« Alors, vous voulez vraiment revenir ? La découverte de la correction gravitationnelle, certains s’en souviendront comme d’un petit effet secondaire du voyage supraluminique. Mais c’est l’équipage de la prochaine expédition, qui atteindra réellement l’Étoile voisine, que l’on saluera comme celle qui a effectué le premier voyage stellaire supraluminique. A vous trois, même à vous, Wu, on n’accordera qu’une note en bas de page.
« Vous vous imaginez peut-être que pour vous récompenser de cette grande découverte que Wu a faite, c’est vous qu’on enverra lors de la seconde expédition ; je crains bien que non. Vous voyez, Igor Koropatsky, le directeur du TBI, qui attend notre retour, désire surtout des informations sur l’Étoile voisine et son système planétaire. Il explosera comme le Krakatoa quand il découvrira que nous étions sur le point d’arriver lorsque nous avons décidé de revenir. Et bien, sûr, le capitaine Wendel sera forcé d’expliquer que vous trois, vous vous êtes mutinés, ce qui est un délit extrêmement grave, même si nous ne sommes pas sur un navire à voiles du XVIIIe siècle. Loin de partir avec la prochaine expédition, vous ne reverrez plus jamais un laboratoire de votre vie. Comptez là-dessus. Ce que vous verrez, en dépit de vos distinctions scientifiques, ce sera une cellule de prison. Ne sous-estimez pas la colère de Koropatsky. Alors, réfléchissez. On continue vers l’Étoile voisine ? Ou on revient ? »
Il y eut un silence.
« Je pense que Fisher a expliqué clairement la situation, dit sévèrement Wendel. Est-ce que quelqu’un a quelque chose à dire ?
— Je n’avais pas examiné les choses en détail, dit Blankowitz à voix basse. Je pense qu’il faut continuer. »
Jarlow grogna : « Je le pense aussi.
— Et vous, Chao-Li Wu ? » demanda Wendel.
Wu haussa les épaules. « Je ne peux pas m’opposer à tous les autres.
— Je suis heureuse de vous l’entendre dire. L’incident est oublié, en ce qui concerne les autorités de la Terre, mais il vaudrait mieux que ce genre de choses, qui peut être considéré comme une mutinerie, ne se renouvelle pas. »
De retour dans leur cabine, Fisher dit : « J’espère que cela ne t’ennuie pas que je m’en sois mêlé. J’avais peur que tu exploses pour rien.
— Non, c’était bien. Je n’aurais pas pensé à l’analogie avec Christophe Colomb, qui était parfaite. Merci, Crile. » Elle lui prit la main et la serra.
Il sourit brièvement. « Il faut bien que je justifie ma présence à bord.
— Tu as fait plus que la justifier. Et tu n’as pas idée du dégoût que j’ai éprouvé à voir Wu agir ainsi alors que je venais de te dire combien j’étais heureuse de ses découvertes, et de l’honneur qu’il en tirerait. Je me sentais magnanime d’accepter ainsi de partager l’honneur avec lui, de respecter l’éthique de la recherche scientifique qui accorde à chacun son juste dû, et le voilà qui fait passer la satisfaction de son orgueil avant le projet.
— Nous sommes tous des êtres humains, Tessa.
— Je sais. Et s’apercevoir que la conscience d’un homme présente de vilaines taches morales ne change pas le fait qu’il a un esprit scientifique terriblement pénétrant.
— Je suis malheureusement obligé d’admettre que mes propres arguments étaient basés sur des désirs personnels et non sur le bien public. Je veux atteindre l’Étoile voisine pour des raisons qui n’ont rien à faire avec le projet.
— Je le sais. Je te suis tout de même reconnaissante. » Elle avait des larmes dans les yeux et cela embarrassa Fisher.
Il l’embrassa.
Ce n’était rien qu’une étoile, trop pâle pour trancher sur les autres. En réalité, Crile Fisher l’aurait perdue s’il n’avait pas demandé au réseau informatique de tracer des cercles concentriques autour d’elle. « En tant qu’étoile, elle semble décevante, n’est-ce pas ? » dit-il, l’air morose.
Merry Blankowitz, seule avec lui devant le panneau d’observation, répondit : « Ce n’est que cela, Crile. Une étoile.
— Je veux dire que sa lumière est faible … et pourtant, nous sommes si près.
— Près, c’est une manière de parler. Nous sommes encore à un dixième d’année-lumière, ce qui n’est pas si près que cela. Le capitaine se montre prudent. Moi, j’aurais amené le Supraluminal à proximité. Je n’en peux plus d’attendre.
— Avant la dernière transition, vous parliez de rentrer à la maison, Merry.
— Pas vraiment. Ils m’avaient seulement convaincue. Dès que vous avez fait votre petit discours, j’ai compris que j’étais une crétine. J’avais compté que si nous revenions, nous repartirions tous une seconde fois, mais vous avez vraiment clarifié la situation. Oh, j’ai tellement envie de me servir du DN. »
Fisher savait que le DN, c’était le détecteur neuronique. Lui aussi était excité. Détecter de l’intelligence, ce serait savoir qu’ils étaient tombés sur quelque chose d’infiniment plus important que les métaux, les rochers, les glaciers et les vapeurs qu’ils pouvaient découvrir.
« Vous pourriez, d’ici ? demanda-t-il.
— Non. Il faudra se rapprocher plus. Si nous restions à cette distance, nous ne pourrions qu’avancer sur notre lancée. Cela nous prendrait environ un an. Une fois que le capitaine aura fait les observations nécessaires au point où nous sommes, nous effectuerons une autre transition. J’espère donc que dans deux jours, au plus, nous serons à une ou deux unités astronomiques de l’Étoile voisine et que je pourrai commencer à faire mes observations et me sentir enfin utile. C’est dur de sentir qu’on est un poids mort.
— Oui, répliqua sèchement Fisher. Je sais.
— Je suis désolée, Crile. Je ne parlais pas de vous.
— Vous auriez pu. Je ne servirai peut-être à rien, quelle que soit la distance qui nous séparera de l’Étoile voisine.
— Vous serez utile si nous détectons de l’intelligence. Vous pourrez leur parler. Vous êtes rotorien et nous avons besoin de vous.
— Un Rotorien seulement pendant quelques années, dit Fisher en souriant tristement.
— C’est assez, n’est-ce pas ?
— Nous verrons. » Il changea volontairement de sujet. « Êtes-vous certaine que le détecteur neuronique fonctionnera ?
— Absolument sûre. On peut suivre n’importe quelle colonie en orbite juste par sa radiation de plexons.
— Qu’est-ce que c’est, des plexons ?
— C’est un nom que j’ai inventé, pour nommer le complexe/photon caractéristique du cerveau des mammifères. On pourrait détecter des chevaux, vous savez, si on n’était pas si loin, mais on peut détecter des cerveaux humains en masses à des distances astronomiques.
— Pourquoi plexons ?
— A cause de ‘‘complexe’’. Un jour, vous verrez, on se servira des plexons, non seulement pour détecter la vie, mais aussi pour étudier le fonctionnement du cerveau. J’ai inventé un nom pour cela … la plexophysiologie. Ou peut-être la plexoneuronique.
— Vous pensez que les noms, c’est important ?
— Oh, oui. Cela vous permet de parler avec concision. Vous n’êtes pas obligé de dire, ‘‘ce domaine de la science qui concerne la relation entre ceci et cela’’. Vous dites ‘‘la plexoneuronique’’ … oui, cela sonne mieux. C’est un raccourci. Cela gagne du temps pour réfléchir à des sujets plus importants. Et puis … » Elle hésita.
« Oui ? Et puis ? »
Les mots jaillirent brusquement. « Si j’ai inventé un nom et qu’on l’adopte, cela suffit pour que j’aie droit à une note dans l’histoire des sciences. Vous savez : ‘‘Le mot ‘plexon’a été utilisé pour la première fois en 2237 par Merrilee Augina Blankowitz lors du premier vol plus-vite-que-la-lumière du Supraluminal.’’ Je ne serai probablement pas nommée ailleurs, ou pour une autre raison, mais je m’en contenterai.
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