Elle repensa à la girafe et à ses petits.
« La plupart ont été débités par des personnes affamées, continua le chauffeur.
— On peut donc manger de la viande d’éléphant ? » s’interrogea Michelsen, bouleversée.
Le chauffeur s’arrêta. Ils convinrent d’un horaire pour qu’il vienne la chercher le lendemain. En descendant, quelques gouttes de pluie tombèrent sur son visage. Elle se fraya un passage à travers les ordures et, en quelques enjambées, elle fut chez elle.
L’air de l’appartement était froid et humide, ça sentait le renfermé. La lumière fonctionnait. Au fond, c’était un peu comme si elle rentrait de longues vacances, pensa-t-elle. Elle supposa qu’il lui serait impossible de fermer l’œil. Elle déboucha une bouteille de vin rouge, se servit un verre et s’installa à la fenêtre de la cuisine sombre. Elle but une grande lampée, regarda les lumières de la ville, dans la nuit, qui commençaient à trembloter devant ses yeux. Un frisson la traversa malgré elle, avant qu’elle se mette à pleurer sans retenue, incapable de s’arrêter.
La Haye
Il est parti, annonça le réceptionniste. Pour un autre hôtel, lui avait confié l’Italien. Il prétendit être journaliste. S’il pouvait lui donner le nom de cet hôtel, il aimerait l’interviewer. Beaucoup aimeraient, répondit le réceptionniste. Il a même exigé que je ne lui transmette plus les appels. Puis il est parti ? Pourquoi ? Votre hôtel n’était pas assez bien pour lui ? Ça se pourrait, répondit-il. Maintenant qu’il y a le courant partout. Oui, c’est comme ça qu’elles sont, les stars, pas vrai ? Le réceptionniste haussa les épaules. Pour l’amadouer, afin que l’homme lui indique où Manzano était descendu, il dut poser un billet de cent euros sur le guichet.
Il héla un taxi.
Quatorzième jour — vendredi
Bruxelles
« Bonjour » dit Manzano lorsque la Suédoise ouvrit les yeux. Encore endormie, elle le regardait en clignant des yeux, jeta ensuite un coup d’œil alentour.
« Ma chambre d’hôtel, lui rappela-t-il. Tu es restée pour une douche.
— Je m’en souviens. » Elle s’étira avant de disparaître dans la salle de bain.
Il se rendit à la fenêtre, écarta les rideaux, regarda au dehors. Il entendit l’eau couler. Le portier lui avait expliqué que l’hôtel était avantagé concernant l’approvisionnement, notamment en eau courante, dans la mesure où y descendaient régulièrement diplomates et hommes politiques. Raison pour laquelle l’eau coulait ici à flots, ce qui n’était pas le cas dans la grande majorité des foyers de la capitale belge.
Ils s’habillèrent pour descendre dans la salle de petit-déjeuner. Sur le long buffet, une seule variété de pain, de fromage et de saucisse. Du chocolat en portions individuelles. Des carafes d’eau, du thé et du café. Sur un écriteau manuscrit, la direction présentait ses excuses pour ce choix frugal, et promettait de mettre tout en œuvre pour un retour rapide à la normale.
« Bonjour ! » les accueillit Shannon avec un large sourire.
Elle était seule à l’une des tables ; devant elle, un ordinateur portable et un café. Elle les jaugea des pieds à la tête.
« Vous avez bien fait la fête hier ?
— Et toi ?
— Aucune idée de combien de temps ça a duré.
— Où est Bondoni ?
— Il doit encore dormir. »
Les doigts alertes, elle tapa quelques mots sur son clavier.
« Désolé, un mail. Je dois bientôt partir. Vous avez des nouvelles de Bollard ? »
Une fois de plus, elle les regarda, non sans insistance. « Ouais. O.K. Vous aviez mieux à faire. »
Ses sous-entendus agacèrent Manzano. « Il me faut un truc à manger et un bon café. »
Lauren referma son ordinateur et bondit. « Vous me tenez au courant, hein, s’il y a du neuf pour Bollard, hein ? »
Et elle partit.
Piero respira profondément. « Incroyable, toute cette énergie », remarqua-t-il.
Sonja passa son bras autour de sa taille.
« Faisons le plein nous aussi », proposa-t-elle en le tirant vers les pots de café.
Istanbul
À travers le miroir sans tain, Bollard observait l’interrogatoire d’un Japonais. L’homme avait l’air calme, concentré. À l’instar des autres, dès le début il avait fait savoir qu’il parlait et comprenait excellemment l’anglais.
Lorsque, voilà quelques jours, il était apparu sur les listes des suspects, certains s’en étaient étonnés. Des terroristes japonais ? Bollard avait dû leur rafraîchir la mémoire avec l’attaque au gaz sarin de la secte Aum dans le métro tokyoïte en 1995 ou avec le massacre de l’aéroport de Tel Aviv en 1972.
Depuis son arrestation, le Japonais n’avait pu dormir que deux heures. Dans six cellules, les unes à côté des autres, ils interrogeaient les sept hommes et la femme. Trois d’entre eux avaient été blessés par balles, on les interrogeait moins longuement et sous surveillance médicale. Le matin suivant l’assaut, des collaborateurs de plusieurs services de renseignement européens et de la CIA étaient arrivés. Seuls ou accompagnés de fonctionnaires turcs, ils menaient les interrogatoires. Jusqu’alors, les terroristes ne s’étaient pas exprimés sur le déroulement des attaques. Cependant, ils ne les niaient pas, bien au contraire. Bollard trouvait intéressant qu’aucun ne se soit encore exprimé de manière désobligeante à propos de minorités. C’était typique des terroristes, en fonction de leurs antipathies, on les classait à droite ou à gauche.
« Combien vous touchez pour nous garder ici et nous torturer ? demanda le Japonais au fonctionnaire qui lui faisait face.
— Vous n’êtes pas torturés.
— Priver quelqu’un de sommeil, c’est de la torture.
— Nous avons de nombreuses questions, toutes requérant des réponses rapides. Dès que vous aurez répondu, vous pourrez dormir.
— Pouvez-vous vous offrir une Rolls avec votre paye ? »
Le terroriste menait la conversation comme un directeur des ressources humaines, trouva Bollard.
Le fonctionnaire turc resta de marbre. « On n’est pas là pour parler de mon salaire.
— Si, c’est précisément ce dont il s’agit, répondit tranquillement le Japonais. Vos supérieurs peuvent se payer une Rolls. Et les hommes qui payent vos chefs peuvent même se payer un garage entier de ces carrosses de luxe. Pendant que vous accomplissez la basse besogne, ils sont bien au chaud dans leurs villas et les soixante-douze vierges sont même déjà là pour les satisfaire.
— Je vais vous décevoir, mais je ne crois pas en de telles choses.
— Vous trouvez ça juste, vous ? Juste de passer toute la nuit avec un type comme moi, tandis qu’ils font des tours de Ferrari avec des créatures pulpeuses ?
— Il ne s’agit pas de justice.
— Alors de quoi ? »
L’ordinateur de Bollard se mit à vibrer dans la salle de repos. Dans la fenêtre du visiochat apparut le visage de Christopoulos.
« Regarde-moi ça, annonça le Grec en ouvrant une autre fenêtre avec des lignes de code. C’est déjà converti en pseudo-code. »
Si pas de code de blocage dans les dernières 48 heures
Activer phase 2
« Activer quoi ? demanda Bollard.
— On ne sait pas encore. On sait simplement que ça ne servait pas à l’activation des codes SCADA de Dragenau ni des compteurs communicants italiens ou suédois. Il faut bien noter que les analyses effectuées jusqu’à présent sur leur stratégie d’attaque mettent en évidence qu’un tel code n’a pas encore servi. »
Bruxelles
« C’est précisément à ce genre de trucs que je pensais ! » s’écria Manzano.
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