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Theodore Sturgeon: Vénus plus X

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Theodore Sturgeon Vénus plus X

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On a volé Charlie Johns. Qui ? Le peuple de Ledom, un monde libre, sans contrainte, sans guerre, sans peur. Un monde sans reproches dont tous les habitants sont bisexués, à la fois mâle et femelle. Bref, le paradis pour Charlie, Homo Sapiens du XXeme siècle ! Jusqu'au jour où il découvre ou il est. Pourquoi il y est. Comment il y est arrivé et ce que sont exactement « ceux-celles » qu'il désigne du nom de vénus plus X.

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Contournant le bâtiment, ils tombèrent sur une cinquantaine de gens qui s’ébrouaient dans une piscine. Pour tout costume de bain, ils portaient seulement le sporran soyeux qui semblait tenir à leur corps par l’opération du saint esprit, une démarche que Charlie Johns était désormais beaucoup plus enclin à accepter. Tous sans exception affectèrent une politesse un peu grave pour lui adresser un signe, un sourire, ou quelque incompréhensible mot de bienvenue et tous semblaient heureux de voir son compagnon.

En dehors de la piscine, ils portaient des vêtements de toutes formes et de tous styles — souvent deux par deux, fait dont la signification échappait entièrement à Charlie. Le costume pouvait se réduire à un mince ruban d’un orange fluorescent autour du biceps — et l’inévitable sporran soyeux, bien sûr — ou tomber dans la profusion la plus extravagante, pantalons bouffants gonflés comme des montgolfières, immenses cols rigides en forme d’aile ou de raquette, chapeaux d’un demi-mètre, socques surélevés — la variété des formes semblait sans fin, et à l’exception de ceux qui allaient par paire, on ne relevait aucune ressemblance entre les costumes, si ce n’est la beauté de leurs couleurs, la richesse et la variété des étoffes. Le costume était pour eux un ornement et rien d’autre, c’était évident et, contrairement à tous ceux qu’il avait été donné à Charlie de rencontrer ou de connaître par ses lectures, ce peuple était le seul qui n’attachât aucune importance particulière, aucune pudeur, aucun interdit, à une quelconque partie du corps.

Il n’aperçut pas de femme.

Drôle d’endroit. L’air qu’on y respirait était particulièrement roboratif et le ciel, encore que brillant — avec d’ailleurs, il le remarquait maintenant, une touche de cet éclat argenté qui régnait dans la « cellule capitonnée » — était couvert. Des fleurs poussaient partout, certaines dégageant des senteurs entêtantes, épicées, nombre lui étant inconnues, toutes revêtant des couleurs d’un éclat et d’une diversité inimaginables. Le gazon était aussi impossible que les deux bâtiments — partout égal et élastique, il ne présentait pas la moindre parcelle pelée, ne comportait pas une mauvaise herbe et il était exactement aussi beau au pied des immeubles, où allait et venait la multitude, qu’à distance et jusqu’à perte de vue.

Il se laissa conduire autour du bâtiment puis sous une arcade inexplicablement mais agréablement penchée vers la gauche et son compagnon lui prit la main avec sollicitude. Avant qu’il n’ait eu le temps de se demander pourquoi ils descendirent brutalement et à la verticale une vingtaine de mètres pour se retrouver debout dans un lieu qui rappelait vaguement une station de métro. Sauf qu’on y attendait pas de train pour sauter du quai sur… rien. Encore cette substance invisible qui les avait fait descendre de l’immeuble comme par lévitation. Il fallut que Charlie Johns se fasse traîner par le bras et connaisse cette impression désagréable : plier les jambes et tendre tout son corps pour une chute qui n’en était pas une ; la substance en question était au même niveau que le quai.

Ils allèrent se placer à mi-distance des deux quais, au milieu du rien porteur, et l’homme adressa un regard interrogateur à Charlie. Ce dernier serra les dents, prêt à tout, et hocha du chef. Et voilà, sans que Charlie sût trop comment — il crut bien remarquer que c’était à la suite d’une espèce de geste, mais lequel ? — ils se retrouvèrent lancés à toute vitesse à travers un tunnel. Ils se tenaient immobiles, on avait guère le sentiment d’accélérer ou de démarrer brusquement, et pourtant le truc sur lequel ils se tenaient, les trimballait à une vitesse vraiment pas croyable. Quelques minutes plus tard, ils s’arrêtèrent devant un nouveau quai. Ils pénétrèrent dans une espèce de cavité rectangulaire qui s’ouvrait sur le côté et se retrouvèrent propulsés au rez-de-chaussée, sous le bâtiment en forme de cône. Ils s’éloignèrent du métro, Charlie se concentrant sur divers mouvements d’entrailles qui venaient, fort inopportunément, lui rappeler que la place de l’estomac n’est pas plus dans la bouche que dans les talons.

Ils traversèrent une espèce d’immense patio. Autour des murs, des indigènes grimpaient ou descendaient à toute vitesse sur leurs ascenseurs invisibles. Gonflés par le vent de la vitesse, leurs costumes multicolores faisaient un joli spectacle. Et l’air était empli de musique. Il pensa d’abord qu’elle était diffusée par un système de sonorisation publique, mais il découvrit qu’en fait tous ces gens CHANTAIENT. Doucement, au fur et à mesure de leurs déplacements, à l’intérieur et à l’extérieur de cette vaste place publique, ils murmuraient ou vocalisaient en harmonies délicates et chaudes.

Et puis, alors qu’ils s’approchaient de l’une des parois, Charlie aperçut quelque chose qui le plongea dans un tel état de stupéfaction qu’il prit à peine garde à ce qui lui arriva aussitôt après. Projeté à soixante-dix mètres d’altitude comme un vulgaire noyau de cerise entre le pouce et l’index d’un gamin blagueur, mais hébété sous le coup de l’incroyable vision, il se laissa pousser de ci, et tirer de là sans réaction. Sa conscience, déjà soumise à rude épreuve, venait d’exécuter, elle, un quintuple saut périlleux.

Deux des hommes qui passaient dans le hall, il les avait vus, vus sans erreur possible, étaient enceintes, enfin, enceints ? Aucun doute là-dessus.

Il examina son compagnon toujours souriant — le visage énergique, les bras musculeux, les jambes robustes… bien sûr, il y avait ce menton étonnamment lisse et, heu… ses pectoraux étaient vachement développés. L’aréole s’y étalait, beaucoup plus large que sur un homme normal… mais, d’un autre côté, pourquoi pas ? Les yeux étaient légèrement différents, eux aussi. Et alors… ? Réfléchissons. S’« il » est une femme, alors tous les autres sont des femmes. Bon, et où donc étaient les hommes ?

Il se remémora la façon dont elle — il ? — elle… Il se remémora la façon dont ces bras puissants l’avaient soudain soulevé de terre, dans le premier ascenseur, sans plus d’effort qu’un vulgaire paquet de petits-beurre… Bon dieu, si c’était là les femmes, les hommes devaient être de vrais taureaux !

Pour commencer, il se représenta des géants, de vrais monstres de quatre, cinq mètres de haut…

Mais ses fantasmes changèrent bien vite d’orientation ! Les caves des bâtiments se peuplèrent d’une armée de lutins ; il eut la vision de nabots faiblards, enchaînés, esclaves de ces femelles vigoureuses…

Alors il commença à s’inquiéter un brin sur le sort qui l’attendait.

— Où donc m’emmenez-vous ? demanda-t-il.

Son guide sourit, inclina la tête, le saisit par l’avant-bras et il ne lui resta plus qu’à régler son pas sur le sien pour éviter d’être traîné de force comme un teckel rétif.

Ils arrivèrent devant une pièce…

La porte s’en ouvrit. Il serait plus juste de dire qu’une ouverture se dilata dans la matière même du mur ; une ouverture ovale — décidément — qui se fendit par le milieu comme sous l’action d’une invisible fermeture Éclair et s’agrandit avec un petit claquement enthousiaste. Quand ils furent entrés, elle se referma avec le même bruit, le même enthousiasme minéral, dans leur dos.

Il s’immobilisa et s’adossa contre la « porte ». On le laissa faire. La porte, il le sentit, était assez massive pour résister aux assauts d’une foule. Et elle ne comportait même pas de poignée. Bon…

Il leva les yeux.

Ils lui rendirent tous son regard.

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