Involontairement, il regarda au-delà d’elle. Elle se retourna, regarda aussi et se serra, apeurée, contre lui.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.
La Vague atteignait déjà le soleil.
— Il faut qu’on se dépêche, dit Robert. Monte dans la cabine et soulève le siège.
Elle sauta adroitement dans la cabine. Et c’est seulement lorsqu’elle fut dans l’appareil que, d’un bond énorme, il la rejoignit, entoura ses épaules de son bras droit, les serrant tellement qu’elle ne pouvait plus bouger, et il démarra en flèche vers le ciel.
— Roby ! chuchota Tania. Qu’est-ce que tu fais, Roby ?
Il ne la regardait pas. Il poussait le moteur au maximum. Ce n’est que du coin de l’œil qu’il aperçut, en bas, la clairière et l’aérobus abandonné, ainsi qu’un petit visage curieux qui pointait à la fenêtre de la cabine de pilotage.
La chaleur du jour commençait déjà à tomber quand les derniers ptérocars, bondés et surchargés, se posèrent, brisant leur train d’atterrissage, dans les rues adjacentes à la vaste place de l’édifice du Conseil. A présent, presque toute la population de la planète était rassemblée ici.
Venant du nord et du sud, des colonnes grommelantes d’affreuses « taupes » de terrassement, portant l’insigne des trappeurs et l’éclair jaune des constructeurs-énergéticiens affluèrent lentement dans la ville. Elles dressèrent le camp au milieu de la place et, après une conférence ultra-rapide où seuls deux hommes prirent la parole et s’exprimèrent trois minutes chacun, elles se mirent à creuser une profonde mine-abri. Les « taupes » tonnèrent, assourdissantes, en brisant le béton qui recouvrait le sol, puis, l’une après l’autre, courbées d’une manière saugrenue, elles s’enfoncèrent dans la terre. Autour de la mine grandit rapidement une montagne circulaire du matériau concassé ; l’odeur étouffante et aigrelette du basalte dénaturé se répandit au-dessus de la place.
Les physiciens-zéroïstes s’installèrent dans les étages vides du théâtre en face de l’édifice du Conseil. Toute la journée, ils avaient battu en retraite, s’accrochant à mort, grâce à leurs phalanges de secours composées de « charybdes », à chaque poste d’observation, à chaque station de contrôle à grande distance, sauvant tout ce qu’ils pouvaient de l’équipement et de la documentation scientifique, risquant leur vie à chaque instant, et cela jusqu’à ce que l’ordre catégorique de Lamondoy et du directeur les convoque à la Capitale. On les reconnaissait à leur air excité, à la fois coupable et provocant, à leurs voix empreintes d’une animation affectée, à leurs plaisanteries dépourvues de drôleries et accompagnées de références à des circonstances particulières, à leur rire nerveux et fort. A présent, sous la direction d’Aristote et de Pagava, ils triaient et filmaient sur de la micropellicule le matériel le plus précieux destiné à être évacué de la planète.
Une nombreuse équipe de mécaniciens et de météorologistes se rendit dans la banlieue et entreprit la construction d’ateliers comportant des chaînes de montage pour les petites fusées. Ces fusées devaient convoyer les documents les plus importants en dehors de l’atmosphère de façon qu’ultérieurement on recueille ces satellites artificiels et les ramène sur la Terre. Une partie des « extérieurs » se joignit aux constructeurs de fusées, c’étaient ceuy qui, instinctivement, se sentaient incapables de rester les bras croisés ; ainsi que ceux qui, véritablement, pouvaient et voulaient aider ; ceux aussi qui croyaient sincèrement à la nécessité de sauvegarder cette documentation de la plus haute importance.
Mais, sur la place encombrée par les « guépards », les « méduses », les « percherons », les « diligences », les « taupes », les « griffons », il y avait encore beaucoup de gens. C’étaient des biologistes et des planétologues ayant perdu pour les heures restantes le sens de leur vie ; des « extérieurs » — peintres et comédiens — assommés par cette nouvelle inattendue, fâchés, égarés, ne sachant que faire, ni où aller, ni à qui adresser leurs réclamations. Quelques personnes très réservées et calmes conversaient paisiblement sur des thèmes divers, réunies en petits groupes parmi les véhicules. U y en avait aussi d’autres assises silencieusement dans les cabines, baissant la tête ou collées contre les murs des bâtiments.
La planète s’était vidée. De toute sa population. Chacun avait été convoqué, évacué, déniché des coins les plus reculés et ramené à la Capitale. La Capitale se trouvait à l’équateur, et maintenant, toutes les latitudes de la planète, celles du nord et celles du sud, étaient désertes. Seules quelques personnes restèrent là-bas, déclarant que cela leur était égal, et il y avait aussi, égaré au milieu de la forêt tropicale, l’aérobus avec des enfants et leur éducatrice, ainsi que le lourd « griffon » envoyé à leur recherche.
Sous sa pointe argentée, le Conseil de l’Arc-en-ciel siégeait sans interruption. De temps à autre, le haut-parleur de diffusion générale, prenant la voix du directeur ou celle de Kanéko, convoquait les gens les plus inattendus. Ceux-ci couraient vers l’édifice du Conseil et disparaissaient derrière la porte, puis ils en sortaient, toujours courant, montaient dans des ptérocars ou des flyers et quittaient la ville. Plusieurs parmi ceux qui restaient sans rien faire, les suivaient d’un regard envieux. Personne ne savait de quelles questions on discutait au Conseil, mais le haut-parleur de diffusion générale avait déjà rugi l’information la plus importante : la menace sur la Capitale était réelle ; le Conseil possédait un seul vaisseau interstellaire de commando à capacité de chargement réduite ; L’Enfance avait été évacuée et les enfants se trouvaient maintenant dans le parc municipal sous la surveillance d’éducateurs et de médecins ; le vaisseau de ligne, le Flèche, restait en liaison permanente avec l’Arc-en-ciel et était en route vers lui, mais il n’arriverait pas avant dix heures. Toutes les vingt minutes, un membre de service du Conseil annonçait à la place la position des fronts de la Vague. Le haut-parleur tonnait : « Arc-en-ciel, Arc-en-ciel, votre attention, s’il vous plaît ! Voici une information concernant … » Alors, la place se taisait, et, tous, ils écoutaient avidement, jetant des regards de dépit sur la mine d’où provenait le vrombissement des « taupes ».
La Vague avançait d’une manière étrange. Son accélération tantôt augmentait, alors les gens s’assombrissaient et baissaient les yeux ; tantôt diminuait, et les visages s’éclairaient, des sourires incertains perçaient. Mais la Vague avançait toujours, les semences brûlaient, les forêts s’enflammaient, les villages abandonnés flambaient.
Les déclarations officielles étaient très succinctes ; peut-être parce qu’il n’y avait ni assez de gens pour s’en occuper, ni assez de temps à y consacrer et, comme toujours dans des cas semblables, c’étaient des rumeurs qui devenaient le principal moyen d’information.
Les trappeurs et les constructeurs mordaient de plus en plus bas dans la terre ; les hommes maculés et fatigués qui sortaient de la mine, criaient, en souriant gaiement, qu’il ne leur fallait que deux ou trois petites heures pour terminer l’abri profond et suffisamment vaste qui contiendrait tout le monde. On les regardait avec un certain espoir, et cet espoir était confirmé par des rumeurs persistantes sur un calcul que, prétendait-on, Etienne Lamondoy, Pagava et on ne sait quel Patrick auraient fait. Selon ce calcul, la Vague du nord et celle du sud devaient, se heurtant à l’équateur, « pourraient se discontinuer réciproquement et se déritriniter », absorbant une quantité importante d’énergie. On disait qu’a près cela, l’Arc-en-ciel serait couvert d’un mètre et demi de neige.
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