« Arrêtez votre délire ! Vous voyez bien la quantité que ça représente ! On n’invente pas tout ça !
— Comment avez-vous déniché ça ?
— Avec un peu de pot. Et vous n’allez pas me croire : à cause de la grave négligence de ces types en termes de sécurité. Je vous expliquerai à l’occasion. »
Bollard cessa de se balader parmi les fichiers. Il en avait assez vu. Si ce n’était pas un traquenard, ce maudit Italien avait remporté le jackpot.
Bollard n’était pas complètement convaincu, mais il lui fallait bien reconnaître que la persévérance et le zèle de cet homme forçaient le respect. « On m’a dit qu’on vous avait tiré dessus. Vous allez mieux ? »
Un court silence au bout du fil. « Merci. Ça va mieux. »
Bollard luttait contre lui-même, puis lâcha : « Si cette plateforme nous livre tous ses secrets…
— Sans aucun doute. Mais vous avez besoin d’un sacré paquet de gens pour les analyser assez vite… Qui peut vous aider ?
— Tous.
— C’est qui, tous ?
— NSA, police nationale, BKA… Tous. » Bollard dut se faire violence une fois de plus. « Et… vous ? »
Bruxelles
Il ne m’a jamais pris dans ses bras de cette manière, se dit Shannon en regardant Manzano prendre congé d’Angström. Elle ressentait une pointe de jalousie, bien qu’elle ne soit pas certaine de ce que lui inspirait précisément son compagnon d’infortune. Ils avaient vécu tant de choses ensemble. Probablement l’un des moments les plus chargés émotionnellement de toute sa vie.
Manzano relâcha son étreinte. Un fonctionnaire l’attendait auprès du véhicule d’urgence garé devant le bâtiment de la Commission.
Lauren prit place sur la banquette arrière, Piero s’assit à côté d’elle. Leur accompagnateur s’installa derrière le volant. Il tira d’un sac quatre sandwiches et deux grandes bouteilles d’eau et les leur tendit.
« Avec les meilleures salutations de monsieur Bollard, sourit-il. Attachez vos ceintures. Même si la circulation est faible. »
La Haye
Dans certaines rues de La Haye, le spectacle était identique à celui de la capitale belge. Des autos et des maisons en flammes, des poubelles qui se consumaient.
« Où va-t-on ? se renseigna-t-il auprès du chauffeur.
— L’hôtel est complet. Vous logerez dans un campement provisoire à Europol. »
Des blindés patrouillaient dans les rues.
« C’est des coups de feu ? demanda Shannon après qu’eurent retenti plusieurs détonations au loin.
— Ça se pourrait », fit laconiquement le chauffeur.
Pour accéder au bâtiment, il leur fallait franchir un barrage gardé par des militaires lourdement armés.
« On croirait qu’il y a une guerre, remarqua Shannon.
— C’est un peu ça », rétorqua le fonctionnaire.
« Qu’est-ce qu’elle fait là ? » demanda Bollard en désignant la journaliste.
Sans y prêter attention, l’Italien alla à une fenêtre et regarda la ville. D’épaisses fumées s’élevaient en différents lieux. Il entendait les sirènes des véhicules d’urgence dans le lointain et les rotors des hélicoptères qui quadrillaient la capitale.
« Sans elle, vous n’auriez pas eu mon ordinateur ni jamais trouvé RESET », répondit-il enfin.
Bollard fronça les sourcils, sa mâchoire se crispa.
« Mais pas un mot dans la presse, alors.
— Parole d’honneur, jura l’Américaine. Pas sans votre autorisation. »
Elle chuchota à l’Italien : « Mais j’aurais besoin d’équipement : caméra, ordinateur…
— Il nous faut des portables, exigea-t-il. Et pour elle, une caméra. »
Il ne fut pas sans remarquer que le Français était sur le point d’exploser, mais il trouvait légitimes ses revendications.
Le fonctionnaire leur adressa un regard noir. « Ça marche. Je vous fais apporter ça. Mais, je vous le répète, pas un mot dans la presse. »
Shannon opina du chef et le rassura : « Seulement lorsque vous voudrez que votre travail exemplaire accède à la postérité.
— Jouez pas à la plus maligne ! s’agaça Bollard.
— Bon, on en est où avec RESET ? s’enquit Manzano pour changer de sujet.
— Les données ont été transférées à Interpol, à l’OTAN, au Secret Service, à la NCTC et à quelques autres, détailla-t-il. On s’est réparti l’analyse. »
Dans la salle de réunions, deux dizaines d’hommes étaient installés devant des ordinateurs. Bollard, Manzano et Shannon se postèrent derrière l’un d’entre eux.
« Et d’après quels paramètres ? demanda l’Italien.
— Tout un tas. Par exemple par mots clefs. On a trouvé des chats où il est très clairement question de zero-days .
— Qu’est-ce que c’est que ça, encore ? demanda l’Américaine.
— Ce sont des vulnérabilités dans des logiciels et des programmes, inconnues du fournisseur et pour lesquelles il n’existe donc pas de correctifs appropriés, la renseigna Manzano.
— Puis nous cherchons également qui sont les différents utilisateurs, poursuivit Bollard. On filtre leurs conversations selon différentes entrées. Et ainsi de suite.
— Entrées, reprit Manzano. Avez-vous également recherché des choses sur mon compte ?
— Bien sûr ! Et même en tout premier. Vous voulez voir ? »
L’homme à l’ordinateur tapa au clavier et fit apparaître un texte à l’écran.
6, 11 :24 GMT
tancr : on dirait que l’Italien a échappé aux Allemands.
b. tuck : mais il est toujours soupçonné ?
tancr : je sais pas. Je crois.
b. tuck : il nous a assez fait chier.
tancr : ouais. Fallait bien que quelqu’un découvre le pot aux roses.
« L’Italien, fit Manzano, c’est donc moi. Et les Allemands, c’est ce Hartlandt.
— Mais ce n’est pas tout », annonça Bollard.
5, 13 :22
tancr : l’Italien casse vraiment les burnes. Il rôde autour de Talaefer.
Je le mettrais bien hors circuit.
b. tuck : comment ?
tancr : faux mail.
b. tuck : ok.
« Merci bien ! s’écria Manzano en jetant un regard triomphal à Bollard. J’espère que ça vous convaincra enfin de mon innocence !
— Si vous êtes de mèche, rétorqua le policier sans se laisser démonter, vous auriez pu manigancer tout ça avec eux. »
Manzano soupira. « Dites-moi, vous faites encore confiance à quelqu’un sur Terre ?
— Non. »
« Ce qui m’intéresserait, reprit l’Italien, serait de savoir comment ces types ont eu l’idée de mettre des mails dans mon ordinateur, et comment ils savaient que j’étais en route pour Talaefer. »
Bollard le regarda. « Depuis que vous avez confié à Hartlandt que ces informations pourraient peut-être venir de chez nous, nos experts inspectent tous nos systèmes pour plus de sûreté.
— Vos spécialistes ont trouvé quelque chose dans les systèmes d’Europol ? »
Bollard fit une moue navrée. « Ils ont trouvé des programmes capables de lire les échanges de mails de la plupart de nos ordinateurs, capables aussi d’activer caméras et micros…
— Ah ! J’aimerais pas être à la place de votre responsable de sécurité…
— Moi non plus. Ni de celui des Allemands, des Français, des Britanniques, ni d’aucun de ceux officiant pour les cellules de crise d’autres gouvernements. Manifestement, ces types ont réussi à s’infiltrer partout, pour lire, voir et écouter tout ce qu’on faisait. »
Manzano ne voyait pas l’intérêt de prendre part en personne aux recherches concernant RESET. Des milliers de spécialistes hautement qualifiés d’une moitié du globe s’en occupaient. « T’es jamais fatigué ? » s’enquit Shannon.
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