Il avait fallu un certain temps pour tout installer, mais depuis une douzaine d’années, on avait analysé toute bribe d’information suspecte et, de temps à autre, on soumettait au Gouverneur quelque chose qui semblait suffisamment louche. Chaque fois que la chose s’était produite, elle avait déclenché dans la tête de Pitt une sonnerie d’alarme.
Alarme toujours fausse, jusqu’ici, et le soulagement initial s’était, chaque fois, transformé en fureur contre les techniciens du Balayage. S’ils n’étaient pas sûrs de quelque chose, ils s’en lavaient les mains et se tournaient vers Pitt. C’était à lui de s’en charger, à lui de souffrir, à lui de prendre les décisions difficiles.
Ce fut à ce moment-là que l’apitoiement de Pitt sur lui-même se fit larmoyant et qu’il commença à s’inquiéter, à l’idée qu’il pourrait se montrer faible.
Il y avait cette histoire, par exemple. Pitt tripotait le rapport, que son ordinateur venait de décoder, et qui lui avait inspiré ce survol mental apitoyé de son propre dévouement au peuple rotorien, dévouement de tous les instants, intolérable et pas assez reconnu.
C’était le premier rapport qu’on lui envoyait depuis quatre mois et il lui semblait d’une importance très minime. Une source d’énergie suspecte approchait, mais étant donnée sa distance probable, elle était exceptionnellement faible, environ quatre fois plus petite que celle qu’on pourrait attendre d’une colonie. C’était une source d’énergie si faible qu’elle était presque inséparable du bruit.
Ils auraient pu lui épargner cela. Dire qu’il y avait là un pattern de longueur d’ondes bizarre qui semblait d’origine humaine, c’était ridicule. Que pouvait-on dire d’une source si faible … sauf que ce n’était pas une colonie et donc qu’elle ne pouvait pas être d’origine humaine, quel que soit son pattern de longueur d’ondes ?
Ces idiots de techniciens ne devraient pas m’importuner comme ça, pensa Pitt.
Il repoussa avec humeur le papier et prit le dernier rapport de Ranay d’Aubisson. Cette fille, Marlène, n’avait pas la Peste, pas encore. Elle insistait pour se mettre de plus en plus en danger … et pourtant restait indemne.
Pitt soupira. Ce n’était peut-être pas grave. La fille semblait vouloir rester sur Erythro et c’était aussi bien que si elle avait eu la Peste. En fait, cela forcerait Eugenia Insigna à y rester aussi et il serait débarrassé des deux femmes. Bien sûr, il se sentirait plus en sécurité si c’était d’Aubisson, et non Genarr, qui gouvernait le Dôme et surveillait la mère et la fille. Il arrangerait cela bientôt, en prenant soin de ne pas faire de Genarr un martyr.
Pourrait-on sans risque le nommer gouverneur de Rotor Deux ? Ce serait considéré comme une promotion et il ne pourrait guère refuser, surtout qu’en théorie, cela le placerait au même rang que Pitt lui-même. Mais est-ce que cela ne donnerait pas à Genarr un peu trop de la réalité du pouvoir, en plus de son apparence ? Y avait-il une troisième solution ?
Il faudrait qu’il y réfléchisse.
C’était ridicule ! Tout cela aurait été tellement plus simple si cette Marlène avait simplement attrapé la Peste.
Dans un accès d’irritation contre cette fille, il reprit le rapport sur la source d’énergie.
Regardez ça ! Une petite bouffée d’énergie et on venait l’importuner. Il ne permettrait pas ce genre de choses plus longtemps. Il pianota sur l’ordinateur un mémo à transmettre immédiatement. Il n’allait pas se laisser déranger pour des vétilles. Essayez donc de repérer une colonie !
A bord du Supraluminal, les découvertes survenaient l’une après l’autre, comme une série de coups de marteau.
Ils étaient encore à une très grande distance de Némésis lorsqu’on s’aperçut que l’étoile avait une planète.
« Une planète ! s’écria Crile Fisher d’un ton triomphant. Je le savais …
— Non, se hâta de dire Tessa Wendel, ce n’est pas ce que tu penses. Mets-toi bien dans la tête, Crile, qu’il y a planète et planète. Théoriquement, toutes les étoiles ont un système planétaire, d’un type ou d’un autre. Après tout, plus de la moitié des étoiles de notre galaxie appartiennent à des systèmes d’étoiles multiples et les planètes ne sont que des étoiles trop petites pour en être vraiment. Cette planète que nous voyons n’est pas habitable. Si elle l’était, nous ne la verrions pas à cette distance, surtout à la lumière atténuée de l’Étoile voisine.
— Tu veux dire que c’est une géante gazeuse.
— Bien entendu. Son absence m’aurait plus étonnée que sa présence.
— Mais si c’est une grande planète, il peut y en avoir aussi de plus petites.
— Peut-être, concéda Wendel, mais guère habitables. Soit elles seraient trop froides, soit leur rotation serait bloquée par la force des marées et elles présenteraient toujours la même face à l’étoile, ce qui les rendrait trop chaudes d’un côté et trop froides de l’autre. Tout ce que Rotor a pu faire — s’il est là — c’est de se mettre en orbite autour de l’étoile, ou peut-être autour de la géante gazeuse.
— C’est peut-être exactement ce qu’ils ont fait.
— Pendant tant d’années ? » Wendel haussa les épaules. « C’est concevable, je suppose, mais tu ne peux pas compter là-dessus, Crile. »
Les coups suivants furent plus stupéfiants.
« Un satellite ? dit Tessa Wendel. Eh bien, pourquoi pas ? Jupiter en a quatre assez gros. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que cette géante gazeuse en ait un ?
— Ce n’est pas un satellite comme ceux du système solaire, dit Henry Jarlow. Il a presque la taille de la Terre, d’après les mesures que j’ai pu faire.
— Eh bien, dit Wendel en gardant son indifférence, qu’est-ce qui en découle ?
— Rien, mais ce satellite présente des caractéristiques étranges. Je voudrais bien être astronome.
— Moi aussi, je voudrais bien qu’il y en ait un à bord, mais je vous en prie, continuez. Vous n’êtes pas complètement ignorant en astronomie.
— Puisqu’il gravite autour d’une géante gazeuse, il lui montre toujours la même face, alors qu’au cours de sa révolution, il se présente sous toutes les coutures à l’Étoile voisine. Et la nature de l’orbite est telle que, autant que je puisse le dire, la température de ce monde permet l’existence d’eau à l’état liquide. Et il a une atmosphère. Mais je ne suis pas astronome et je ne connais pas les subtilités sur le bout du doigt. Pourtant, il me semble qu’il y a des chances pour que ce satellite soit habitable. »
Crile Fisher reçut la nouvelle avec un large sourire. « Cela ne me surprend pas. Igor Koropatsky a prédit l’existence d’une planète habitable. Il l’a fait sans aucune donnée, juste par déduction logique.
— Vraiment ? Et quand t’a-t-il dit cela ?
— Un peu avant notre départ. Il m’a dit qu’il y avait peu de chances pour que quelque chose soit arrivé à Rotor au cours du voyage et que, puisqu’ils n’étaient pas revenus, ils avaient sans doute trouvé une planète à coloniser. Et voilà qu’il y en a une.
— Pourquoi, au juste, t’a-t-il dit cela, Crile ? »
Fisher se tut, réfléchit et répondit : « Il voudrait bien que nous explorions cette planète afin que la Terre puisse l’utiliser, quand viendra l’heure de l’évacuation.
— Et pourquoi ne m’a-t-il pas dit cela à moi ? As-tu une idée là-dessus ?
— Je suppose, Tessa, répondit Crile avec précaution, qu’il pensait que de nous deux, ce serait moi le plus facile à convaincre de l’urgence d’explorer la planète …
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