Robert Heinlein - Sixième colonne

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Les États-Unis viennent de tomber sous les attaques des forces Panasiates. La population qui n’a pas été massacrée se voit réduite en esclavage par les forces du Céleste Empereur. Le monde occidental semble perdu. Pourtant, quelques scientifiques survivants, réfugiés dans une Citadelle inconnue des envahisseurs, s’efforcent d’organiser la résistance. A leur tête, Whitey Ardmore, un ancien publicitaire. Grâce à une extraordinaire découverte et à une rare maîtrise de la « guerre psychologique », ce dernier va tenter de renverser l’ennemi et de redonner au pays sa liberté.
Premier roman de science-fiction publié par Robert Heinlein, Sixième colonne contient en germe l’œuvre à venir : celle d’un auteur en prise avec son quotidien, fort d’une conscience politique mise au service d’une histoire menée tambour battant.

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Ardmore s’immobilisa devant le prince, leva la main et le bénit avant de dire :

— Vous m’avez demandé de vous rendre visite, maître.

— En effet.

Cet homme ignorait-il qu’il devait s’agenouiller ? Ardmore regarda autour de lui :

— Le maître veut-il bien dire à ses serviteurs d’aller me chercher un siège ?

Vraiment, cet homme était réjouissant. Quel dommage qu’il doive mourir… Ou serait-il possible de le garder au palais comme distraction ? Bien entendu, cela sous-entendrait la mise à mort de tous ceux qui avaient été témoins de cette scène… et d’autres encore, sans doute, si l’homme continuait ses amusantes extravagances. Le prince renonça à cette idée, non pas à cause du coût initial, mais de celui de l’entretien.

Le prince éleva la main, et deux laquais, scandalisés, se hâtèrent d’apporter un tabouret. Ardmore s’assit et son regard se posa sur l’échiquier du prince. Le Panasiate suivit son regard et s’enquit :

— Jouez-vous au Jeu de la Guerre ?

— Un peu, maître.

— Comment résoudriez-vous ce problème ?

Ardmore se leva et vint étudier l’échiquier durant quelques instants, tandis que l’Oriental l’observait. Les courtisans attendaient, aussi silencieux que les pièces d’échecs.

— Je bougerais ce pion, comme ceci, dit enfin Ardmore.

— De cette façon ? Mais c’est là une attaque très peu orthodoxe.

— Elle n’en est pas moins nécessaire. Après cela, on fait mat en trois coups. Mais, bien entendu, le maître s’en rend compte aussi bien que moi.

— Oui, oui, bien sûr. Mais je ne vous ai pas envoyé chercher pour jouer aux échecs, ajouta le prince en se détournant de l’échiquier. Il nous faut parler d’autre chose. J’ai appris avec tristesse que des plaintes avaient été formulées à propos de vos fidèles.

— La tristesse du maître est mienne. Le serviteur peut-il demander quels errements ont commis ses enfants ?

Mais le prince étudiait de nouveau l’échiquier. Il leva un doigt et un laquais s’agenouilla aussitôt devant lui, en lui présentant un nécessaire à écrire. Le prince trempa un pinceau dans l’encre et traça rapidement un groupe d’idéogrammes, puis scella la lettre avec son anneau. Le laquais se retira en saluant sans relâche, et un messager emporta aussitôt la dépêche.

— Nous disions ? Ah, oui, il m’a été rapporté que vos gens manquent de grâce et se conduisent de façon inconvenante envers ceux de la Race Élue.

— Le maître consentira-t-il à venir en aide à un humble prêtre en lui disant lesquels de ses enfants sont coupables de tels manquements, et quel type de fautes ils ont commis, afin de pouvoir les corriger en conséquence ?

Le prince trouva la requête embarrassante. D’une façon ou d’une autre, cette créature primitive avait réussi à le mettre sur la défensive. Le prince n’était pas habitué à ce qu’on lui demande des détails ; c’était irrespectueux. En outre, le Panasiate ne savait que répondre. La conduite des prêtres de Mota était impeccable, irréprochable, et cela en tous points.

Cependant la cour était là, attendant la riposte à ce grossier manque de respect. Quelle était cette ancienne citation, déjà ? “…Confucius confondu par la question d’un sot !”

— Il n’est pas convenable que le serviteur interroge le maître. En ce moment, vous péchez de la même façon que vos ouailles.

— Je vous demande pardon, maître. Si l’esclave ne doit pas poser de questions, n’est-il pas écrit qu’il est en droit d’implorer aide et pitié ? Nous ne sommes que d’humbles serviteurs et ne possédons pas la sagesse du Soleil et de la Lune. N’êtes-vous pas notre père et notre mère ? Ne consentirez-vous pas, du haut de votre splendeur, à nous instruire ?

Le prince réfréna son envie de se mordre la lèvre. Comment une telle chose avait-elle pu se produire ? En jouant sur les mots, ce barbare avait réussi à le mettre de nouveau dans son tort. Il était dangereux de lui laisser ouvrir la bouche ! Néanmoins, il fallait faire face à la situation ; quand un esclave implore la pitié, l’honneur commande qu’on lui réponde.

— Nous consentons à vous instruire sur un point particulier : apprenez bien la leçon et les autres préceptes de la sagesse vous apparaîtront d’eux-mêmes.

Le prince marqua un temps, choisissant ses mots avant de poursuivre :

— La façon dont vous, et les prêtres se trouvant sous vos ordres, saluez les membres de la Race Élue, est inconvenante. Cet affront corrompt le caractère de ceux qui en sont témoins.

— Dois-je comprendre que la Race Élue dédaigne la bénédiction du Seigneur Mota ?

De nouveau, cet Homme avait retourné la situation ! Il était de bonne politique pour les occupants de ne pas contester l’authenticité des dieux des vaincus.

— La bénédiction n’est pas refusée. Mais l’accueil doit être celui d’un serviteur pour son maître.

Ardmore eut soudainement conscience qu’on l’appelait de façon urgente. La voix de Thomas retentissait dans sa tête :

— Chef, chef ! M’entendez-vous ? Il y a un détachement de police devant chaque temple, ordonnant aux prêtres de se rendre… Des rapports nous parviennent de tous les coins du pays.

— Le Seigneur Mota vous entend.

Ceci s’adressait au prince ; Jeff comprendrait-il également ?

— Alors, veillez à ce que ses fidèles comprennent.

Le prince avait répondu trop rapidement pour qu’Ardmore imagine une autre phrase à double sens par laquelle il aurait pu également parler à Thomas. Toutefois, il était maintenant averti d’une chose que le prince ignorait qu’il savait. Mais comment l’utiliser…

— Comment pourrai-je instruire mes prêtres, puisque, en ce moment même, vous êtes en train de les faire arrêter ?

D’humble, l’attitude d’Ardmore s’était soudainement faite accusatrice.

Le visage du prince demeura impassible. Seul son regard trahissait la surprise. Cet homme avait-il deviné la nature de la dépêche ?

— Vous déraisonnez.

— Aucunement ! Au moment même où vous me dictiez l’attitude que je devais recommander à mes prêtres, vos soldats frappaient aux portes de tous les temples de Mota. Attendez ! Voici le message que vous envoie le Seigneur Mota : ses prêtres n’ont pas à craindre le pouvoir des hommes. Vous n’avez pas réussi à les arrêter et vous n’y parviendriez jamais, si le Seigneur Mota ne leur ordonnait de se rendre. Dans trente minutes, après que les prêtres auront purifié leur âme et se seront fortifiés en vue de l’épreuve, ils se rendront eux-mêmes à la police, sur le seuil de leurs temples. Jusqu’alors, malheur au soldat qui tentera de profaner la maison de Mota !

— Bravo, chef, bien envoyé ! Vous ordonnez aux prêtres de chaque temple de résister encore pendant trente minutes, puis de se rendre, c’est bien ça ? Et, à ce moment-là, ils devront avoir sur eux tout l’équipement nécessaire, crosse, communicateur, etc. Confirmez votre accord, si possible.

— Au petit poil, Jeff.

Il lui fallait risquer cela. Ces quatre mots seraient sans signification aux oreilles du prince, mais Jeff comprendrait.

— O.K., chef. Je ne sais pas quel est votre but, mais nous sommes à mille pour cent avec vous !

Le visage du prince était figé comme un masque :

— Emmenez-le.

Pendant un long moment, après le départ d’Ardmore, Son Altesse Sérénissime demeura à contempler l’échiquier en se tripotant la lèvre inférieure.

Ardmore fut conduit dans une cellule souterraine aux murs de métal et à la porte hérissée de verrous massifs. En outre, à peine le major eut-il été enfermé là, qu’il entendit une sorte de sifflement et vit un point, au bord de la porte, devenir rouge cerise. Une soudure ! Les Panasiates voulaient manifestement être certains qu’aucune faiblesse humaine potentielle de la part des gardiens ne pourrait permettre au prisonnier de s’échapper. Ardmore appela la Citadelle.

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