Rachid salua les hommes, échangea quelques mots avec eux puis m’adressa la parole.
— Vous allez suivre les baudets à distance. Il y en a pour une demi-heure de marche. Quelqu’un vous attendra de l’autre côté. Une voiture vous déposera à Alger.
L’un de ses hommes lui remit un paquet de la taille d’une boîte à chaussures ainsi que mon téléphone portable.
Rachid me tendit le tout.
— Demain soir, à six heures précises, vous irez au monument aux martyrs, au centre d’Alger. Un homme vous demandera quel temps il fait à Paris, vous lui répondrez qu’il fait un peu moins chaud qu’ici et vous lui remettrez ce paquet. C’est tout.
— Je m’en occupe.
— Bonne chance.
Je marquai ma surprise.
— Personne ne nous accompagne ?
— Les baudets reçoivent des instructions par talkie-walkie, ils sont bien formés, soyez sans crainte.
C’est le moment que choisit Christelle Beauchamp pour intervenir.
— C’est la seule garantie que vous êtes capable de nous donner ? Vos bourriques sont bien formées ? C’est ça ?
Rachid fit un pas dans sa direction.
— Vous savez, petite madame, les baudets ne sont pas très malins. C’est pour ça que je vous demande de les suivre à distance. De temps en temps, ils comprennent mal les ordres et vont droit chez les gardes-frontières.
Il la dévisagea, attendant sa réaction.
Comme elle restait coite, il se pencha légèrement vers elle et prit le ton de la confidence.
— Rassurez-vous, mes baudets ne restent jamais très longtemps en prison.
Content de son bon mot, il éclata d’un rire fluet, hautement communicatif.
Ses hommes embrayèrent aussitôt.
Était-ce la pression que j’avais subie, l’heureuse perspective d’échapper aux prisons marocaines ou le visage meurtri de Christelle Beauchamp ? Je ne saurais dire. Quoi qu’il en soit, j’éclatai de rire à mon tour, ce qui surprit Rachid dont l’hilarité redoubla.
Mon rire se transforma en un inextinguible fou rire que je ne parvins à réprimer, pour le plus grand bonheur du poussah et de sa smala.
Lorsque la deuxième salve toucha à sa fin, Christelle Beauchamp m’apostropha.
— C’est bon ? Vous avez fini de faire joujou ? On peut y aller maintenant ?
La traversée nous prit plus d’une heure. Soixante minutes durant lesquelles Christelle Beauchamp ne cessa de jurer entre ses dents.
Les chaussures qu’elle portait n’étaient pas faites pour une randonnée à travers champs. À plusieurs reprises, elle perdit l’équilibre et mit un genou à terre. Je dus plusieurs fois l’aider à se relever, ce qui ne me valut ni remerciement ni marque de gratitude.
La nuit s’estompait lorsque les baudets s’arrêtèrent et se regroupèrent autour d’une clôture. Trois silhouettes se découpèrent dans l’aube naissante.
L’une d’elles délaissa le groupe et vint à ma rencontre.
— Bonjour, je suis Mohammed, suivez-moi.
Les autres hommes entreprirent de décharger les baudets et nous tendirent nos bagages.
Nous les prîmes et emboîtâmes le pas à Mohammed. Il nous guida vers une Renault Symbol garée sur le bord du chemin.
— Montez à l’avant. Que madame se mette à l’arrière, c’est plus prudent pour les contrôles.
Madame réagit sur-le-champ.
— Les contrôles ?
— Rassurez-vous, tout se passera bien.
J’ouvris le coffre pour y déposer nos valises et le carton à chaussures de Rachid, mais l’espace était occupé par un grand caisson métallique.
Mohammed intervint.
— C’est le réservoir d’essence, mettez-les à l’intérieur.
— Elle consomme autant, cette petite voiture ?
Il me présenta les quelques chicots qui lui servaient de dents.
— Je peux y mettre plus de cent cinquante litres. L’essence algérienne coûte l’équivalent de vingt cents de vos euros. Au Maroc, on la paie cinq fois plus cher. Vous comprenez ?
Je comprenais.
Cannabis contre pétrole, chacun y trouvait son compte.
Nous montâmes à bord du véhicule.
Christelle Beauchamp, bien décidée à dormir, s’abandonna sur la banquette arrière et se servit de son sac en guise d’oreiller.
Elle interpella Mohammed.
— À quelle heure serons-nous à Alger ?
Il consulta sa montre.
— Il y a près de sept cents kilomètres. Vers midi, si tout va bien.
— Très bien, nous allons à l’hôtel Hilton.
Il se retourna.
— Je ne fais pas taxi, madame. Je vous déposerai à l’entrée d’Alger, comme ça a été prévu.
J’attirai l’attention de Mohammed et lui adressai un sourire de connivence.
Nous roulâmes quelques minutes dans un chemin chaotique puis montâmes sur l’autoroute.
Je me mis malgré moi à somnoler.
La voix de Mohammed me tira du sommeil.
— Contrôle de police, réveillez-vous, tenez-vous assis et ayez l’air naturel.
Nous approchâmes d’un barrage filtrant. Une voiture de police était garée au milieu de la voie. Quatre hommes en uniforme examinaient l’intérieur des véhicules.
Je retins ma respiration, ne sachant que faire en cas de contrôle des papiers d’identité.
Mohammed baissa la vitre et leur lança quelques mots. Ils nous firent signe d’avancer et nous reprîmes la route.
Nous fûmes confrontés au même scénario une vingtaine de minutes plus tard. Une nouvelle fois quelques instants après. À chaque fois, je dus sortir de ma torpeur et faire bonne figure en dépit de la fiole d’acide qui me rongeait l’estomac.
La présence policière était impressionnante, ce que Christelle Beauchamp commenta avec son tact coutumier.
— À part des trafiquants et des flics, quelqu’un vit dans ce pays ?
Les heures d’insomnie commençaient à me peser et j’eus du mal à garder les yeux ouverts.
Les contrôles se multiplièrent lorsque nous approchâmes d’Alger. La banlieue de la ville ressemblait aux cités dortoirs qui pullulent à la périphérie de Paris ou d’autres villes françaises. Quelques tours blêmes surgissaient du paysage. Les immeubles semblaient inachevés. Les façades étaient constellées de paraboles et de linge multicolore.
En revanche, le parc automobile semblait en meilleur état qu’au Maroc et les Algérois ne se déchaînaient pas sur leur avertisseur.
La chaleur redoublait dans l’habitacle et la climatisation était inopérante. Christelle Beauchamp avait ôté la pochette de son iPad et l’utilisait comme éventail.
— À la place d’un gros réservoir, j’aurais installé l’air conditionné. En plus, on va devoir se farcir une marche forcée en plein cagnard.
Je sortis un billet de cent euros et le posai sur le tableau de bord.
— Merci pour votre assistance, Mohammed. Ce serait fantastique si vous pouviez nous déposer au Hilton.
Il se tourna vers moi et loucha vers l’arrière.
— Si c’est pour vous, je veux bien. Pour elle, pas question.
Je ne pus m’empêcher de décocher une flèche à l’intéressée.
— Vous devriez lire Comment se faire des amis de Dale Carnegie. Même si le livre date des années trente, les principes de base restent d’application.
Elle soupira.
— Les hommes qui sortent des billets de cent euros comme d’autres lâchent des pets nouent plus facilement des liens d’amitié.
Je fis mine de ne pas avoir entendu.
Mohammed emprunta une bretelle et sortit de l’autoroute.
Nous tombâmes sur un barrage filtrant cinq cents mètres plus loin. Une nouvelle fois, les policiers se contentèrent de jeter un coup d’œil dans l’habitacle.
Cette pratique à répétition m’interloqua.
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