— Et si vous détectiez vos plexons, Merry, et qu’il n’y ait aucun être humain présent ?
— Vous voulez dire, de la vie extra-terrestre ? Ce serait encore plus excitant que de repérer des gens. Mais il n’y a guère de chance. Nos espoirs d’en rencontrer une ont toujours été déçus. Nous pensions qu’il pourrait y avoir des formes de vie primitives sur la Lune, sur Mars, sur Callisto, sur Titan. Nous n’avons jamais rien trouvé. Beaucoup de gens se sont interrogés sur des formes de vie bizarres — les galaxies vivantes, les nuages de poussières vivants, la vie à la surface d’une étoile à neutrons, toutes sortes de choses. Il n’existe aucune preuve de tout cela. Non, si je détecte quelque chose, ce sera de la vie humaine. J’en suis convaincue.
— Ne pourriez-vous pas détecter les plexons émis par les cinq personnes à bord du vaisseau ? Est-ce que nous n’occultons pas tout ce qu’on peut détecter à des millions de kilomètres à la ronde ?
— Cela complique les choses, Crile, c’est vrai. Il faut équilibrer le DN de façon à nous éliminer et c’est un travail délicat. Même une petite fuite effacerait tout ce que nous pourrions détecter ailleurs. Un jour, Crile, on enverra des DN robots dans l’hyper-espace, à toutes sortes d’endroits, pour détecter des plexons. Il n’y aura pas d’êtres humains dans le voisinage et cela suffira à les rendre au moins deux ou trois plus sensibles que ce que l’on peut obtenir d’eux maintenant, avec nous dans le coin. Nous saurons dans quel système il y a de l’intelligence avant d’y arriver nous-mêmes. »
Chao-Li Wu apparut. Il regarda Fisher avec un peu de répugnance et dit d’un ton neutre : « Comment est l’Étoile voisine ?
— On ne voit pas grand-chose à cette distance, répondit Blankowitz.
— Eh bien, nous allons probablement effectuer une autre transition demain ou après-demain, et alors nous verrons.
— Ce sera excitant, non ?
— Si nous trouvons les Rotoriens. » Il jeta un coup d’œil à Fisher. « Mais, les trouverons-nous ? »
Si c’était une question destinée à Fisher, celui-ci ne répondit pas. Il se contenta de regarder Wu avec un visage dépourvu de toute expression.
Les trouverons-nous ? pensa-t-il.
La longue attente tirait à sa fin.
Comme nous l’avons déjà constaté, il était rare que Janus Pitt s’offrît le luxe de s’apitoyer sur lui-même. Chez quelqu’un d’autre, il aurait considéré cela comme un signe méprisable de faiblesse et de sybaritisme. Cependant, il se révoltait parfois avec tristesse contre cette tendance qu’avaient les Rotoriens à lui laisser prendre toutes les décisions déplaisantes.
Il y avait un Conseil, oui, et dûment élu, qui s’appliquait méticuleusement à voter des lois et à prendre des décisions … sauf les plus importantes, celles qui portaient sur l’avenir de Rotor.
Cela, on le lui laissait.
Même pas consciemment, du reste. On ignorait simplement les questions importantes ; c’était un accord mutuel tacite qui les rendait inexistantes.
Ils étaient là dans un système vide, en train de construire, sans se presser, de nouvelles colonies, convaincus que le temps s’étendait à l’infini devant eux. Présumant tous calmement qu’une fois qu’ils auraient rempli cette nouvelle ceinture d’astéroïdes (dans plusieurs générations, et cette question ne concernait donc aucun de ceux qui vivaient actuellement) la technique de l’hyper-assistance aurait suffisamment progressé pour qu’on puisse sans trop de difficultés aller chercher ailleurs de nouvelles planètes à occuper.
On avait tout le temps. Le temps se fondait en éternité.
Pitt était toujours le seul à comprendre qu’on manquait de temps, qu’à tout moment, sans avertissement, la catastrophe pouvait fondre sur eux.
Quand le système solaire découvrirait-il Némésis ? Quand une colonie déciderait-elle de suivre l’exemple de Rotor ?
Cela arriverait forcément un jour. Némésis, s’avançant inexorablement vers le Soleil, finirait par atteindre ce point — encore lointain, mais assez proche tout de même — où il faudrait que les gens du système solaire soient aveugles pour ne pas la voir.
L’ordinateur de Pitt, avec l’aide d’un programmeur convaincu qu’il ne travaillait que sur un problème théorique, avait estimé que dans un millier d’années, la découverte de Némésis serait inévitable et que les Colonies commenceraient à se disperser.
Pitt lui avait alors posé la question : est-ce que les Colonies se dirigeraient vers Némésis ?
La réponse était non. A ce moment-là, l’hyper-assistance serait infiniment plus efficace et moins chère. Les Colonies connaîtraient mieux les étoiles les plus proches … sauraient lesquelles avaient des planètes, et de quels types. Elles ne perdraient pas leur temps avec une naine rouge et s’envoleraient vers les étoiles qui ressemblaient au Soleil.
Resterait alors la Terre, acculée au désespoir. Effrayée par l’espace, déjà nettement dégénérée et sombrant encore plus dans la misère au cours des siècles à venir, que ferait-elle lorsque l’apocalypse de Némésis se profilerait clairement dans un avenir proche ? Ils ne pourraient pas entreprendre un long voyage. C’était des Terriens. Attachés à la surface d’une planète. Ils seraient obligés d’attendre que Némésis se rapproche suffisamment. Ils ne pourraient espérer se rendre nulle part ailleurs que là.
Pitt eut une vision d’un monde en pleine décadence, essayant de s’abriter dans le système mieux organisé de Némésis, de trouver refuge auprès d’une étoile dont le système était assez solidement établi pour maintenir sa cohésion tandis qu’il détruirait celui du Soleil.
C’était un scénario terrible, mais inévitable.
Pourquoi Némésis ne s’éloignait-elle pas plutôt du Soleil ? Tout se serait passé différemment. A la longue, sa découverte serait devenue de moins en moins probable, et en admettant qu’elle ait eu lieu, Némésis aurait constitué un lieu de refuge moins désirable — et moins accessible. Si l’Étoile voisine s’était éloignée, la Terre n’aurait même pas eu besoin de chercher un refuge.
Mais il n’en était pas ainsi. Les Terriens allaient débarquer ; cette racaille dégénérée, avec son manque de rigueur et sa culture anormale, viendrait les envahir. Que pourraient faire les Rotoriens, sinon les détruire lorsqu’ils seraient encore dans l’espace ? Mais auraient-ils un Janus Pitt pour leur montrer qu’ils n’avaient pas le choix ? Auraient-ils un Janus Pitt, entre-temps, pour veiller à ce que Rotor ait les armes et la résolution de se préparer à faire cela quand le temps viendrait ?
L’analyse de l’ordinateur était faussement optimiste. La découverte de Némésis par le système solaire « devait » se produire d’ici mille ans, disait l’ordinateur. Mais quand exactement ? Et si la Terre découvrait Némésis demain ? Ou dans trois ans ? Est-ce qu’une colonie, cherchant à l’aveuglette l’étoile la plus proche, ne sachant rien d’utile sur les systèmes plus lointains, ne suivait pas « en ce moment même » la piste de Rotor ?
Tous les jours, Pitt se réveillait en se demandant : Est-ce pour aujourd’hui ?
Pourquoi ce supplice lui était-il réservé ? Pourquoi tous les autres dormaient-ils paisiblement dans le giron de l’éternité alors que lui était le seul à affronter, chaque jour, la possibilité d’un tel destin ?
Il avait pris des mesures, bien entendu. Il avait installé un Service de Balayage dans la ceinture d’astéroïdes, un scanner dont la fonction consistait à superviser les récepteurs automatisés qui balayaient constamment le ciel pour détecter, à une distance aussi grande que possible, la décharge abondante de déchets énergétiques d’une colonie qui approcherait de Némésis.
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