Connie Willis - Black-out

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Oxford, futur proche. L’université est définitivement dépoussiérée : historien est devenu un métier à haut risque. Car désormais, pour étudier le passé, il faut le vivre. Littéralement.
Michael Davies se prépare pour Pearl Harbor, Merope Ward est aux prises avec une volée d’enfants évacués en 1940, Polly Churchill sera vendeuse en plein cœur du Blitz, et le jeune Colin Templer irait n’importe où, n’importe quand, pour Polly…
Ils seront aux premières loges pour les épisodes les plus fascinants de la Seconde Guerre mondiale. Une aubaine pour des historiens, sauf que les bombes qui tombent sont bien réelles et une mort soudaine les guette à tout moment. Sans parler de ce sentiment grandissant que l’Histoire elle-même est en train de dérailler.
Et si, finalement, il était possible de changer le passé ?

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— Quoi ? fit Polly d’un air absent.

D’évidence, Eileen avait parlé dans le vide. Son amie ne l’avait pas écoutée.

— Je te demandais qui d’autre avait une mission pendant la Seconde Guerre mondiale ?

— Oh ! s’exclama Polly. Rob Cotton, et Michael Davies aussi, je crois.

— Sais-tu ce qu’il étudie ?

— Non, pourquoi ?

— Je veux savoir qui part pour le VE Day.

— Eh bien, il me semble qu’il était question de Pearl Harbor.

— Quand s’est passé Pearl Harbor ?

— Le 7 décembre 1941. Si ce n’est pas pour le VE Day, pour quelle destination as-tu besoin d’apprendre à conduire ?

— Le Warwickshire et le manoir. Où je retourne. Il me reste encore des mois à tirer avant la fin de cette affectation.

— Comme j’aimerais disposer de ces mois ! M. Dunworthy me permet seulement d’aller sur le Blitz pendant quelques semaines. Mais tu n’incarnais pas une domestique ? Les serviteurs n’avaient pas pour habitude de conduire, à cette époque.

— Lady Caroline insiste pour que son personnel prenne ces leçons. Elle veut que nous puissions conduire une ambulance en cas d’incident.

— Mais Backbury ne fut pas bombardé, je me trompe ?

— Non, mais lady Caroline est décidée à faire de son mieux pour l’effort de guerre… ou plutôt, à se débrouiller pour que son personnel l’exécute à sa place. Elle nous a aussi demandé d’apprendre à administrer les premiers secours, et à éteindre les bombes incendiaires. La semaine prochaine, elle a prévu une autre formation : nous entraîner à tirer avec un canon de DCA.

— Tu as l’air mieux préparée pour le Blitz que moi. J’aurais dû faire ma prépa à Backbury.

— Le ciel t’en garde ! Tu aurais eu affaire aux Horribles Hodbin.

— Les Horribles Hodbin ? Qu’est-ce que c’est ? Une espèce d’armement ?

— Voilà exactement ce qu’ils sont. Une arme secrète mortelle. Ce sont les pires enfants de toute l’Histoire.

Ce qu’elle entreprit de faire comprendre à Polly en lui racontant la meule de foin incendiée, les vaches de M. Rudman, des Black Angus, rayées à la peinture blanche : « Ben comme ça, y pourra les zieuter dans le black-out ! », et ses propres tentatives pour installer Theodore dans le train.

— Quel dommage qu’on ne les ait pas évacués à Berlin au lieu de Backbury ! dit Eileen. Deux semaines avec Alf et Binnie, et Hitler nous supplierait d’accepter sa reddition. (Elles avaient atteint King Edward Street.) J’adorerais continuer à bavarder avec toi, mais je dois me rendre à Transport. Tu ne saurais pas quand ils ferment ?

— Non. Sur quelle automobile envisages-tu d’apprendre ? Une Daimler ?

— Une Bentley. C’est ce que lady Caroline – ou plutôt son chauffeur – conduit. Pourquoi ?

— Rien. Je m’apprêtais à te mettre en garde au sujet de la boîte de vitesses des Daimler, c’est tout. Il faut tirer très fort sur le levier pour passer la marche arrière, mais comme tu n’auras pas à conduire une ambulance pour de vrai ça n’a pas d’importance. Est-ce que Transport a une Bentley de cette période ?

— Je l’ignore, je n’y suis pas encore allée. Je ne suis arrivée que ce matin.

— As-tu le formulaire t’autorisant à conduire ?

— Une autorisation de conduire ?

— Oui, tu dois l’obtenir de Fournitures avant de te rendre à Oriel.

— Tu veux dire que je dois me taper tout le chemin du retour jusqu’à Queen’s ?

— Non, je veux dire que tu dois aller à Balliol, obtenir l’autorisation de M. Dunworthy, et alors tu pourras aller à Fournitures.

— Ça va prendre tout l’après-midi ! se plaignit Eileen. Et je n’ai que deux jours. Je n’apprendrai jamais à conduire en un seul jour.

— Je ne comprends pas. Tu disais que le pasteur allait te donner des leçons.

— C’est le cas, mais je ne suis jamais entrée dans une auto de 1940. Je dois apprendre comment ouvrir la porte et mettre le contact, et…

— Oh ! je peux facilement te montrer ça en une heure ou deux. Viens avec moi à Balliol. Tu pourras obtenir ton autorisation, et ensuite je t’accompagne et je te mets au courant. Et je tente de persuader M. Dunworthy de te laisser faire le VE Day.

— Ça ne sert à rien, se rembrunit Eileen. J’ai déjà essayé, et tu sais comment il se comporte quand il a une idée en tête…

— Exact, mais il doit changer d’avis quelquefois si…

— Polly !

Elles se tournèrent avec un bel ensemble afin de regarder en arrière. Auréolé de sa rousse blondeur, le jeune Colin Templer, dix-sept ans, fonçait vers elles avec une liasse d’imprimante.

— Je t’ai cherchée partout, Polly, haleta-t-il. Hello, Merope ! Polly, j’ai terminé de recenser les stations de métro bombardées.

— Colin m’a aidée à préparer le Blitz, expliqua son amie à Eileen.

Le jeune homme acquiesça.

— Là, dit-il en lui tendant plusieurs des imprimés. Cette liste est par station, mais certaines d’entre elles ont été frappées plus d’une fois.

Polly parcourait les pages.

— Waterloo…, murmura-t-elle. Saint-Paul…, Marble Arch.

Colin acquiesça de nouveau.

— Celle-là fut touchée le 17 septembre. Plus de quarante victimes.

J’espère qu’ils n’ont pas l’intention de rester plantés là et de lire la liste en entier , pensait Eileen, qui regardait sa montre. Il était déjà trois heures et demie. Même s’ils parvenaient à voir M. Dunworthy sur-le-champ, ils resteraient au moins une heure à Balliol, et si Transport fermait à 17 heures…

— …Liverpool Street, continuait Polly. Cannon Street…, Blackfriars. Seigneur ! ce sont toutes les stations de métro de Londres !

— Non, seulement la moitié, précisa Colin, et la plupart n’ont subi que des dommages minimes.

Il lui tendit une autre liasse de feuilles.

— Voilà aussi la liste des dates. Comme ça, tu sauras quand il faut les éviter. Tu m’as dit que M. Dunworthy ne veut pas du tout que tu ailles dans celles qui ont été touchées, mais elles ne sont dangereuses qu’à ce moment-là, et comment arriverais-tu à quelque chose si tu ne peux pas te rendre à Victoria ou Bank ?

— Un homme selon mon cœur, sourit Polly. Ne raconte pas à M. Dunworthy que j’ai déclaré ça.

Il prit un air horrifié.

— Tu sais que je ne le ferais pas, Polly.

Humm , pensait Eileen.

— Est-ce que tu as répertorié les heures des sirènes annonçant les raids aériens et les fins d’alerte ? demanda Polly, qui feuilletait les pages.

Il lui tendit le reste des feuilles.

— Je n’ai pas encore fini, mais voilà la liste des monuments endommagés. Savais-tu qu’ils ont bombardé le musée de cire de Mme Tussaud ? abattu la statue de Churchill ! arraché l’oreille de Wellington ! Mais Hitler et Mussolini, rien du tout, même pas une égratignure ! C’est injuste, je trouve !

— Eh bien, ils en ont eu pour leur compte plus tard. Merci, Colin ! Tu n’as pas idée de l’aide que tu m’apportes.

Il rougit.

— Je te donnerai la liste des heures des sirènes dans une heure ou deux. Où seras-tu ?

— Balliol.

Il décolla comme une fusée.

— Merci encore, Colin ! Tu es merveilleux ! lui cria-t-elle.

— Excuse-moi, dit-elle à Eileen alors qu’elles se remettaient en marche. Il s’est révélé un assistant du tonnerre. Tout ceci m’aurait pris des semaines.

— Ma foi, c’est incroyable de voir quelle motivation peut générer l’amour.

— L’amour ? répéta Polly qui secouait la tête. Ce n’est pas moi qu’il aime, c’est le voyage temporel. Il harcèle constamment M. Dunworthy pour qu’il renonce à lui appliquer l’âge légal et qu’il le laisse partir dès maintenant en mission.

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