Cette information ne se trouve pas sur l’extrait du casier judiciaire. Quelques coups de fil aux confrères suffisent en général pour obtenir le renseignement.
En revanche, le dossier de détention est inaccessible. Y sont notées, jour après jour, les informations relatives à la détention, telles que le nom des gens que le détenu fréquente, les événements, même mineurs : un refus de douche, un mouvement d’humeur.
Ce dossier reste au greffe de la prison, il est conservé aux archives plusieurs années après la libération du détenu. Pour récolter des données de ce type, rien de tel que de rencontrer quelqu’un comme Maurice Kooning.
J’ai été l’un de ses défenseurs dans un procès, en 2002, pour des faits qui remontaient à 1995. Je n’ai pas obtenu grand-chose, si ce n’est de remettre en cause les déclarations d’un témoin versatile.
Il ouvre les mains.
— Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat.
— Sage précaution.
— Posez votre question, maître.
— Vous étiez à Andenne en 2010. Vous y avez connu Alex Grozdanovic ?
J’en ai appris plus sur lui que ce que la presse en dit.
Il a été arrêté une première fois en 1997 et condamné à trois ans de prison. En mars 1999, alors qu’il ne lui restait que quelques mois à purger, il s’est évadé de manière rocambolesque. En 2008, après neuf ans de cavale, il s’est fait appréhender à Bruxelles et a été incarcéré à la prison d’Andenne.
Il fronce les sourcils.
— J’ai connu Alex Grozdanovic et je regarde la télé. Sale affaire. Que faites-vous là-dedans ?
— Rien, à première vue. Vous le connaissiez bien ?
— Je lui ai appris à jouer aux échecs. Il m’a battu une fois, sur quelques centaines de parties.
— D’après ce que je sais, à la même période, un dénommé Bachir purgeait sa peine à Andenne, vous voyez qui c’est ?
Il me fixe dans les yeux, comme s’il cherchait à lire dans mes pensées.
— Bachir. Oui, je vois qui c’est. Quel rapport ?
— Est-ce qu’Alex Grozdanovic et Akim Bachir se fréquentaient ?
Il lève les yeux.
— Vous avez déjà vu un prince slave fréquenter un bouseux arabe ?
— C’est peu probable. Je vous ai dérangé pour rien ?
Il jette un coup d’œil à sa montre.
— Déranger est un grand mot. Je ne suis pas vraiment débordé. Pour tout dire, votre question n’est pas tout à fait idiote, maître.
Il se penche en avant.
— Vous voulez que je vous raconte quelque chose ?
Je me mets dans la même position que lui.
— J’en meurs d’envie.
— Vous savez que Grozdanovic s’est évadé d’Andenne ?
— J’ai appris ça hier soir, à la télé.
— Vous savez comment il a fait ?
— Pas dans les détails, c’est pour ça que je suis venu vous voir.
Il recule sur sa chaise et frotte son pantalon pour en chasser d’hypothétiques poussières.
Il a toujours aimé ménager ses effets.
L’opération terminée, il revient vers moi.
— Il a profité d’un début d’incendie pour faire son coup. Il rentrait justement de promenade. Les gardiens couraient dans tous les sens. Comme ils n’arrivaient pas à maîtriser le feu, ils ont appelé les pompiers.
— La porte était ouverte, il en a profité ?
Il ricane.
— On voit que vous ne connaissez pas les prisons. Entre le préau et la sortie, il y a dix grilles et autant de portes.
— Comment a-t-il fait ?
— Il avait un flingue, un vrai, il a tiré en l’air. Il a chopé un jeune gardien et lui a collé le pétard dans le cou. Ils ont traversé les couloirs, passé le bâtiment où se trouvent les bureaux et l’infirmerie, longé la salle de visites, franchi la comptabilité et le greffe et continué vers la cour grillagée et le sas d’entrée. Sur le chemin, il a dû croiser une vingtaine de matons. Aucun d’eux n’a bougé pour ne pas mettre la vie de leur collègue en danger. En Belgique, les porte-clés ne sont pas armés. Dans un autre pays, il se serait fait trouer comme une passoire.
Je visualise la scène.
— Et ensuite ?
— Il s’est enfui après avoir libéré le gamin sain et sauf. Il a couru vers le bois de Wahériffe qui se trouve derrière la prison. Les flics sont arrivés avec les hélicos, les clebs et tout le saint tremblement. Ils ne l’ont pas eu.
— Quelle est votre conclusion ?
Il me dévisage comme s’il allait m’énoncer une évidence.
— D’abord, que ce mec avait des couilles.
Il marque un silence.
J’attends l’épisode suivant.
Il prend sa montre, la frotte sur sa manche et la repose sur la table.
— Voilà pour la version officielle, celle que vous trouverez dans les journaux, chez vos confrères et chez les flics.
— Et la vôtre ?
Il prend l’air mystérieux.
— On l’attendait dehors, pour moi, ça ne fait aucun doute. Seul, il n’avait aucune chance. Il se serait fait prendre dans l’heure.
— Vous induisez que son évasion était programmée ?
— Réfléchissez. D’où vient le flingue, sinon de l’extérieur ? Comment se fait-il qu’il l’ait sur lui, à la promenade, précisément le jour où un incendie se déclare ?
— Ce début d’incendie était organisé ?
— Alex Grozdanovic travaillait avec Franck Jammet. C’était son ami d’enfance. La diversion était l’un de leurs points forts, ils faisaient cramer des bagnoles pour tromper les flics et laissaient de faux indices à gauche et à droite. Les doubles cagoules, c’est eux. Les tifs que les flics retrouvaient comme par miracle sur les lieux du casse et qui n’appartenaient à personne, c’est eux aussi. Si ce sont ces deux types qui ont orchestré le casse de Zaventem, je vous fiche mon billet que dans quelques jours, on va retrouver des diamants quelque part, histoire de créer de fausses pistes.
— Qui dit incendie volontaire, dit complice.
Il sourit.
— Bravo, maître. Vous devriez faire flic.
— Vous allez rire, j’y pense.
— Bachir se faisait racketter. C’était le souffre-douleur des zonards. Un jour, pour une raison que personne n’a pigée, Alex s’en est mêlé. Il a dérouillé les mecs et sauvé la vie du petit. Après ça, le Bachir a eu une paix royale, il était sous protection. Je connaissais Alex, c’était un bon bougre et c’était dans sa nature de jouer au Zorro, mais pas en taule. En taule, on ne mélange pas les serviettes et les torchons. J’en ai déduit que s’il a fait ça, c’est qu’il avait autre chose en tête.
— Par exemple ?
Il consulte sa montre.
— Seize minutes. Vous décompterez ça de mon ardoise.
Mes dernières notes d’honoraires sont restées impayées.
— Avec un plaisir d’autant plus grand que ce que vous allez me dire en vaut sûrement la peine.
Il me dévisage, les yeux mi-clos.
— Cela faisait plusieurs semaines que Grozdanovic s’était découvert une allergie à je-ne-sais-quoi. Les types allergiques reçoivent leurs rations dans des sachets séparés. Bachir travaillait à la cuisine. À Andenne, le meilleur moyen de faire entrer un flingue, c’est via l’un des fournisseurs de la cuisine. Après, pour le faire parvenir à celui qui l’a commandé, le mieux est de le lui amener en pièces détachées dans un sachet de bouffe. Si vous n’êtes pas encore convaincu, voici la question subsidiaire : à votre avis, d’où est parti l’incendie ?
39
La première leçon est gratuite
Je tourne en rond dans la salle de réunion.
— Reprenons depuis le début et tenons-nous-en aux faits, rien qu’aux faits.
Cette tactique m’aide souvent à y voir plus clair.
Je dresse à haute voix la liste des éléments clés d’une affaire.
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