Paul Colize - Un long moment de silence

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Prix Landerneau Polar 2013
Prix Boulevard de l'Imaginaire 2013
Prix Polars Pourpres 2013
Biographie de l'auteur 2012. À la fin de l’émission où il est invité pour son livre sur la « Tuerie du Caire », un attentat qui a fait quarante victimes dont son père en 1954, Stanislas Kervyn reçoit un coup de téléphone qui bouleverse tout ce qu’il croyait savoir.
1948. Nathan Katz, un jeune Juif rescapé des camps, arrive à New York pour essayer de reconstruire sa vie. Il est rapidement repéré par le Chat, une organisation prête à exploiter sa colère et sa haine.
Quel secret unit les destins de ces deux hommes que tout semble séparer ?
Paul Colize est né en 1953 et vit près de Bruxelles. Il a reçu le prix Saint-Maur en poche — Polar 2013 pour
(Folio Policier nº 685), le prix Landerneau-Polar 2013 et le prix du Boulevard de l'Imaginaire 2013 pour
. « Un thriller très haut de gamme, parfaitement écrit et construit, parfois très drôle et toujours palpitant, de bout en bout j'ai adoré, je n'ai pas pu lever le nez de ce livre… »
Bernard Poirette « C'est à lire », RTL

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Il sourit. Son regard est flou.

Aimait-il boire, rire, danser, baiser ?

M’aimait-il ?

Ma vie aurait-elle été différente s’il avait survécu ?

Des deux mains, je projette l’ordinateur contre le tronc de l’arbre. L’écran explose. Des fragments de verre, d’acier et de plastique se détachent de la carcasse et se répandent au sol. Une femme qui promène son clebs fait demi-tour et s’éloigne en pressant le pas.

Je me penche en avant. Mon Vaio agonise à mes pieds.

Du talon, je lui porte le coup de grâce.

8

À vive allure

Le mercredi 15 septembre 1948, Nathan enfourcha le vieux vélo de livraison qu’Alexandre lui avait vendu contre quelques dollars et prit le chemin du Brooklyn College pour la rentrée scolaire.

Une bruyante animation l’attendait sur Bedford Avenue. De nombreux étudiants s’étaient rassemblés devant l’entrée de la faculté. Ceux qui connaissaient les lieux avaient franchi le portail et déambulaient dans les allées du jardin qui menaient au bâtiment principal.

Le désordre et la confusion régnaient dans les couloirs. De nombreux adolescents entraient en première année et ne savaient où aller. Debout sur une chaise, le directeur de l’établissement donnait ses directives en hurlant pour tenter de couvrir le vacarme.

Nathan s’inscrivit au cours de sciences politiques donné par Moritz Neumann, un homme affable, réfugié d’Allemagne.

De nombreux élèves entreprirent la même démarche.

Le prédécesseur de Neumann, Gabriel Almond, avait fait de ce cours le programme le plus couru de la faculté avant de partir à Yale, auréolé par le succès du livre qu’il venait de publier.

Le caractère cosmopolite de l’établissement permit à Nathan de se lier rapidement d’amitié avec plusieurs étudiants dont le vécu était proche du sien.

Il se découvrit des affinités avec trois autres Juifs qui suivaient comme lui le cours de Neumann. Bien que différents l’un de l’autre, chacun était doté d’une personnalité affirmée.

Joseph Turkel, un gamin filiforme d’une intelligence remarquable, plaisantait à propos de tout et riait de ses propres bons mots. Son rire était à ce point communicatif que les gens qui le côtoyaient partageaient son hilarité sans même savoir quel en était l’objet.

Raul Hilberg, un Autrichien à la mine renfrognée, chaussé d’épaisses lunettes, semblait en permanence absorbé dans de sombres pensées. Quand il interrompait sa méditation, il se lançait dans des sujets polémiques ou faisait des déclarations provocatrices pour associer ses proches à sa réflexion.

Le troisième, Michael Gutmann, un bon vivant au ventre rebondi et au sourire jovial, adorait la vie new-yorkaise et ne parlait que de jazz et de bonne chère.

Ils se retrouvaient le midi et à la fin des cours pour avaler un sandwich, se promener dans le parc, échanger les dernières nouvelles du monde ou se perdre dans de longues discussions philosophiques.

L’incident se produisit le dernier vendredi d’octobre, en fin d’après-midi, alors que Nathan sortait de la faculté en compagnie de ses amis.

Trois Italiens d’une vingtaine d’années attendaient la sortie des élèves, les fesses posées sur l’aile avant d’un coupé Hudson rouge vif. Ils portaient des jeans aux bords retroussés, des chaussures noires pointues et une chemise rouge sang, proche de la couleur de leur bolide.

Le meneur était de stature moyenne, il avait un cou puissant et de larges épaules qu’il remuait sans cesse. L’air sûr de lui, il toisait les élèves qui sortaient de l’établissement en mâchonnant une allumette.

Les étudiants plus âgés, connaissant leur réputation, les évitèrent. Plus d’un avaient eu affaire à ces voyous de Bensonhurst qui venaient se livrer au racket et cherchaient la bagarre.

Lorsque Nathan et ses amis passèrent à leur hauteur, le chef du trio cracha dans leur direction.

— Encore une fournée qu’ils ont loupée.

Michael Gutmann s’immobilisa, cloua son regard dans celui du voyou et l’interpella brutalement.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

L’homme avança d’un pas en roulant des épaules.

— Tu veux une raclée, youpin ?

Nathan s’interposa et retint Gutmann.

— Laisse tomber, Michael !

Les autres voyous vinrent encadrer leur chef.

— C’est ça, laisse tomber, gros Juif !

L’un d’eux sortit un couteau à cran d’arrêt et fit jaillir la lame.

— Et barrez-vous, fils de putes, ou on vous fait la peau !

Gutmann était blême, mais refusait de capituler.

Nathan le repoussa avec force.

— Laisse tomber, je te dis.

— Pas question ! Je ne peux pas laisser ces ordures dire des choses pareilles.

— On en reparlera plus tard, maintenant tais-toi et laisse tomber.

La mort dans l’âme, Gutmann s’éloigna.

Ils remontèrent Bedford Avenue jusqu’à l’arrêt de bus de Flatbush sans qu’aucun d’eux ne parvienne à prononcer le moindre mot.

Hilberg semblait le plus ébranlé par l’incident. Il secouait la tête de gauche à droite comme s’il refusait d’admettre ce qui venait de se passer. Gutmann était livide et marchait droit devant lui, comme un automate. Turkel levait le nez au ciel, l’air hébété. De temps en temps, il s’essuyait les yeux avec la manche de sa chemise.

Lorsque le bus arriva, Nathan leur fit signe de la main, monta sur son vélo et se mit à pédaler avec rage.

Les jours suivants, Nathan quittait son père et ses amis dès la fin du repas.

Pendant la soirée et une partie de la nuit, il explorait le quartier italien. Il parcourait chaque rue, chaque avenue, chaque boulevard de façon méthodique jusqu’aux environs de deux heures du matin. Lorsqu’il rentrait, il se mettait au lit sans un mot et refusait de répondre aux questions que son père lui posait.

Le quatrième soir, il repéra le coupé Hudson rouge vif qu’il recherchait. Il était garé devant une pizzeria sur Christoforo Colombo Boulevard.

Il se posta au coin de Bay Ridge Parkway, s’accroupit derrière sa bicyclette et épia les environs en faisant mine de remettre sa chaîne en place.

Vers minuit, l’homme qu’il attendait sortit du bar en titubant et monta dans sa voiture.

Nathan grimpa sur son vélo et entreprit de le suivre.

Par chance, les rues étaient encombrées et l’homme conduisait lentement. Il s’arrêta dans la 79 e Rue, gara tant bien que mal son véhicule et entra dans une petite maison à deux étages.

Le lendemain matin, Nathan se leva à cinq heures.

Il prit l’équipement qu’il avait préparé, monta sur son vélo et parcourut les dix miles qui le séparaient de Bensonhurst.

Il arriva sur place peu avant sept heures. Il parcourut la rue à plusieurs reprises et examina les environs avec attention.

L’inspection terminée, il posa son vélo contre un arbre et s’approcha de la Hudson. Il se campa sur ses jambes, arma la batte de baseball qu’il avait emportée et l’abattit à toute volée sur le pare-brise de la voiture.

La vitre se fracassa dans un bruit de tonnerre. Une partie des débris se répandit sur les sièges de la voiture, le reste se dispersa sur le trottoir.

Nathan apprécia le résultat, s’assit sur l’aile avant de la voiture, face à la maison de l’Italien, et observa la façade. Il repéra un mouvement de rideau à l’étage. Des visages inquiets apparurent également aux fenêtres des maisons voisines.

Quelques instants plus tard, le voyou surgit de la maison en boutonnant sa chemise. Il était pieds nus, il avait les cheveux en bataille et le visage tordu dans un rictus de haine.

Il apostropha Nathan en traversant la rue.

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