Bollard agita la tête, en signe de doute.
« Notre appartement est dans tous les cas plus confortable qu’ici ! » s’écria-t-elle. Elle remarqua qu’elle avait dit « notre ». Elle n’avait pas encore vraiment réalisé que son époux n’était plus. Elle ne pouvait se faire à l’idée d’être seule.
« Céleste et toi, vous venez ! Vous logerez chez nous… chez moi… jusqu’à ce que vous puissiez regagner votre maison. »
Bruxelles
Manzano enlaça le vieil homme, le sourire aux lèvres.
« Je n’étais encore jamais venu à Bruxelles, commença Bondoni, en souriant. Je me suis dit, tu vois, que c’était l’occasion. Il fit une tape amicale sur l’épaule de son voisin. T’as pas l’air en pleine forme, mon vieux ! C’est vrai, tout ce qu’on raconte ? Tu as mis les terroristes hors d’état de nuire à toi tout seul ?
— Je m’en suis même pas approché », répondit Manzano. Il étreignit la fille de Bondoni, qui partageait avec son père une suite luxueuse à l’hôtel, en attendant que l’eau coule de nouveau chez elle.
« Tes copines ont pu rentrer saines et sauves également ?
— Parfaitement !
— Puis-je te présenter Antonio Salvi ? demanda Bondoni en poussant devant lui l’homme mince aux cheveux fins qui se tenait en retrait. C’est sa chaîne qui paye tout ici. Il désigna la chambre du menton. Y compris le retour d’Innsbruck en jet privé. Il voudrait faire un reportage sur moi. Il a appris je ne sais pas trop comment que ma vieille Fiat t’avait conduit jusqu’à Ischgl, d’où… »
Berlin
Le secrétaire d’État Rhess a au moins perdu six kilos au cours des derniers jours, pensa Michelsen lorsqu’il se leva.
« D’abord, une bonne nouvelle. Les systèmes de communication fonctionnent de nouveau dans de vastes régions. Nous tous, ici, avions déjà la chance de pouvoir téléphoner à nos proches et à notre famille, de lire les informations sur Internet et de regarder la télévision, même de manière aléatoire. Nous devons donner le plus de renseignements possibles sur ce que nos citoyens doivent faire dorénavant, notamment concernant l’approvisionnement en eau et en vivres. Sitôt que les médias informeront sur l’ampleur de la catastrophe, nous serons la cible de blâmes et de critiques croissants. Pour le gouvernement, comme pour toutes les organisations d’État, c’est à la fois un grand danger et une grande chance. De nombreuses questions vont nous être adressées. Pourquoi nos systèmes étaient-ils si fragiles ? Quelles responsabilités portent les compagnies d’électricité, et à quelles conséquences devront-elles faire face ? Pourquoi les systèmes d’urgence étaient-ils si insuffisants ? Pourquoi les réseaux téléphoniques ont-ils si vite cessé de fonctionner ? Comment de tels accidents ont-ils pu se produire dans des centrales nucléaires qui avaient pourtant brillamment réussi tous les tests de sécurité ? Jusqu’à quel point les compteurs communicants et le réseau électrique intelligent du futur sont-ils intelligents ? Et, surtout : sont-ils réellement sûrs ?
— On n’a pas fini d’en débattre, s’immisça la ministre de l’Environnement. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est le système actuel qui a été déconnecté. En conséquence de quoi, il n’était pas plus sécurisé que ceux du futur. Ça ne peut qu’être mieux, non ?
— Je ne suis pas ici pour prendre position, répondit calmement Rhess. Mais pour nous préparer aux discussions à venir. Celle-ci en fera partie. »
Bruxelles
Angström réalisa qu’elle riait trop et trop fort, mais, après le cinquième verre de vin, ça n’avait guère d’importance. Fleur van Kaalden, Chloé Terbanten, Lara Bondoni et Lauren Shannon n’en seraient pas indisposées. Elles avaient bu davantage.
L’hôtel avait rapidement repris du service. Les réserves d’alcool n’avaient pas souffert du black-out ; elles étaient donc au bar, occupées à descendre le contenu de leurs verres, relâchant la pression. Angström n’était pas étonnée que les gens soient si joyeux, comme si rien ne s’était passé. Aujourd’hui, ils voulaient simplement chasser l’angoisse, la torture, les doutes des semaines passées.
Manzano les regardait. « J’en ferais bien de même, observa-t-il en vidant un verre. Mais je suis fatigué. Je suis un vieil homme, comme le père de Lara.
— Je vais vous abandonner également », fit Angström, remarquant, en descendant de son tabouret, que sa tête tournait. Elle asséna une tape amicale dans le dos de van Kaalden, lui adressa un signe ainsi qu’à la journaliste.
Sur le chemin, en direction de la réception de l’hôtel, Manzano rompit le silence en premier. « Je m’excuse encore une fois pour le pétrin dans lequel je t’ai mise… Je… je ne savais pas où aller, sinon.
— Je n’aurais pas dû vous conduire à nos bureaux, répondit-elle. Heureusement que je l’ai fait quand même.
— Tu vas trouver un taxi ? demanda-t-il.
— Sans aucun doute. Les stations-service fonctionnent de nouveau. Mais pas le chauffage à la maison. Elle se mit à rire. Mais je m’y suis habituée !
— Tu peux prendre une douche dans ma chambre, l’invita Manzano, quelque peu gêné. Ce ne serait pas la première fois.
— Tu tiens vraiment à m’enfermer dans ta chambre.
— Exactement. »
Ils avaient atteint la porte d’entrée de l’hôtel, devant laquelle attendaient quelques taxis. Ils s’enlacèrent en guise d’au revoir. Ils s’embrassèrent. Une fois encore. Angström sentait ses mains dans son dos, sur ses épaules, tandis que les siennes passaient sur ses hanches et son cou. Sans se lâcher, ils gagnèrent l’ascenseur en vitesse, sans prendre garde aux autres clients, se pressèrent dans le couloir du deuxième étage où Manzano sortit la carte magnétique d’ouverture de sa poche et ouvrit. Il la poussa, elle le tira à l’intérieur de la chambre, ses mains sous son pull-over, les siennes sous son chemisier, sur ses fesses, ils trébuchèrent dans la pénombre, manquant de tomber. Elle se rattrapa, trouva la carte encore dans sa main, la passa dans la fente près de la porte afin d’activer l’électricité.
En un clic léger naquit une lumière chaude, tamisée.
« Puisque nous en sommes là, murmura-t-elle alors qu’il lui embrassait le cou, j’aimerais te regarder. »
Il atteignit le variateur et tamisa la lumière jusqu’à une semi-obscurité. « Mais nous devons l’économiser. Je ne suis pas un si beau spectacle. »
Elle embrassa la cicatrice de son front.
« Ça reviendra. »
Berlin
Michelsen et d’autres collaborateurs s’étaient procuré une voiture avec chauffeur pour rentrer chez eux, pour la première fois depuis plus d’une semaine. Elle était la dernière dans le véhicule, ses collègues ayant déjà été déposés. Elle trouva sinistre la course en ville. Sur la plupart des façades, les publicités rayonnaient de nouveau, des noms de commerce, des logos d’entreprises. Sur les trottoirs s’accumulaient les ordures. De nombreux sacs poubelles étaient déchirés, leur contenu dégueulait sur la route. Des sacs en plastique garnissaient la chaussée et apparaissaient dans les phares du véhicule. Chiens et rats erraient alentour.
Devant eux, sur le bord de la chaussée, apparurent de grands arcs inquiétants, de plusieurs mètres de haut, entre deux épaves automobiles. Des côtes, réalisa Michelsen, les côtes d’un gigantesque cadavre animal.
« C’était quoi ? cria-t-elle au chauffeur. C’était beaucoup trop gros pour un bœuf.
— Les restes d’un éléphant du zoo, autant que je sache, répondit l’homme, sans se troubler. De nombreux animaux se sont échappés du zoo ces derniers jours. »
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