L’heure arriva où Wendel et lui se retrouvèrent face à face : elle le contempla pensivement, des pieds à la tête, et prononça les paroles qu’il attendait, « Vous êtes terrien, je crois, Mr Fisher.
— Oui, madame. Et je le regrette fort … si cela vous déplaît.
— Cela ne me déplaît pas. Je suppose qu’on vous a décontaminé.
— Oui. Ce qui a failli me tuer.
— Et pourquoi avez-vous affronté la décontamination afin de venir ici ? »
Et Fisher dit, sans la dévisager, mais en guettant sa réaction : « Parce qu’on m’a dit que les Adeliennes étaient particulièrement belles.
— Et maintenant, je suppose, vous allez repartir afin de démentir cette rumeur.
— Au contraire, elle doit être confirmée.
— Vous êtes un affrioleur, savez-vous ? »
Fisher ne savait pas ce qu’était un « affrioleur » en argot adelien, mais Wendel souriait et il décida que leur premier entretien s’était bien passé.
Était-il vraiment irrésistible ? Il se souvint brusquement qu’il n’avait jamais tenté de l’être avec Eugenia. Il avait simplement cherché le moyen de se « lancer » dans la société rotorienne, si fermée.
Les choses semblaient plus faciles sur Adelia, mais il ferait mieux de mettre toutes les chances de son côté, y compris son charme irrésistible. Intérieurement, il sourit tristement.
Un mois plus tard, Fisher et Wendel étaient suffisamment à l’aise l’un avec l’autre pour s’exercer ensemble dans le gymnase où régnait une faible pesanteur. Le Terrien avait presque pris plaisir à la séance d’entraînement … presque, parce qu’il ne s’était jamais assez habitué à la gymnastique en basse pesanteur pour ne pas ressentir un peu de mal de l’espace. Sur Rotor, on l’avait, en général, exclu de ce genre d’activités parce qu’il n’était pas natif de la station. (Ce n’était pas légal, mais la coutume l’emportait généralement sur la loi.)
Ils prirent un ascenseur jusqu’à un niveau où la pesanteur était plus élevée et Fisher sentit son estomac se calmer. Tous deux portaient un minimum de vêtements, il avait l’impression qu’elle n’était pas insensible à son corps et il le lui rendait bien.
Après la douche, ils enfilèrent des peignoirs et s’installèrent dans l’un des Retiros pour y commander un repas léger.
« Vous n’êtes pas mauvais en basse pesanteur, pour un Terrien, lui dit Wendel. Vous vous plaisez sur Adelia ?
— Vous le savez bien, Tessa. Un Terrien ne s’habitue jamais vraiment à une station spatiale, mais votre présence suffirait à compenser des désavantages infiniment plus grands.
— Bien. C’est exactement ce que dirait un affrioleur. Que pensez-vous d’Adelia, comparé à Rotor ?
— A Rotor ?
— Ou aux autres colonies sur lesquelles vous êtes allé. Je peux les nommer toutes, Crile. »
Fisher était pris à contrepied. « Vous avez mené une enquête sur moi ?
— Bien entendu.
— Suis-je donc si intéressant ?
— Je m’intéresse à tout homme qui s’écarte de son chemin pour s’intéresser à moi. Je veux savoir pourquoi. Mis à part le désir sexuel, bien sûr. Quand il est là, je n’ai pas besoin de savoir pourquoi.
— Alors, pourquoi est-ce que je m’intéresse à vous ?
— C’est à vous de me le dire. Pourquoi êtes-vous allé sur Rotor ? Vous êtes resté là-bas assez longtemps pour vous marier et avoir un enfant ; et puis vous vous êtes dépêché de revenir avant qu’ils s’en aillent. Aviez-vous peur d’y rester coincé toute votre vie ? Est-ce que vous ne vous y plaisiez plus ? »
Cela tournait au harcèlement. « A vrai dire, je n’aimais pas beaucoup Rotor parce que là-bas, on ne m’aimait pas … en tant que Terrien. Je n’avais pas envie de rester un citoyen de deuxième classe toute ma vie. Il y a d’autres colonies où l’on est mieux accepté. Adelia, par exemple.
— Sur Rotor, ils avaient un secret n’est-ce pas ? » Les yeux de Wendel brillaient d’amusement.
« Un secret ? Vous voulez parler de l’hyper-assistance, je suppose.
— Oui, c’est exactement ce que je veux dire. Et je pense que c’est ce que vous cherchiez.
— Moi ?
— Oui, vous. C’est pour cela que vous avez épousé une astronome rotorienne, n’est-ce pas ? » Elle appuya son menton sur ses deux poings, les coudes sur la table, et se pencha vers lui.
Fisher secoua la tête et dit prudemment : « Elle ne m’a jamais dit un seul mot sur l’hyper-assistance. Vous vous trompez sur mon compte. »
Wendel fit comme si elle n’avait pas entendu sa remarque. « Et maintenant, vous voulez me soutirer la même chose. Comment allez-vous vous y prendre ? Allez-vous m’épouser ?
— Obtiendrais-je de vous l’hyper-assistance, si je vous épousais ?
— Non.
— Alors le mariage semble hors de question, non ?
— Quel dommage, dit Wendel en souriant.
— Est-ce que vous me posez ces questions parce que vous êtes une hyper-spatialiste ?
— Où vous a-t-on dit que je l’étais ? Là-bas, sur Terre, avant de venir ici ?
— Vous étiez sur la liste des hyper-spatialistes.
— Ah, vous aussi vous avez enquêté sur moi. Quelle drôle de paire nous faisons. Avez-vous remarqué que j’étais sur la liste en tant que spécialiste en physique théorique ?
— Il y avait aussi la liste de vos publications, et comme il y avait le mot « hyper-spatial » dans quelques-uns des titres, j’ai cru que vous étiez une hyper-spatialiste.
— Oui, mais en physique théorique, et je ne traite du problème que d’une manière théorique.
— Mais Rotor l’a mis en pratique. En avez-vous été ennuyée ? Après tout, quelqu’un, sur Rotor, vous a dépassée.
— Pourquoi en serais-je ennuyée ? J’aime la théorie non l’application. Si vous étiez allé plus loin que les titres de mes publications, vous sauriez que je dis, catégoriquement, que l’hyper-assistance ne vaut pas le mal qu’on se donne pour elle.
— Les Rotoriens l’ont employée pour partir vers les étoiles.
— C’est vrai. C’était en 2222 ; cela fait six ans qu’ils sont en route. C’est tout ce que nous savons.
— Ce n’est pas suffisant ?
— Bien sûr que non. Où allaient-ils ? Sont-ils encore vivants ? Les êtres humains n’ont jamais été isolés sur une station spatiale. Ils ont toujours eu la Terre dans le voisinage, et d’autres colonies. Est-ce que quelques dizaines de milliers d’êtres humains peuvent survivre, seuls dans l’univers, sur une petite station ? Nous ignorons si, psychologiquement, c’est possible. Moi, j’estime que non.
— J’imagine que leur but était de trouver une planète sur laquelle ils pourraient s’installer.
— Allons, quelle planète ? Ils ne sont partis que depuis six ans. Ils n’auraient pu atteindre que deux étoiles, puisque l’hyper-assistance ne leur permet qu’une vitesse moyenne égale à celle de la lumière. Alpha du Centaure, un système trinaire, à 4,3 années-lumière, dont l’une des étoiles est une naine rouge. L’autre, c’est l’étoile de Barnard, une naine rouge à 5,9 années-lumière. En tout quatre étoiles : une comme le Soleil, une presque comme le Soleil, et deux naines rouges. Les deux premières font partie d’un système dont les étoiles sont relativement proches et qui n’a donc guère de chances de posséder une planète de type Terre en orbite stable. Où peuvent-ils aller après ? Ils n’y arriveront pas, Crile. Je sais que votre femme et votre enfant sont sur Rotor, mais ils n’y arriveront pas. »
Fisher resta calme. Il savait quelque chose qu’elle ignorait. Il connaissait l’Étoile voisine — mais c’était aussi une naine rouge. « Alors, vous croyez que le vol interstellaire est impossible ?
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