Robert Heinlein - Sixième colonne

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Les États-Unis viennent de tomber sous les attaques des forces Panasiates. La population qui n’a pas été massacrée se voit réduite en esclavage par les forces du Céleste Empereur. Le monde occidental semble perdu. Pourtant, quelques scientifiques survivants, réfugiés dans une Citadelle inconnue des envahisseurs, s’efforcent d’organiser la résistance. A leur tête, Whitey Ardmore, un ancien publicitaire. Grâce à une extraordinaire découverte et à une rare maîtrise de la « guerre psychologique », ce dernier va tenter de renverser l’ennemi et de redonner au pays sa liberté.
Premier roman de science-fiction publié par Robert Heinlein, Sixième colonne contient en germe l’œuvre à venir : celle d’un auteur en prise avec son quotidien, fort d’une conscience politique mise au service d’une histoire menée tambour battant.

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— Rendez-vous ! Vous êtes en état d’arrestation !

Les deux hommes se dirigèrent aussitôt vers lui, puis Ward leva la main et le bénit en disant :

— La paix soit avec vous ! Conduisez-moi auprès des miens.

— Vous ne comprenez pas mes paroles ? glapit l’autre, tandis que sa voix prenait une intonation suraiguë et qu’il portait une main tremblante à son étui de revolver. Vous êtes en état d’arrestation !

— Vos armes terrestres ne vous permettent pas de vous mesurer au grand dieu Mota, dit calmement Ardmore. Le dieu Mota vous commande de me conduire auprès des miens. Prenez garde !

Le major continua d’avancer jusqu’à ce que son bouclier individuel heurte l’homme.

Cette pression impalpable de l’écran invisible était plus que n’en pouvait supporter le Panasiate. Il recula d’un pas, sortit brusquement son arme de l’étui et tira à bout portant. Le rayon vortex s’écrasa sans dommage contre le bouclier, qui l’absorba.

— Le Seigneur Mota s’impatiente, remarqua Ardmore paisiblement. Obéissez à son ordre avant qu’il ne s’attaque à votre âme et ne l’aspire hors de votre corps.

À ces mots, le major utilisa une autre variante de l’effet Ledbetter, qui n’avait jamais encore été employée à l’égard des Panasiates.

Le principe en était fort simple. L’appareil projetait une stase cylindrique formée par des rayons de traction et de pression, ce qui créait un tube, dont Ardmore recouvrit le visage du Panasiate. Il activa ensuite un rayon de traction dans le tube. L’infortuné essayait en vain de respirer et de s’arracher le tube du visage. Quand le nez de l’Asiatique se mit à saigner, Ardmore le libéra en demandant à nouveau avec douceur :

— Où sont mes enfants ?

L’officier de police, sans doute instinctivement, voulut s’enfuir en courant. À l’aide d’un rayon de pression, Ardmore le cloua contre la porte, puis il activa de nouveau le tube, cette fois jusqu’à la taille :

— Où sont mes enfants ?

— Dans le parc, haleta l’homme, avant d’être pris de violentes nausées.

Ardmore et son compagnon, l’air très digne, firent demi-tour et redescendirent posément les marches du perron, balayant placidement hors de leur chemin, à l’aide du rayon, ceux qui s’approchaient de trop près.

Le parc entourait ce qui, jadis, avait été le capitole de cet État. Les deux hommes y trouvèrent la congrégation parquée derrière des barrières érigées en hâte, et gardée à vue par des rangées de soldats panasiates. Non loin de là, sur une plate-forme, des techniciens étaient en train d’installer une caméra pour la retransmission télévisée. Il apparaissait clairement qu’une nouvelle “leçon publique” était sur le point d’être infligée aux esclaves. Ardmore ne vit nulle part l’appareil, assez volumineux, qui émettait les rayons épileptogènes. Soit on ne l’avait pas encore apporté, soit on se proposait de recourir à un autre mode d’exécution – peut-être que les soldats présents constituaient un immense peloton d’exécution.

Ardmore fut un instant tenté d’utiliser sa crosse pour assommer tous les militaires se trouvant là. Ils étaient au repos, avec leurs armes en faisceaux, et le major aurait vraisemblablement pu les neutraliser avant qu’ils ne s’attaquent non pas à lui, mais aux prisonniers sans défense. Néanmoins, le major se ravisa. Quand il avait donné ses ordres aux prêtres, il avait eu raison : il fallait y aller au bluff. Il lui était impossible d’anéantir sans exception tous les soldats que les autorités panasiates pouvaient lancer contre lui, et il lui fallait pourtant emmener toute cette foule jusqu’à l’abri que constituait le temple.

Les prisonniers, massés derrière les barrières, avaient reconnu Ward et peut-être aussi le grand prêtre, qu’ils connaissaient au moins de réputation. Ardmore vit l’espoir fleurir sur leurs visages angoissés et ils se pressèrent en avant, confiants. Mais, quand le major se contenta de les bénir rapidement et continua son chemin, suivi de Ward, en direction du commandant panasiate qu’il gratifia de la même bénédiction, le doute et l’incertitude s’emparèrent de nouveau de l’âme des prisonniers.

— La paix soit avec vous ! cria Ardmore. Je suis venu vous prêter assistance.

L’officier panasiate aboya un ordre dans sa langue natale, et deux soldats se précipitèrent vers Ardmore pour tenter de s’emparer de lui. Ils glissèrent contre le bouclier, firent une nouvelle tentative, puis s’immobilisèrent, regardant leur supérieur dans l’attente d’instructions, comme deux chiens déconcertés par un ordre impossible à exécuter.

Ardmore ignora leur intervention et continua d’avancer jusqu’à ce qu’il se trouve juste devant le commandant.

— On m’apprend que mes fidèles ont péché, déclara-t-il. Le Seigneur Mota va les punir.

Sans attendre de réponse, Ardmore tourna le dos à l’officier perplexe et cria, tout en allumant le rayon vert de sa crosse :

— Au nom de Shaam, Seigneur de la paix !

Il balaya de son bourdon la masse des prisonniers qui tombèrent comme si le rayon avait été un vent furieux fauchant des épis. En quelques secondes, hommes, femmes et enfants furent étendus, inertes, sur le sol, avec toutes les apparences de la mort. Ardmore fit alors de nouveau face à l’officier panasiate et s’inclina profondément :

— Le serviteur demande aux maîtres d’agréer ce châtiment.

Dire que l’Oriental fut déconcerté serait rester bien au-dessous de la vérité. L’officier savait comment agir en cas de résistance, mais cette coopération spontanée le laissait pantois. Ça n’était pas prévu par le règlement.

Ardmore ne lui laissa pas le temps de réfléchir :

— Le Seigneur Mota n’est pas satisfait, affirma-t-il. Il m’ordonne de vous faire un don, à vous et à vos hommes. Un don d’or !

À ces mots, il actionna sa crosse et promena un éblouissant rayon blanc sur les faisceaux d’armes se trouvant à sa droite. Ward l’imita, mais du côté gauche. Dès que le rayon passait sur les armes, elles se mettaient à briller et à scintiller ; le métal prenait un nouvel et rutilant éclat. C’était de l’or ! De l’or massif !

Les simples soldats panasiates n’étaient pas mieux payés que dans d’autres armées. Un frémissement parcourut leurs rangs ; on aurait dit des chevaux de course attendant le signal du départ. Un sergent s’approcha d’un des faisceaux, en sortit une arme et l’examina. Puis il se mit à la brandir en clamant quelque chose dans sa langue, d’un ton surexcité.

Les soldats rompirent les rangs.

Ils s’agglutinèrent autour des faisceaux en criant, en dansant. Ils se disputaient les armes, devenues aussi précieuses qu’inutiles, sans accorder la moindre attention à leurs officiers, eux-mêmes gagnés par la fièvre de l’or.

Ardmore regarda Ward et hocha la tête :

— On va leur en flanquer un bon coup ! dit-il, braquant son rayon sur le commandant.

Le Panasiate s’effondra sans même avoir su ce qui le frappait, préoccupé qu’il était par sa perte d’autorité sur ses troupes. Pendant ce temps, Ward s’occupait des autres officiers.

Ardmore administra alors aux prisonniers américains son rayon, afin de renverser l’effet, tandis que Ward utilisait l’effet de désintégration pour ouvrir une large issue dans l’enclos. C’est alors, contre toute attente, qu’il leur resta à accomplir la partie la plus difficile de leur tâche : persuader quelque trois cents personnes, hébétées et désorganisées, de les écouter et de les suivre en bon ordre. Mais en criant des ordres avec énergie et détermination, les deux hommes y parvinrent. Ils durent utiliser les rayons de traction et de pression pour se frayer un chemin au sein de la mêlée formée par les Orientaux luttant furieusement pour la conquête des armes d’or. Cela donna une idée à Ardmore, qui employa les rayons pour faire avancer ses propres troupes, un peu comme une gardeuse d’oies se sert d’une longue baguette pour guider son troupeau.

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