Gilles Legardinier - Nous étions les hommes

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C’est l’une des plus fascinantes énigmes qui soit. Sur notre planète, il existe plus de 1800 espèces de bambous. Chaque fois que l’une d’elles fleurit, tous ses spécimens, où qu’ils se trouvent sur Terre, le font exactement au même moment. Ensuite, l’espèce meurt. Personne ne sait expliquer ce chant du cygne, ni l’empêcher. Aujourd’hui, l’homme va peut-être connaître le même sort. Arrivé lui aussi à son apogée, il risque de disparaître…
Dans le plus grand hôpital d’Edimbourg, le docteur Scott Kinross travaille sur la maladie d’Alzheimer. Associé à une jeune généticienne, Jenni Cooper, il a découvert une clé de cette maladie qui progresse de plus en plus vite, frappant des sujets toujours plus nombreux, toujours plus jeunes. Leurs conclusions sont aussi perturbantes qu’effrayantes. Si ce fléau l’emporte, tout ce qui fait de nous des êtres humains disparaîtra. Nous redeviendrons des animaux.
C'est le début d'une guerre silencieuse dont Kinross et Cooper ne sont pas les seuls à entrevoir les enjeux. Partout sur la Terre, face à ceux qui veulent contrôler le monde et les vies, l’ultime course contre la montre a commencé…
Né à Paris en 1965, Gilles Legardinier a travaillé comme pyrotechnicien sur les plateaux de cinéma anglais et américains. Il s'oriente ensuite vers la production et réalise des films publicitaires ainsi que des bandes-annonces. Il se consacre aujourd'hui à la communication écrite pour le cinéma et la réécriture de scénarii. Parallèlement, il a publié plusieurs romans.
son premier roman publié au Fleuve Noir en 2009, a reçu le
du polar 2009. Il vit dans le Val d'Oise.
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— Tout ira bien, docteur, le rassura Fawkes. Vous n’avez rien à faire, c’est moi qui fais l’ascenseur.

Le jeune homme resserra sa prise sur la corde et fit un signe de tête :

— C’est parti.

Le conduit était étroit ; il sentait le métal, la rouille et la poussière. La paroi défilait au ras du visage de Scott. Malgré la température et le courant d’air ascendant, le médecin était en sueur.

« Mais bon sang, qu’est-ce que je fais là ? » se demanda-t-il.

Arrivé au fond, Hold lui saisit les jambes et l’accompagna.

— Attention à la tête, le conduit bifurque.

Kinross évacua. Schenkel descendit ensuite, rapidement suivi de Fawkes.

— Retirez vos combinaisons avant de reprendre vos sacs, ordonna Hold.

Sur le sol poussiéreux, il déplia le plan de la base.

— Nous sommes ici, au niveau — 1, dans un local de filtration d’air. Brestlow a fait aménager une partie des souterrains sous sa résidence pour son usage, mais nous ignorons jusqu’où exactement. Il faudra descendre aux étages inférieurs pour atteindre la partie située à l’aplomb de sa bâtisse.

Hold ouvrit son sac à dos et en tira deux revolvers. Il vérifia que les chargeurs étaient pleins et tendit le premier à Kinross :

— Le cran de sécurité est là, pour le reste c’est un Walther, vous avez sûrement vu James Bond s’en servir.

— Que voulez-vous que je fasse de ça ? Je suis médecin.

— Et qu’est-ce que vous allez faire si on nous tire dessus ? Des piqûres ? Ne discutez pas. Prenez-le.

Scott obéit. Hold présenta le second au frère en déclarant :

— « Tu ne tueras point »… mais prends quand même de quoi te défendre.

Thomas secoua la tête.

— Non, ça, je ne peux pas.

— Vous avez une idée de ce qui nous attend ? répliqua Hold.

— Et vous ?

— Pas la moindre. On va peut-être tomber sur un mur, ou sur des hommes armés. La seule chose dont je sois certain, c’est que Brestlow ne s’attend pas à nous voir arriver, et certainement pas par en dessous. En route, messieurs.

80

— Vous avez été militaire ? demanda Kinross.

— Pendant quatre ans, opina Hold.

— Vous ne me l’aviez jamais dit.

— Vous ne me l’aviez jamais demandé.

— Cela explique beaucoup de choses.

— C’est-à-dire ?

— Votre efficacité sur le terrain…

Après une enfilade de salles vides aux murs de béton nu, ils tombèrent sur une porte étanche qui leur barrait le chemin. Elle ressemblait à celles des sous-marins. Hold vérifia son plan.

— Nous allons quitter les secteurs techniques. Derrière, ce sont des zones de vie. Docteur, Thomas, mettez-vous sur le côté et éteignez vos lampes.

Fawkes et Hold coupèrent eux aussi leurs lumières et dans l’obscurité, les deux hommes tentèrent de faire tourner la roue de verrouillage. Bien que les mécanismes soient récalcitrants, le panneau finit par se débloquer. Le grincement qu’il fit en pivotant sur ses gonds résonna dans l’immense labyrinthe souterrain. Fawkes braqua son arme. Aucun bruit. Le jeune homme ralluma sa lampe et franchit le pas de la porte. Aussi loin que son rayon portait, une salle immense s’étendait, remplie de sommiers sans matelas.

Schenkel se pinça le nez en entrant.

— Pas assez aéré, commenta-t-il.

— C’est fermé depuis vingt ans, fit remarquer Fawkes.

Le groupe reprit sa progression à travers ce dortoir lugubre et surréaliste. Les murs avaient sans doute été blancs autrefois, mais le temps leur avait donné une couleur beige foncé. On distinguait encore les inscriptions d’orientation peintes dans les couloirs et aux abords des portes. Le sol était uniformément recouvert d’une fine pellicule de poussière. L’air était sec, parfois vicié par de rares infiltrations d’humidité qui produisaient de grandes zones moisies.

— Vous devez être à peine plus jeune que moi, fit remarquer Thomas à Fawkes.

— J’ai 29 ans. 30 dans deux mois.

— 32.

— Il y avait peu de chances qu’on se rencontre un jour, remarqua le commando.

— Les voies du seigneur sont impénétrables.

— Honnêtement, j’ai été surpris quand vous avez dit que vous veniez. Ce n’est pas banal.

— Avez-vous une idée de ce sur quoi travaille le docteur ?

— Pas la moindre.

— Eh bien, si je ne l’avais pas su, je ne serais sans doute pas ici.

— C’est si important que ça ?

— Imaginez qu’un barrage soit sur le point de céder, menaçant la vie de centaines de milliers de gens. Que feriez-vous si vous appreniez qu’un type essaye de gagner une fortune en faisant payer ceux qui voudraient se servir des systèmes d’alerte ?

— Je le défoncerais et je donnerais l’alarme.

— C’est pour ça que je suis là.

L’oreille tendue, son arme à la main, Hold descendit les escaliers métalliques à pas feutrés. N’entendant pas un bruit, il ralluma sa lampe puis inspecta rapidement les plafonds et les murs à la recherche d’éventuels détecteurs. Il s’aventura ensuite dans le couloir, ouvrit quelques portes au hasard. Partout, le vide, la même odeur de renfermé. Il revint sur ses pas chercher ses compagnons.

— Nous approchons. Il faut redoubler de prudence.

Il déplia son plan et vérifia l’itinéraire :

— Nous allons traverser les réfectoires et les zones de stockage. Ici, aux ateliers, si nous n’avons rien rencontré avant, nous établirons une base de repli. C’est un étranglement, cela pourra nous permettre de couvrir notre fuite si on ressort par là. Ensuite, nous serons encore obligés de descendre d’un niveau dans ce dédale.

Hold replia sa carte. Il allait se remettre en marche lorsque Kinross le retint :

— Vous croyez que Jenni est encore en vie ?

— Ne vous posez pas ce genre de question, docteur. Vous savez que chacun de vos patients va finir par mourir. Il n’y a aucun doute là-dessus. Ce n’est pas pour ça que vous arrêtez de les soigner. Vous l’avez dit vous-même : changer la fin est impossible. Pour nous autres, pauvres mortels, tout ce qui compte, c’est de retarder l’échéance.

81

— Rien ne vous oblige à rester enfermée, Jenni. Si vous me promettez…

— Laissez-moi partir.

— C’est impossible, vous en êtes consciente. Vous en savez beaucoup trop sur moi. Soit vous êtes à mes côtés, soit vous êtes contre moi.

— Je promets de ne rien dire si vous faites ce que nous avions convenu.

— Au sujet des brevets ?

— Laissez les chercheurs se servir de notre indice, et je vous donne ma parole que j’oublierai tout.

Brestlow eut un sourire sincère.

— Chère Jenni, je ne doute pas de votre parole, mais réfléchissez à la situation. Elle n’est acceptable ni pour vous ni pour moi. Vous êtes en train de sacrifier tout ce que je vous offre pour laisser une chance à des gens qui s’en moquent. Une fois encore, je vous le demande : ceux pour qui vous vous battez en valent-ils la peine ? Ils gâchent leur santé, ils détruisent leur monde en l’épuisant. Cela n’aurait aucune importance si leurs actes n’engageaient qu’eux, mais ils imposent leur folie à tous. Je ne veux pas les subir. Très bientôt, ils anéantiront ce monde qui est aussi le mien. Vos enfants ont droit à une Terre en état de marche.

— Taisez-vous. Si vous espérez me convaincre, vous perdez votre temps.

— Que vous le vouliez ou non, la vérité est là. Elle ne nous renvoie pas une image glorieuse, mais les faits sont indiscutables. La masse grouillante des humains détruit tout dès qu’elle n’est pas occupée à se détruire elle-même. Les peuples pillent la nature, affament ceux qu’ils dominent en attendant de subir le même sort face à de plus puissants qu’eux. Ils veulent tout mais ne savent même plus quoi. Des colliers dorés, des voitures rouges, des avions. Ils amassent sans même y croire encore. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’ils ont trop de tout. Parce que le temps d’une vie est devenu trop long pour goûter au plaisir de cette existence sans se rendre compte que tout finit par pourrir. Je vous le dis, Jenni, les prolonger n’est pas un cadeau.

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