Toute la journée, il l’avait observée qui regardait au-dessus des épaules des informaticiens, qui étudiait des cartes, photographiait et filmait. Bollard lui avait donné son blanc-seing, après que l’Italien lui avait réaffirmé quelle part importante Lauren avait joué dans la découverte de RESET. « C’est peut-être même une très bonne idée, concéda le Français, que quelqu’un documente notre manière de travailler. »
Manzano s’étira, sentit ses articulations craquer. Elle était dans le vrai : il avait besoin d’une pause.
« Café ? » lui proposa-t-elle.
Ils se rendirent ensemble dans une petite cuisine à quelques portes de là. Deux fonctionnaires d’Europol s’y trouvaient, devant des breuvages fumants.
L’Italien prit une capsule qu’il introduisit dans la machine. Il fut reconnaissant à Europol de ne l’avoir pas déconnectée en cette période d’économies d’énergie drastiques. Certes, il n’aimait pas ces cafetières à la mode où on introduisait des doses formatées, mais, compte tenu des circonstances, c’était mieux que rien. Et pratique, également, il ne pouvait le nier. Introduire la capsule, appuyer sur le bouton, récupérer sa boisson. Rien de moins qu’un ordinateur capable de préparer le café, se dit-il, en introduisant une dose pour Shannon.
« Petit, mais serré », le pria-t-elle.
Il appuya de nouveau, attendit, lui tendit sa tasse. Une lumière rouge indiquait qu’il fallait vider le collecteur de capsules vides. Manzano le retira pour constater qu’il ne contenait que leurs deux capsules. Il le vida pourtant, replaça le bac, prit son café, et ils s’assirent auprès des deux hommes.
Piero ne resta pas longtemps en place ; à peine s’était-il installé qu’il se releva pour étudier la machine. Le voyant rouge clignotait toujours, bien que la machine soit entièrement vide. Il renouvela l’opération : retirer le collecteur, le replacer. Le voyant lumineux ne cessait pas de clignoter. « Les voyants, murmura-t-il. C’est sans doute les voyants d’alerte.
— Qu’est-ce que tu marmonnes dans ta barbe ? » l’interrogea Shannon.
Manzano but son café d’une traite. « Concernant ces foutus rapports d’erreurs, y’a que les voyants qui déconnent !
— Quels voyants ?
— Ceux des systèmes SCADA.
— Et c’est la cafetière qui t’a dit ça ?
— Parfaitement ! »
Madrid
blond
tancr
sanskrit
zap
erdeux
cuhao
proud
bakou
tzsche
b. tuck
sarowi
simon
« Ces douze pseudonymes reviennent régulièrement dans la plupart des conversations », annonça aux personnes présentes Hernandez Durán, directeur du département de cybercriminalité et de terrorisme de la brigade d’investigation technologique madrilène. « Certains sont clairs. Comme Blond ou Erdeux. Lui, c’est sans doute un fan de Star Wars . Proud, Zap, Bakou, Tzsche, B.tuck et Sarowi ne sont pas dénués d’intérêt. Il marqua une longue pause avant de reprendre. Notre collègue Belguer a une thèse intéressante à ce sujet, d’autant plus qu’elle nous donne des informations sur le mobile. Proud, Zap, Bakou, Tzsche, B.tuck pourraient — il souligna le conditionnel — être des abréviations. Proudhon, Zapata, Bakounine, Nietzsche et Benjamin Tucker.
— Zapata et Nietzsche, ça me dit quelque chose, dit l’un des présents. Les autres, j’en ai entendu parler, mais… »
Au départ, seuls des spécialistes en informatique avaient analysé les données. Très rapidement, d’autres spécialistes les avaient rejoints, dont le sociologue Belguer.
« Pierre-Joseph Proudhon, expliqua Durán, un Français du dix-neuvième siècle, est considéré comme le premier anarchiste. Tout le monde connaît sa fameuse maxime “La propriété, c’est le vol”. Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine, un noble russe, compta également parmi les anarchistes influents du dix-neuvième siècle. Benjamin Tucker appartenait à la génération suivante. Cet Américain a traduit et publié les écrits des deux autres. À la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, il était l’une des plus importantes personnalités anarchistes aux États-Unis.
— Révolutionnaires, anars…, releva quelqu’un. Si cette thèse est juste. Ce qui ne me semble pas aberrant, compte tenu de ce qu’ils ont fait. »
Berlin
« Que savons-nous des événements survenus dans les maisons d’arrêt ? demanda le chancelier.
— Lorsque c’était possible, nous avons transféré des détenus de maisons d’arrêt dépourvues d’électricité vers des centrales encore alimentées, expliqua le ministre de la Justice. Lorsque ce n’était pas possible… sa gorge se noua, avant qu’il puisse reprendre, nous les avons libérés. Nous ne pouvions pas les laisser mourir de faim ni de soif.
— Ça fait combien de criminels ?
— Je ne sais pas exactement…, avoua le ministre.
— On a appris qu’à Dresde des citoyens en colère ont attaqué le bâtiment du parlement de Saxe et qu’ils ont essayé de destituer la cellule de crise. »
Son regard se figea. Tout en continuant à fixer ce qu’il avait vu, le ministre se leva, alla à la fenêtre qui donnait directement sur la Spree. Les autres le suivaient des yeux, emplis de curiosité.
Michelsen n’en revenait pas. Sur l’autre rive, vagabondaient une girafe et deux de ses petits entre les saules. À la vue de ces animaux si majestueux, ils éprouvèrent tous un moment surprenant de grâce.
Sans mot dire, ils suivirent le chemin du trio jusqu’à sa disparition.
« Qu’est-ce que c’était encore ? interrogea le ministre de l’Intérieur.
— Des animaux du zoo, répondit le secrétaire d’État Rhess. Il n’est qu’à deux kilomètres et demi d’ici. Et personne n’y fait plus attention.
— Tous les animaux sont livrés à eux-mêmes ? demanda quelqu’un. Les lions ? Les tigres ?
— Je le crains », murmura Rhess.
Ratingen
« Là, fit Dienhof. J’ignore comment ces types d’Europol ont eu cette idée, mais ils ont raison. Nous avons découvert le code il y a une demi-heure. Pour plus de commodité, nous l’avons traduit en pseudo-code. Pour que tout le monde comprenne ce dont il s’agit.
— C’est bien aimable », ironisa Wickley, manifestant clairement à son collaborateur qu’il aurait tout aussi bien compris le code original — ce qui n’était pas le cas, mais, en tant que P-DG, il ne pouvait perdre la face.
si horaire = 19 :23 + (nombre aléatoire entre 1 et 40)
pour 2 % de tous les objets
change statut objet en une autre valeur
signale l’autre couleur correspondante
communique en retour le changement de statut au programme appelant
« Ça signifie, expliqua Dienhof, que…
— … sous l’effet du hasard, il y a toujours des messages d’alerte transmis aux postes de contrôle, alors même que tout fonctionne, compléta Wickley avant d’ajouter à voix basse : c’est perfide. »
Il se demandait comment continuer. Si ce qu’expliquait son collaborateur était vrai, Talaefer était largement responsable du cataclysme de ces derniers jours.
« En effet, reconnut Dienhof. Ces faux messages d’alerte ne signifient aucunement que les équipements sont hors service. Ils sont en parfait état de marche. On pourrait donc remettre les centrales en service sans problème. Celui qui a injecté tout ça spécule sur les failles les plus critiques du système…
— … les hommes. »
Intérieurement, Wickley avait du respect pour l’auteur de ce minuscule correctif. Quelqu’un avait compris ce dont il s’agissait. Quelqu’un de vraiment intelligent. Une intelligence diabolique.
Читать дальше