Après un an de ponte effrénée, les poules commencent à se fatiguer, deviennent fragiles, les œufs aussi, ils sont plus gros — les œufs d’une vieille poule sont toujours plus gros que les œufs d’une plus jeune. Il est temps de connaître les joies de l’abattoir. Leur ambition serait sûrement de finir en plat cuisiné, en nuggets ou en cubes, mais elles n’ont presque plus que la peau sur les os. Que le plumage soit effectué à sec ou à l’eau, la plume résiste, aussi leur destination est le plus souvent le pet food — la nourriture pour animaux domestiques. Petit problème, les producteurs des pâtées industrielles de nos chers petits animaux à poils ne veulent pas payer le prix des transports, même s’il n’y a pas de frais de plumage. En effet, tout est broyé, plumes, viscères, déchets d’abattoir, etc., et pour nos animaux domestiques aussi, les additifs appétants sont d’usage.
J’avais naïvement imaginé qu’une poule de batterie ou d’élevage au sol pourrait être ré-engraissée jusqu’à en faire une poule au pot convenable, une sorte de réforme bienheureuse, comme on a pratiqué il y a quelque temps avec les vaches. Mais cette proposition fut rejetée après des essais : tellement habituées à une ration alimentaire limitée, les poules de réforme ne voulaient pas grossir ni engraisser. Adieu, poule au pot bon marché !
Il n’y a pas seulement deux types d’élevage en France, sinon vous ne seriez pas perdus lors des achats et les entourloupes seraient vite démasquées. Il existe sur le marché quelques chanceuses, les poules dites de « plein air ». Ce sont exactement les mêmes poules que celles au sol, aussi nombreuses dans les bâtiments (même nombre de mètres carrés), mais elles bénéficient d’une liberté surveillée. Dans la journée, on leur ouvre les portes de la prison, et elles peuvent alors s’adonner à leurs activités favorites : l’exploration et le grattage. Ne vous inquiétez pas, il n’y a pas d’abus de surface, pour se balader, elles n’ont que 4 mètres carrés par poule. L’alimentation ne change pas, la qualité de l’œuf non plus, le seul résultat, c’est le prix : 1 euro pour les poules au sol, 1,54 euro pour les « plein air ». Les poules de plein air peuvent être auréolées d’un label. S’il est rouge, elles sont moins entassées, seulement 6 000 par batterie et 5 mètres carrés de parcours extérieur par poule. Alimentation et qualité de l’œuf identiques, à l’exception du prix de l’œuf, qui augmente encore.
Les poules de plein air bio ont encore plus de chance, elles ne sont que 3 000 par bâtiment à l’intérieur duquel elles disposent de 6 mètres carrés pour chacune d’entre elles, malheureusement, elles n’ont que 4 mètres carrés pour circuler en extérieur. Étrange décision des technocrates.
Ce n’est pas terminé, il y a encore deux catégories — je vous l’ai dit, on veut vous donner le tournis ! Le plein air fermier Label rouge c’est 2 500 poules par bâtiment, 7 mètres carrés en intérieur, 10 en plein air, et, comble du luxe !… des nids individuels en bois ; une vie de palace pour une poule !
Quant à la poule de plein air fermier bio, elle bénéficie du même luxe que la précédente. Pourquoi n’a-t-elle droit qu’à 6 mètres carrés en intérieur et à 4 mètres carrés pour évoluer en extérieur ? Demandez aux technocrates, peut-être ont-ils une idée…
Si vous arrivez à vous y retrouver dans tout ça, bravo ! Sachez toutefois que, dans ces quatre derniers élevages, les poules — il faut ce qu’il faut — sont moins chargées en antibiotiques. Je n’ai pas dit que les antibiotiques avaient disparu, je précise simplement qu’il y en a moins.
Soyons sérieux, toutes ces variations d’apothicaire rassurent les défenseurs du bien-être animal mais ne changent pas grand-chose à la qualité de l’œuf. Label rouge ou pas, elles ingurgitent toutes le même soja transgénique brésilien ou argentin. On nous précise que les pondeuses bio en seraient épargnées. C’est bien le moins !
On raconte, mais sûrement pour faire sourire, que certaines poules ont la baraka, car elles bénéficieraient d’un éclairage naturel et d’une litière en paille. Il doit sûrement être agréable d’être poule dans ces élevages-là, qu’elles se le disent.
Quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, moins d’une demi-journée après leur collecte, les œufs partent sur les chaînes de conditionnement pour être rangés en boîte ou en plateau alvéolé afin d’être vendus sur deux présentoirs, un au rayon frais, l’autre en bois près de la caisse : ce sont les mêmes œufs. Une fois le caddie poussé, arrivé devant le rayon des œufs, il faut trouver l’œuf pondu par des poules plus ou moins heureuses. Il faut donc vérifier le code inscrit directement sur la coquille (voir encadré, ci-dessous) :
Depuis l’année 2004, les œufs sont marqués d’un code de production obligatoire et réglementaire.
Je me souviens, il y a plus de quarante ans de cela, j’étais encore à Canal+, quand je tentais d’évoquer à l’antenne l’intérêt pour le consommateur de pouvoir vérifier le jour précis de la date de ponte. Aucune autre inscription n’était prévue sur la coquille à cette époque. Mes propos avaient soulevé des tollés, des campagnes de dénigrement, sur ce qui paraît aujourd’hui élémentaire : savoir le jour où l’œuf a été pondu, ne serait-ce que pour être rassuré sur sa fraîcheur. À ce jour, la date de ponte reste facultative.
Outre la date de ponte sur la coquille, on doit pouvoir prendre connaissance du code du pays où l’œuf a été pondu (FR pour la France), le code du producteur et celui du bâtiment d’élevage, alors que sur les emballages on doit pouvoir retrouver la catégorie des œufs selon leur type d’élevage (cage, plein air, etc.), la date de consommation recommandée (DCR), ce qui est différent de la date de ponte, le mode d’élevage, le calibre, et les conditions d’entreposage. Tous les œufs, sans exception, proposés aux consommateurs appartiennent à la catégorie A. La catégorie B est destinée aux œufs déclassés pour la pâtisserie et les ovoproduits.
De peur de ne pas vous informer suffisamment, voici d’autres mentions qui doivent figurer sur l’emballage :
— « Frais » signifie que l’œuf peut être consommé sans problème jusqu’à 28 jours après sa ponte.
— « Extra », les œufs sont extra-frais jusqu’à 9 jours après la ponte (ils peuvent donc être consommés coque sans souci).
— « Pondu le », indication de la date de ponte.
Comme la date de ponte n’est pas obligatoire, il est préférable de consommer des œufs qui en portent l’indication. Ce conseil vous met à l’abri de toute surprise.
Dernière hypothèse : vous allez sagement faire votre marché, panier sous le bras, assuré de trouver des produits de proximité, maraîchers ou fermiers. Vous vous arrêtez devant les paniers d’œufs et vous imaginez naïvement que ces œufs ont été ramassés à la main par la fermière. Arnaque, arnaque un coup sur deux. S’il n’y a pas de code sur les œufs, ni aucune mention réglementaire, il est possible que ce soit un œuf fermier. Vérifiez toutefois les mains de la fermière, si elles sont soigneusement manucurées et qu’elle les emballe dans deux ou trois épaisseurs de papier journal, vous êtes en train de vous faire arnaquer (je l’ai à plusieurs reprises constaté sur les marchés). Mieux, si vous examinez attentivement l’œuf, vous serez surpris quelquefois d’y découvrir le code 3, qui signifie élevage standard. Vous pouvez porter plainte, dans l’espoir de faire cesser ce type de comportement malhonnête et même dangereux. Ces escroqueries à la crédulité et au manque d’information du consommateur sont inadmissibles.
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