L’Hospitals’Trust me demandait si je possédais un billet des Irish Hospitals’ Sweepstakes, numéro… et si j’avais le reçu officiel ? Ce billet avait été vendu à J.L. Weatherby, Esq. Son numéro avait été tiré lors du deuxième tirage ; c’était un numéro attribué au cheval gagnant. J.L. Weatherby en avait été avisé ; il avait informé l’Hospitals’Trust, Ltd. qu’il avait disposé de ce billet en faveur de E.C. Gordon ; quand il avait eu le reçu officiel, il l’avait fait suivre à telle adresse.
Étais-je le « E.C. Gordon », avais-je le billet et le reçu ? H.T., Ltd. aimerait que je réponde rapidement.
Dans la dernière lettre se trouvait un mot qui m’avait été réexpédié par la poste militaire : c’était un reçu du Sweepstake irlandais avec un mot, Voici qui devrait m’apprendre à ne pas jouer au poker. J’espère que vous gagnerez quelque chose – J. WEATHERBY . Et l’endos datait de plus d’un an.
Je le considérai longuement, puis allai fouiller dans les papiers que j’avais emportés avec moi entre différents Univers. Je trouvai le billet en question. Il était tout taché de sang mais le numéro était parfaitement lisible.
Je regardai de nouveau la lettre : le second tirage…
J’examinai, encore une fois, mes billets en pleine lumière. Les autres étaient des imitations. Quant à ce billet-ci, et ce reçu, la gravure en était nette comme celle d’un billet de banque. Je ne sais pas où Weatherby avait acheté ce billet mais il ne l’avait certainement pas acheté au voleur qui m’avait vendu le mien.
Un second tirage… je ne savais pas qu’il y en avait plus d’un. Le fait est que les tirages dépendent du nombre de billets vendus, par tranches de 120.000 livres sterlings. Et je n’avais vu que les résultats du premier tirage.
Weatherby avait expédié le reçu aux bons soins de ma mère, à Wiesbaden, et il devait être à Elmendorf quand je me trouvais, moi, à Nice, puis il avait dû se promener à Nice, pour retourner à Elmendorf puisque Rufo avait laissé une adresse où faire suivre mon courrier aux bons soins de l’American Express ; Rufo savait tout ce qui me concernait et avait naturellement pris toutes les mesures nécessaires pour dissimuler ma disparition.
Ce matin-là, il y avait plus d’un an, quand j’étais assis à la terrasse d’un café, à Nice, j’avais au courrier le reçu d’un billet gagnant, et le billet avec moi. Si j’avais poursuivi la lecture du Herald-Tribune au-delà des annonces « Personnelles », j’aurais vu les résultats du second tirage et je n’aurais jamais répondu à l’annonce.
J’aurais encaissé 140.000 dollars et je n’aurais jamais revu Star…
Pourtant, Sa Sagesse se serait-elle laissée contrarier ?
Aurais-je refusé de suivre mon « Hélène de Troie » pour la seule raison que j’avais de l’argent plein les poches ?
Je m’accordais le bénéfice du doute. De toute manière, j’aurais suivi la Route de la Gloire !
Je l’espérais du moins.
Le lendemain matin, je téléphonai à l’usine, puis j’allai à la banque et je connus une nouvelle fois les formalités que j’avais remplies à Nice.
Oui, le billet était bon. Est-ce que la banque pouvait se charger de le faire encaisser ? Je les remerciai et je partis.
Un petit homme m’attendait sur le pas de ma porte ; il venait de la part des Contributions Directes…
À quelques minutes près… Ses oreilles avaient dû siffler quand j’écrivais à l’Hospitals’Trust, Ltd.
À ce moment, j’étais en train de lui dire que je voulais bien être pendu plutôt que de payer ! Je laisserais l’argent en Europe et ils pourraient aller se faire voir ! Il me répondit calmement de ne pas prendre cette attitude, que je devrais de toute manière payer les taxes et il espérait bien pour moi que je ne ferais pas trop de difficultés parce que l’Administration des Impôts n’aimait pas payer les agences de renseignements mais qu’elle s’y résoudrait quand même si j’essayais de ne pas payer.
Ils me laissèrent les yeux pour pleurer. Je touchai 140.000 dollars et j’en payai 103.000 à l’Oncle Sam. Le petit homme doucereux me dit que cela valait mieux comme ça ; il y a tant de gens qui essayent de rouler l’Administration et qui, ensuite, ont des tas d’ennuis.
Si j’avais été en Europe, j’aurais touché 140.000 dollars, en or, – et ce n’était plus maintenant que 37.000 dollars, en papier, – car les Américains qui sont libres et souverains n’ont pas le droit de posséder d’or. Ils ont le droit de déclencher une guerre, de devenir communistes, de faire n’importe quoi. Mais non, je n’aurais pas même le droit de laisser 37.000 dollars en Europe, en or ; cela aussi était illégal. Ils se montraient vraiment d’une extrême politesse.
J’expédiai 10 pour cent, soit 3.700 dollars au sergent Weatherby et je lui racontai toute l’histoire. Je pris les 33.000 dollars et constituai une bourse d’étude pour mes frères et sœurs en spécifiant que ma famille ne devait pas être mise au courant tant que ce ne serait pas nécessaire. Je croisai les doigts pour conjurer le sort, espérant que la nouvelle concernant ce billet ne parviendrait pas jusqu’en Alaska. Les journaux de Los Angeles ne furent pas mis au courant mais la nouvelle transpira quand même ; je me vis rapidement accablé de demandes de secours, de lettres qui m’offraient des investissements merveilleux, de demandes d’emprunts ou même de cadeaux.
Il me fallut un mois entier pour m’apercevoir que j’avais complètement oublié la perception des impôts de l’État de Californie. Jamais je ne pus éponger le déficit.
Je retournai donc vers la bonne vieille planche à dessin ; le soir, je me plongeais dans mes livres, je regardais un peu la télévision et, en fin de semaine, je faisais un peu d’escrime.
Mais mon rêve ne m’abandonnait pas…
Je l’avais eu dès que j’avais repris cette situation et, depuis, je le retrouvais toutes les nuits…
Je suis cette longue, longue route et, au détour du chemin, se trouve un château au sommet d’une colline. C’est magnifique, des flammes flottent au sommet des tours, le chemin serpente jusqu’au pont-levis. Et je sais parfaitement que, dans le donjon, une princesse est maintenue en captivité.
Cette partie est toujours la même, mais certains détails varient. Dernièrement, mon petit homme doucereux envoyé par les Contributions Directes m’a arrêté sur la route pour me dire qu’il fallait acquitter un péage : tout ce que j’avais gagné, plus dix pour cent.
D’autres fois, c’est un flic qui s’appuie contre mon cheval (qui a parfois quatre jambes et parfois huit) et qui me dresse contravention pour entrave à la circulation, pour chevaucher avec un permis périmé, pour n’avoir pas respecté les feux de circulation, pour fraude fiscale. Il désire savoir si j’ai une autorisation pour porter cette lance ?… et m’informe que les lois sur la chasse m’imposent de déclarer tous les dragons que j’ai tués.
D’autres fois, après le tournant je débouche sur une route à grande circulation, avec cinq voies matérialisées, et ça, c’est le pire.
J’ai commencé à écrire lorsque ces rêves ont débuté. Je ne me voyais pas du tout aller voir un psychiatre pour lui dire : « Vous comprenez, docteur, je suis Héros de profession et ma femme est Impératrice dans un autre Univers…» Et j’avais encore moins envie de m’étendre sur son divan pour lui raconter comment mes parents m’avaient maltraité quand j’étais enfant (ce qu’ils n’avaient pas fait) ni comment j’avais découvert comment sont faites les petites filles (ça, c’est mes affaires).
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