Elle enlaça un enfant de chaque bras, les serra fort contre elle, et les sentit se blottir contre ses hanches.
« Est-ce que papa rentre bientôt ? » interrogea Louise, en levant les yeux sur elle. Elle la serra plus fort encore.
« Oui, il rentre bientôt. Et bientôt, il va appeler.
— Alors on pourra enfin aller chez papy et mamy à Paris, s’enthousiasma Paul.
— Oui, on fera ça, aussi. »
Bruxelles
Sonja était à la fenêtre, entourée des autres, à regarder la ville. Dans les tours de bureaux, de la lumière, ainsi que dans les logements qui n’avaient pas été évacués, ou que les occupants n’avaient pas voulu quitter. Les publicités scintillaient de nouveau, ainsi que les néons sur les façades. Ses collègues riaient, parlaient bruyamment ensemble. Les téléphones sonnaient, mais, pendant quelques minutes personne ne répondit. Angström pensa à cette nuit passée en prison, à la journaliste américaine et à Piero Manzano. Depuis qu’il était parti à La Haye, elle ne lui avait plus parlé. Chacun ne cherchait à joindre que ceux qui lui étaient les plus chers. Elle voulait savoir si ses proches se portaient bien. Elle rejoignit son propre bureau. La sonnerie du téléphone retentit.
« Hey, résonna la voix de Manzano à l’autre bout du fil, comment vas-tu ? »
Berlin
« Le grand ménage commence, constata le secrétaire d’État Rhess. Toute l’assemblée était pendue à ses lèvres. La première des priorités, c’est le réapprovisionnement en eau, en vivres et en médicaments. Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Notre collègue Michelsen va vous en dire davantage. »
Et, voilà… c’est encore à moi d’annoncer les mauvaises nouvelles, pensa-t-elle.
« Avec une alimentation en énergie relativement stable, les prérequis fondamentaux sont remplis, se lança-t-elle.
— Pourquoi donc relativement ? s’immisça le ministre de la Défense.
— Parce qu’à cause du black-out, quelques ouvrages ont été sévèrement touchés. Du coup, les capacités manquent. »
Michelsen projeta l’image d’un robinet sur l’écran mural, de ceux qui équipent des millions de foyers.
« Dans à peu près soixante-dix pour cent du pays, l’alimentation en eau a été réduite à néant. L’eau ne pouvait plus être dirigée ni pompée par les consommateurs. En conséquence de quoi, il y a eu formation de bulles d’air dans les canalisations, lorsque celles-ci n’étaient pas purement et simplement à sec. Ça a conduit en un temps restreint à leur contamination bactériologique. En d’autres termes, l’eau tirée de ces tuyaux est dangereuse pour la santé. Avant que l’alimentation en eau puisse de nouveau être opérationnelle dans ces régions, il faut prendre des mesures de nettoyage drastiques, qui peuvent durer jusqu’à plusieurs semaines. »
Au cours des premiers jours de la coupure, il y avait eu suffisamment de photos de waters dégorgeant. Elle en projeta une. Certaines personnes présentes affichèrent une moue de dégoût.
« Et ce n’est pas mieux en ce qui concerne la collecte des eaux usées », poursuivit Michelsen. Ce n’est qu’en projetant quelques photos qu’elle pouvait faire comprendre à ces gens qui avaient vécu ces douze derniers jours dans des conditions relativement acceptables ce contre quoi devaient lutter les citoyens à l’extérieur.
« La plupart des W.C., dès la première nuit, ne pouvaient plus être nettoyés. Plus tard, dans les canalisations, il n’y avait plus suffisamment d’eau pour assurer l’acheminement vers les stations d’épuration. Les canalisations domestiques, ainsi que les conduits des égouts, sont bouchés à certains endroits, et sont devenus secs. Les systèmes de récupération des eaux sont prévus pour faire face à de courtes coupures. Le plus gros du travail dans les stations d’épuration est accompli par des cultures de bactéries. Elles sont habituées à d’importantes variations. Mais après une si longue période, leurs populations ont été gravement décimées et il faut en réintroduire dans les piscines. En raison de la quantité nécessaire, ça va durer des jours, voire des semaines. »
Des photos de supermarchés déserts, vides.
« De la même façon, l’approvisionnement en vivres ne peut être si facilement rétabli. Ce qui se trouvait dans les chambres froides est impropre à la consommation, presque tous les aliments frais ont été donnés ou pillés ces derniers jours. Il n’y a que peu de conserves ou de produits de garde à disposition. De nombreuses filiales de supermarchés vont rouvrir prochainement, mais, en raison du nettoyage et de la remise en service nécessaires, il n’y aura que peu de biens disponibles. »
Photos d’un élevage intensif de poulets.
« Il est au moins aussi important pour nous de réfléchir dès à présent aux conséquences à moyen et à long terme de cette catastrophe et d’y apporter des solutions. Nombreux sont les producteurs à avoir tout perdu, notamment les éleveurs. Si nous laissons de côté les problèmes d’hygiène liés au transport et à l’équarrissage de millions de cadavres animaux, nous serons dépendants de l’import pendant des années dans le domaine de la viande. Parallèlement, les éleveurs allemands devront être soutenus afin de pouvoir relancer une production domestique. C’est exactement la même chose, ou presque, concernant la production de fruits et de légumes sous serres. En l’occurrence, l’Allemagne n’est pas aussi touchée que d’autres États, tels les Pays-Bas ou l’Espagne, mais il y a d’innombrables sinistrés. Comme vous pouvez le constater, nous avons encore du pain sur la planche. Dans de nombreux cas, il serait avisé que les populations restent encore dans les camps jusqu’à ce que l’alimentation normale en eau de leurs logements soit effective. À ce propos, la communication avec les populations sera extrêmement importante. Elle attend probablement un retour à la situation précédant la coupure dans des délais très brefs. »
La Haye
« Les terroristes ont été interpellés, annonçait Shannon à l’écran. Personne ne peut encore évaluer les conséquences de l’attaque. Une chose est certaine, en revanche : il s’agit de la plus importante attaque terroriste de toute l’histoire. Le nombre de victimes en Europe et aux États-Unis atteint plusieurs millions. Les conséquences financières se chiffrent en milliards. Les économies nationales concernées mettront longtemps à s’en relever. »
Shannon avait pris ses quartiers dans l’un des meilleurs hôtels de La Haye, aux frais de la chaîne. Chacun sa propre chambre. Manzano savourait les draps propres, la baignoire, les moments de tranquillité. Il était étendu sur le lit, tout juste douché, enveloppé de l’épais peignoir que l’hôtel avait mis à sa disposition en faisant preuve d’une incroyable célérité. Il était content pour l’Américaine. Son heure était venue. Elle était la première journaliste du monde entier à pouvoir faire un reportage sur l’arrestation des coupables, documenté par des images exclusives. Il était fasciné par sa prestation. Bien qu’elle ait à peine dormi au cours des nuits précédentes et beaucoup travaillé au cours de la dernière, on aurait dit qu’elle revenait de cure. À moins qu’une styliste ne l’ait aidée.
« Je suis maintenant en direct avec l’enquêteur d’Europol ayant pris part à l’arrestation. »
Bollard apparut dans une fenêtre.
« Monsieur Bollard, qui sont ces gens ?
— C’est ce que nous diront nos investigations des jours à venir. Parmi les personnes appréhendées, certaines peuvent être clairement rattachées à l’extrême gauche, tandis que d’autres pourraient appartenir à l’extrême droite. La plupart d’entre elles proviennent de la classe moyenne et ont un haut niveau d’instruction.
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