Bien entendu, il ne prendrait nullement part à un probable assaut. Il n’y était ni formé ni habilité. Le directeur Ruiz voulait cependant qu’un représentant de l’agence au courant de toute l’affaire y participât. C’est ainsi qu’il se retrouvait dans le ventre du bruyant colosse, entouré par soixante hommes surentraînés, sur les visages desquels les stigmates des jours passés n’apparaissaient pas. Bollard ne comprenait pas de quoi ils s’entretenaient, mais à en croire leurs rires sonores, ils devaient se raconter des blagues potaches. Il était assis à une petite table à quatre places, dont deux étaient occupées par les commandants de l’unité. Il tourna son ordinateur de manière à leur présenter l’écran.
Il leur montra les photos les plus récentes du bâtiment stambouliote. Sur des images peu nettes, granuleuses, on apercevait deux hommes quitter le complexe, puis y retourner, on en voyait également un troisième, ainsi qu’une femme, à l’une des fenêtres.
« Pedro Muñoz », expliqua-t-il, triomphal, en pointant les premières images. Il ouvrit également un portrait de ce dernier.
« John Bannock. Maria Carvalles-Tendido. Hernandes Sidon. »
Il afficha des photos de ces trois individus, afin que les commandants puissent les comparer aux images de la vidéosurveillance.
« On dirait que vos hommes peuvent se préparer à l’assaut. »
Brauweiler
Jochen Pewalski, directeur de la conduite réseaux pour Amprion, était assis, non sans crainte, devant les écrans, et observait les tentatives pour rétablir le courant effectuées par le dispatcher compétent pour l’Allemagne du Sud-Est. Sa famille et lui-même avaient jusqu’alors réussi à surmonter l’épreuve. Le générateur de secours dans la cave leur avait fourni de l’électricité, la citerne prévue pour de tels cas de l’eau. En revanche, la relation avec leurs voisins et leurs parents des environs était devenue de plus en plus délétère. Pewalski les avait fermement éconduits, ce qui n’était pas le cas de son épouse. Elle avait laissé entrer les frigorifiés, nourri et abreuvé ceux qui mouraient de faim et de soif. Ce qui s’était traduit par une baisse de leurs réserves. Pewalski avait fait des stocks pour trois semaines. Il n’y avait donc pas de raisons de se faire du souci — tout du moins au début.
Depuis avant-hier, une fois consommée la dernière goutte de diesel, l’affluence avait décru.
Lui-même en avait peu profité, mais il avait la certitude que sa famille se portait à peu près bien. Il avait passé le plus clair de son temps au travail. Voilà des jours qu’il travaillait sans relâche avec une équipe restreinte, qui ne pouvait occuper tous les postes au sein d’un des plus importants centres européens de conduite réseaux. Il lui fallait souvent prendre place en personne à l’un des postes de travail. Comme c’était précisément le cas. Son voisin s’était un peu décalé. Certes, il regardait son écran du coin de l’œil, curieux de voir si les collègues de l’Est parviendraient à reconstruire une autre partie du réseau, une fois tous les équipements de leur salle de conduite, serveurs et ordinateurs, de nouveau opérationnels.
« Markersbach et Goldisthal fonctionnent », constata Pewalski.
Les deux centrales de pompage-turbinage à la frontière tchèque étaient aptes au redémarrage. Ce n’était pas compliqué ; pour produire du courant, il suffisait simplement de laisser couler à travers leurs puissantes turbines l’eau accumulée dans de hauts réservoirs. Cela signifiait qu’elles n’avaient pas besoin d’une assistance extérieure. Une fois cela fait, les opérateurs tenteraient de mettre en marche la centrale thermique de Boxberg, en Saxe, grâce à la ligne partant de Markersbach et passant par Röhrsdorf.
S’il était possible de bâtir ce petit réseau, on pourrait ensuite, petit à petit, l’étendre à toute la zone est de la République fédérale, ainsi qu’à la zone centre.
« Marche ! murmura le voisin de Pewalski, marche, bon Dieu ! »
Berlin
Tous étaient de nouveau réunis via les écrans, y compris de nouvelles têtes pour l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Les pontes de l’OTAN occupaient un écran. La Maison-Blanche était également connectée.
Sur les six écrans de la rangée inférieure, Michelsen regardait les différentes perspectives des bâtiments de Mexico et d’Istanbul, capturées par les caméras de surveillance et celles des casques. Les photos d’Istanbul, où la nuit était déjà tombée, étaient vertes et fantomatiques alors que dans la capitale mexicaine brillait le soleil.
Michelsen n’avait pas assisté aux conversations préliminaires. Cependant, depuis la découverte des supposés QG terroristes, tout le monde s’accordait sur le point suivant : il fallait les mettre le plus vite possible hors d’état de nuire. L’ensemble des communications à ce sujet se faisait au moyen d’un système anti-écoute — il fallait éviter à tout prix que les agresseurs ne soient informés de l’offensive imminente. Des unités des troupes spéciales turques, les bérets bordeaux, accompagnées par les hommes du GSG-9 et le Secret Service interviendraient à Istanbul. Par ailleurs, deux cents Navy Seals venaient d’arriver à Mexico pour intervenir de concert avec les troupes mexicaines.
Les forces armées interviendraient au même instant, aux deux extrémités du monde, sur un seul ordre. On couperait d’abord l’électricité et toutes les connexions Internet de chacun des complexes, puis les hommes donneraient l’assaut.
« Les indices sont sans équivoque, fit le chancelier. Nous donnons notre feu vert. Quelqu’un a-t-il des objections ? »
Aucun des généraux de l’OTAN, qui tenaient tant à leur piste chinoise, ne dit un mot.
« Alors, nous donnons le top action à nos troupes », conclut le président américain.
Istanbul
Il avait besoin d’air frais. Chacun d’entre eux restait devant un écran dix-huit heures par jour. Il devait sortir. Il emprunta l’itinéraire à travers la cave. Ils l’avaient conçu pour ce genre de choses. Même s’il savait que certains se montraient légers avec les consignes de sécurité, lui en était soucieux. C’est ainsi qu’il ressortit à deux cents mètres du central opérations, étant passé par les sous-sols des bâtiments voisins. Dehors, il ne faisait pas plus de cinq degrés. Pourtant le trafic routier était dense, il y avait des embouteillages. Étonnant qu’à quelques centaines de kilomètres seulement du black-out le quotidien soit resté inchangé. Dans quelques semaines ou quelques mois, ses conséquences s’y feraient pourtant ressentir, et, tôt ou tard, la pagaille serait identique à celle qui régnait en Europe et aux États-Unis. Il ferma sa veste et inspira profondément. Décontracté, il faisait les cent pas devant les vitrines. Toute cette camelote superflue ! Bientôt, femmes et hommes auraient à se soucier de choses plus importantes. À l’approche d’un bruit assourdissant, il se retourna. À un bloc de lui, des lueurs clignotèrent des fenêtres d’un immeuble sur le toit duquel atterrissait un hélicoptère, inondant la zone de lumière.
Des passants se tournèrent en direction de la scène, restèrent plantés, regardèrent, la tête en l’air. Des spots puissants illuminaient la façade de tous les côtés. Leur bâtiment. Des ordres retentirent, qu’il ne comprit pas. Leur signification lui fut pourtant évidente sur-le-champ. Il serra les poings au fond de ses poches. Prudemment, il regarda autour de lui, les gens, puis les voitures. Il devait se comporter de la manière la plus naturelle du monde. La plupart des piétons regardaient encore les événements, d’autres avaient repris leur marche. Un peu devant lui, il remarqua une camionnette aux fenêtres teintées. Sa porte coulissante était ouverte ; il y avait de nombreux policiers. Parmi eux, il reconnut le Français d’Interpol.
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