Il observait attentivement l’effet que produisait son discours sur les deux hommes.
« C’est terrible », commenta Wickley.
Dienhof acquiesça.
« Nous devons faire en sorte que ça ne se passe pas chez nous. »
Hartlandt attendit.
« J’aimerais vous… hmmh… j’aimerais… Dienhof se racla la gorge. J’aimerais vous montrer quelque chose. »
Wickley ferma les yeux. Lorsqu’il les rouvrit, l’inspecteur reconnut à sa moue qu’il avait gagné la partie.
McLean
Elmer Shrentz étala des impressions de listes et de photos devant Richard Price, le directeur du National Counterterrorism Centre à McLean, non loin du siège de la CIA de Langley, beaucoup plus connu. Des portraits ou des photographies en pied, ces dernières un peu moins nettes, d’un même homme, sur d’autres, les vues d’un bâtiment.
« Les transferts d’argent des suspects, pistés par Europol depuis quelques jours, conduisent tous à ce bâtiment de Mexico. Il a été acheté il y a deux ans par un certain Norbert Butler. Citoyen américain, depuis des années en relation étroite avec les principaux suspects, opposant fanatique à l’État, actif au Tea Party au cours des premiers mois de sa création en 2009, disparu des radars voilà quatre mois.
— Il travaille avec des anarchistes de gauche du genre de Pucao ou avec un Noir africain comme Lekue Birabi ?
— De gauche ou de droite, manifestement ça lui va, tant que c’est contre l’État. Unis dans la même haine du système dominant et par l’envie de le détruire.
— Mais il ne tuerait pas d’autres citoyens américains ?
— Et pourquoi pas ? Le pire attentat terroriste d’un citoyen américain contre ses compatriotes, sur le sol américain, émane précisément de cette tendance du spectre politique : des conservateurs qui haïssent l’État. Lors de son passage à l’acte, Timothy McVeigh n’a eu aucun scrupule à pulvériser également la garderie au sein de l’immeuble, en 1995, à Oklahoma City.
— Nombreux sont les Américains prêts à investir dans l’immobilier au Mexique.
— Oui, mais seul Butler est en relation depuis des années avec les suspects. Nos requêtes auprès des autorités mexicaines ont donné peu ou prou les mêmes résultats qu’à Istanbul : des constructions administratives en millefeuille, des liens internes très étroits entre les sociétés présentes dans le bâtiment. La police mexicaine a commencé la surveillance. »
La Haye
« Tu veux partir, c’est ça ? »
Bollard percevait la panique dans l’intonation de sa femme.
« Ce n’est pas que je veux, mais qu’il le faut. Nous sommes sur le point de mettre un terme à cette catastrophe, et d’arrêter ces salopards. »
Ils étaient devant la cheminée, le seul endroit chaud de la maison. Les enfants se serraient contre leur mère et l’observaient de leurs yeux apeurés. Il désigna les paquets qu’il avait déposés à la porte.
« Dedans, il y a de quoi boire et manger pour trois jours. Peut-être que vous aurez du courant dès demain. Et peut-être que je serai de retour après-demain.
— C’est dangereux, ce que tu vas faire ? questionna Louise, soucieuse.
— Non, mon cœur. »
Le regard de sa femme ne lui échappa pas.
« Vraiment, la rassura-t-il. Pour les interventions critiques, nous faisons appel aux forces spéciales. »
Son épouse repoussa un peu leurs enfants. « Allez jouer. »
Ils obéirent de mauvaise grâce, mais restèrent à proximité.
« Dehors, c’est l’anarchie…, souffla-t-elle.
— Tu as le pistolet. » Sa moue d’effroi lui fit comprendre qu’elle considérait l’arme davantage comme une menace que comme une protection. « Après-demain, lorsqu’il y aura de nouveau du courant…
— Tu peux le garantir ?
— Oui », mentit-il du mieux qu’il put.
Elle le jaugea longtemps avant de demander : « Tu as des nouvelles des parents ?
— Pas encore. Ils vont bien, ne t’en fais pas. »
Orléans
« Tu ne devrais pas regarder ça », dit Céleste Bollard en posant sa main sur l’épaule d’Annette Doreuil.
Elle n’essaya pas d’ôter la main, mais résista tout de même à la tentative de son amie pour la détourner de la scène devant elle.
À cinquante mètres environ, des hommes gantés et masqués déchargeaient des corps sans vie de la plateforme d’un camion. Ils les prenaient par les mains et les pieds pour les balancer dans une fosse longue de vingt mètres et large de dix. Elle ne pouvait, de là où elle se trouvait, en évaluer la profondeur.
Au bord de la fosse, il y avait un prêtre qui aspergeait de l’eau bénite. Elle ne perdait rien des événements, la mine figée, les poings crispés. Quelques pas derrière elle, il y avait une femme seule d’un certain âge, un peu plus loin encore, un jeune couple, sanglotant — en tout, c’était deux bonnes dizaines d’hommes et de femmes qui assistaient à cette mise en terre hâtive et indécente.
Puis Doreuil reconnut la mince silhouette de son époux dans les mains d’un des préposés. La dépouille se balança, tourna dans les airs et atterrit sur les autres. Annette Doreuil pensa à sa fille, à ses petits-enfants, dont le séjour initialement prévu avait tant réjoui son malheureux époux qui ne les verrait jamais plus. Elle se signa, murmura un ultime « adieu » et tourna les talons.
Central opérations
Siti Jusuf avait reparu. Il avait analysé les échanges qu’ils avaient espionnés depuis le début du black-out. Il avait remarqué quelque chose. Il avait examiné la récurrence de certains mots clefs pour en tirer d’intéressantes conclusions. Au cours de la première semaine suivant le déclenchement des opérations, les cellules de crise et les institutions ne s’étaient pas seulement entretenues de l’aide internationale, mais également de la recherche des responsables. Des entrées comme « enquêtes », « terroristes », figuraient largement parmi les plus fréquentes. Parallèlement à la diminution des communications, ces entrées se faisaient plus rares. Drastiquement. Elles avaient presque disparu.
Dimanche, leur attention avait été retenue par des mails invitant les collaborateurs des différents services à n’allumer leurs ordinateurs qu’en cas d’absolue nécessité. Ce qui expliquait la diminution du trafic.
Et, se demandait Jusuf, si ces exhortations les concernaient eux, plutôt que les fonctionnaires ?
Une discussion enflammée s’ensuivit. Certains devinrent nerveux. Les polices et les services secrets de la moitié du monde étaient-ils sur leurs traces depuis longtemps ?
Ils se promirent d’être plus prudents à l’avenir. Même pour sortir prendre l’air. Au demeurant, ils avaient tout prévu pour mener à bien leur mission, au cas plus qu’improbable où quiconque découvrirait le pot aux roses. Peut-être pouvait-on les stopper. Mais pas ce qu’ils avaient entrepris.
À bord d’un Transall
« Jackpot », chuchota Bollard, penché sur son ordinateur portable. Personne ne l’entendait, tant l’avion de transport militaire était bruyant.
Peu de temps après la découverte de la base terroriste à Istanbul, le Français avait rallié en hélicoptère la base de Wahn, jouxtant l’aéroport civil Cologne/Bonn.
De là, il avait embarqué à bord d’un Transall de l’armée de l’air, en compagnie d’une équipe du GSG-9 venue de Sankt Augustin.
La liaison satellite de l’appareil fonctionnait. Bollard avait mis le vol à profit pour se tenir informé des dernières révélations livrées par l’analyse de RESET, ainsi que du déroulement des investigations.
Читать дальше