour souffrir l’agonie l’éternité durant. Il faut vous tenir prêt.
— Sapristi ! Alec, ça ne t’ai jamais venu à l’idée que tu pourrais devenir un prédicateur ?
— J’y ai songé.
— Tu devrais faire mieux que d’y songer. On aurait dit que tu croyais chaque parole que tu prononçais.
— Mais j’y crois.
— C’est ce que je pensais. Eh bien, je te ferai l’honneur d’y réfléchir sérieusement. Mais, j’espère qu’entre-temps ça ne sera pas l’heure du jugement dernier, parce que j’ai encore mon chargement à livrer. Hazel ! Tu nous fais la note, chérie. Il faut que je mette le paquet sur la route !
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