Ils ne mirent que dix minutes pour franchir la distance les séparant du temple. Nombre des fidèles de Mota haletaient et protestaient, mais ils avançaient quand même au petit trot, et ne furent interrompus dans leur progression par aucun obstacle majeur, même si Ward et Ardmore utilisaient de temps à autre les rayons pour assommer les Panasiates qu’ils venaient à rencontrer.
Quand il franchit enfin le seuil du temple, Ardmore essuya la sueur qui ruisselait sur son front, et qui n’était pas due seulement à cette marche précipitée. Puis, il dit dans un soupir :
— Ward, avez-vous quelque chose à boire ici ?
Avant qu’il ait eu le temps de finir une cigarette, Ardmore fut appelé par Thomas.
— Chef, dit Jeff, nous commençons à recevoir des rapports. J’ai pensé que vous aimeriez être tenu au courant.
— Je vous écoute.
— Jusqu’à présent, l’opération paraît réussir. À l’heure actuelle, environ vingt pour cent des prêtres nous ont fait savoir, par l’intermédiaire de leurs évêques, qu’ils étaient de retour dans leurs temples avec leurs fidèles.
— Des pertes ?
— Oui. À Charleston, en Caroline du Sud, nous avons perdu toute une congrégation. Ils étaient déjà morts quand le prêtre est arrivé. Ce dernier s’est alors déchaîné contre les Panasiates avec sa crosse et en a massacré deux ou trois fois autant qu’ils avaient tué de fidèles, avant de regagner son temple en continuant à se battre et de faire son rapport.
— Très regrettable, dit Ardmore en secouant la tête. Je suis navré qu’il ait perdu tous ses fidèles, mais je déplore encore plus qu’il ait perdu son sang-froid et massacré des Panasiates. Cela m’oblige à dévoiler mon jeu avant d’être prêt.
— Mais, monsieur, on ne peut pas le blâmer, sa propre femme était au nombre des victimes !
— Je ne le blâme pas. De toute façon, c’est fait, et nous devions tomber le masque, tôt ou tard. Cela signifie seulement qu’il nous faudra agir un peu plus rapidement. Rien d’autre ?
— Pas grand-chose. À plusieurs endroits, les nôtres ont subi des sortes d’attaques d’arrière-garde en regagnant les temples, et ont subi quelques pertes.
Sur l’écran, Ardmore vit un messager tendre à Thomas une liasse de feuilles. Thomas y jeta un coup d’œil et dit :
— Encore d’autres rapports, monsieur. Vous voulez que je vous les lise ?
— Non, vous me ferez une note de synthèse quand ils seront tous arrivés. Non, en fait, je veux un rapport dans une heure, même si vous ne les avez pas encore tous. Bon, je coupe.
La note de synthèse de Thomas montrait que plus de quatre-vingt-dix-sept pour cent des fidèles de Mota étaient désormais en sécurité dans les temples. Ardmore réunit son état-major et leur résuma ses plans pour l’avenir immédiat. Et ce fut bel et bien une réunion, car la place vide d’Ardmore à la table était occupée par l’écran et le haut-parleur.
— On nous a forcé la main, dit-il. Comme vous le savez, de notre propre chef nous n’aurions pas engagé l’action avant deux semaines, peut-être même trois. Mais, maintenant, nous n’avons plus le choix. À mon avis, nous devons agir, et agir suffisamment vite pour avoir toujours un temps d’avance sur nos adversaires.
Ardmore demanda que la situation fasse l’objet d’une discussion générale. Tout le monde fut d’accord sur la nécessité d’une action immédiate, mais les avis divergèrent quant aux méthodes. Après avoir écouté plusieurs opinions, Ardmore sélectionna le plan de désorganisation n°4, et donna ordre d’en commencer les préparatifs.
— Souvenez-vous bien, les prévint-il, une fois les opérations commencées, il sera trop tard pour reculer. Les événements vont se précipiter. De combien d’armes de base disposons-nous ?
Les “armes de base” étaient des projecteurs Ledbetter sous leur forme la plus simple. Elles ressemblaient beaucoup à des revolvers et fonctionnaient de façon similaire, en projetant un rayon directionnel réglé sur l’effet Ledbetter originel, dans la bande de fréquences fatales aux êtres de sang mongol seulement. Même un profane apprenait à s’en servir en trois minutes, puisqu’il suffisait de le braquer sur quelqu’un en appuyant sur la détente, et c’était une arme pour ainsi dire infaillible : le tireur ne pouvait pas faire de mal à une mouche, et encore moins à un homme de sang caucasien, mais, pour les Panasiates, c’était la mort instantanée.
Il avait été assez difficile de résoudre le problème de la fabrication et de la distribution massive d’armes devant être utilisées au moment décisif du conflit. On ne pouvait pas envisager les crosses dont étaient pourvus les prêtres : chacune d’eux était un instrument de précision, comparable à une belle montre suisse. Scheer avait confectionné lui-même, à la main, les pièces les plus délicates de chaque crosse, mais il lui avait quand même fallu demander le concours d’autres maîtres artisans en métallerie et en outillage pour pouvoir continuer à répondre aux demandes. Ces crosses étaient fabriquées entièrement à la main, et il ne pouvait pas être question de production en série tant que les Américains ne contrôleraient pas à nouveau leurs propres usines.
En outre, pour qu’un prêtre puisse utiliser à peu près convenablement les extraordinaires possibilités de sa crosse, il lui fallait suivre un cours théorique détaillé, ainsi qu’un long entraînement étroitement supervisé.
L’arme de base avait été la solution la plus pratique. Elle était extrêmement simple et solide, et ne comprenait aucune autre partie mobile que l’interrupteur, autrement dit la détente. Et pourtant, il n’avait pas été possible de fabriquer à la Citadelle toutes les armes nécessaires, car les distribuer ensuite aux quatre coins du pays n’aurait pas manqué d’attirer dangereusement l’attention des autorités panasiates. Chaque prêtre avait donc emporté une arme de base dans son propre temple et était responsable du recrutement, parmi les fidèles, d’ouvriers sachant suffisamment bien travailler le métal pour produire ce modèle relativement simple.
Dans les sous-sols secrets que recouvraient les temples, des ouvriers travaillaient sans relâche depuis des semaines pour fabriquer minutieusement à la main des centaines de ces petits jouets mortels.
L’officier chargé du matériel fournit à Ardmore le renseignement demandé.
— Très bien, dit le major. Nous avons un peu moins d’armes que nos congrégations ne comptent de membres, mais il faudra bien s’en contenter. De toute façon, il va falloir élaguer un peu. Ce satané culte a attiré tous les cinoques et les fêlés du pays, les hommes aux cheveux trop longs et les femmes aux cheveux trop courts. Si nous ne les comprenons pas dans nos effectifs, il se pourrait que nous ayons quelques armes en trop. Ce qui me fait penser que si nous disposons d’armes supplémentaires, il doit bien se trouver, dans chaque congrégation, des femmes jeunes, fortes et résolues qui pourraient se révéler utiles au combat. Nous les armerons. Quant aux cinglés… Dans les instructions générales concernant le plan de propagande, vous trouverez une note indiquant de quelle façon chaque prêtre devra annoncer aux fidèles que cette histoire de culte était uniquement un bobard destiné à dissimuler nos buts militaires. Je désire y ajouter quelque chose. Neuf sur dix des fidèles accueilleront la nouvelle avec joie et ne demanderont qu’à nous aider avec tous leurs moyens. La dixième personne peut nous causer des ennuis, piquer une crise d’hystérie, ou même chercher à filer hors du temple. Donc pour l’amour de Dieu, que chaque prêtre prenne toutes les précautions possibles : ne révéler la vérité qu’à un petit groupe de fidèles à la fois, et être prêt à envoyer le rayon sédatif sur quiconque risque de créer des ennuis. Qu’on les enferme ensuite jusqu’à ce que tout soit fini. On n’a pas le temps d’essayer de raisonner les faibles d’esprit.
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